Édition du 17 décembre 2024

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Économie

Comment justifier des annulations de dettes contractées par des gouvernements démocratiquement élus ?

« Une dette, ça se rembourse ! Dans les pays où sévissent des dictatures, la dette peut être certes discutable ; mais lorsqu’elle a été contractée par des gouvernements démocratiquement élus, on ne peut ensuite légitimement la remettre en question ! » Voilà une chimère profondément ancrée dans nos inconscients qu’il convient de récuser.

tiré de : [CADTM-INFO] FMI en Argentine, Bolloré, Socfin, ACiDe Liège

La démocratie : vaste concept

En premier lieu, il convient de se questionner sur ce que l’on considère être un gouvernement démocratiquement élu. Est-ce l’élection au suffrage universel qui le détermine ? Ou encore la forme de l’État (République, Monarchie, etc.) ? Vladimir Poutine en Russie, Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, Rodrigo Duterte aux Philippines, Enrique Peña Nieto au Mexique, Viktor Orbán en Hongrie, tous ces dirigeants ont été élus démocratiquement et pourtant… De même, il convient de s’entendre sur le terme « démocratie ». Le Congo sous Kabila est-il démocratique ? La Chine de Xi Jinping ? La Turquie d’Erdogan ? Et l’Union européenne ?

Partout, les exemples de pays dits démocratiques où les droits humains fondamentaux sont systématiquement bafoués – y compris sur les sols occidentaux - ne manquent pas. Mais il convient également de questionner le rôle joué par la « communauté internationale » qui ne lésine pas sur des interventions plus ou moins directes pour valider des élections soi-disant « démocratiques » dès lors que les intérêts des classes dominantes sont représentés. Un gouvernement, bien que « démocratiquement » élu, peut s’endetter à la fois au nom du peuple et pourtant au bénéfice d’intérêt privés d’une minorité déjà privilégiée.

La légitimité des gouvernements en question

Un gouvernement, fût-il « démocratiquement » élu, est-il pour autant légitime ? Le cas de la France lors des élections présidentielles de mai 2017 en est un exemple flagrant. Bien qu’élu au second tour, Emmanuel Macron ne représente en réalité que 44 % des votes des personnes inscrites sur les listes électorales, les autres 56 % se divisant entre le vote blanc ou nul (9 %), les abstentionnistes (25 %) et ceux et celles ayant voté en faveur de son opposante politique (22 %). Quid du nombre significatif de personnes non-inscrites (contre leur volonté ou non) et des personnes n’ayant pas le droit de prendre part au vote ? Quid, dans le bipartisme ambiant, du vote dit « du moins pire », est-ce un vote démocratique ? Quid de toutes ces personnes qui ne se sentent pas représentées ? Face à de tels cas de figure, la « légitimité » du pouvoir se retrouve fortement contestable.

Les « engagements » des gouvernements

Pour justifier des annulations de dettes contractées par des gouvernements démocratiquement élus, ne pourrait-on pas simplement prendre exemple sur eux ? Les gouvernements remettent régulièrement en cause leurs engagements, antérieurs ou propres à leur investiture. Les belles formules rhétoriques aident sans doute les élu·e·s à provoquer l’émoi des électeur/trice·s, mais ils n’ont pourtant de comptes à rendre à personne. Ainsi, « les promesses n’engagent que ceux et celles qui y croient ». Exit donc la répudiation de la part illégitime de la dette publique grecque pour Syriza, exit également la remise en cause du TSCG par François Hollande, exit encore les 0,7 % du RNB des pays du Nord consacré à l’Aide publique au développement, exit aussi la non-exploitation des gisements de pétrole dans la partie équatorienne de l’Amazonie sous la présidence équatorienne de Correa, etc. Rappelons également que la très grande majorité des États ont signé et ratifié de nombreux traités internationaux sans que cela ne soit suivi d’effets. La simple application de la Déclaration universelle des droits de l’Homme éviterait bon nombre des exactions commises quotidiennement à l’échelle mondiale...

La nécessaire contestation des décisions gouvernementales

Plus encore que les concepts de « démocratie » ou de « légitimité », la question du contrôle du pouvoir est centrale. Il faut aller contre l’idée communément admise – et fataliste – selon laquelle les populations devraient se ranger poliment derrière un gouvernement élu durant son mandat et attendre les prochaines élections pour espérer un hypothétique changement. Les attaques continues des politiques néolibérales contre les « acquis sociaux » nous rappellent que ces derniers représentent plutôt des « conquêtes sociales », remportées par la lutte des mouvements sociaux et en exerçant une pression populaire continue sur les gouvernements. C’est ainsi que l’histoire se crée, et non par le seul recours aux élections. Les suffragettes pour le droit de vote des femmes en Grande-Bretagne, la journée de huit heures de travail, la sécurité sociale, les indépendances des pays colonisés, le « printemps arabe », plus récemment la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso… : autant d’exemples de droits et de victoires obtenus par des contestations collectives d’ampleur.

Par ailleurs, pouvoir questionner et contester les politiques prisent par les autorités est un signe incontestable de bonne santé démocratique. Et si tout le monde n’est pas logé à la même enseigne à ce niveau, il est de notre devoir de contester des décisions gouvernementales - même légales - que nous identifions comme illégitimes. Si les sauvetages bancaires inconditionnels de 2008 paraissent légitimes pour bon nombre de gouvernements, ils ne le sont pas pour nous, et nous devons forcer le débat.

L’audit citoyen comme révélateur

Dès lors, recourir aux moyens à notre disposition, de la pétition à la grève générale, en passant par les manifestations, les actions directes – dont celles de désobéissance civile - ou les recours en justice, est fondamental. Un « lobby » citoyen œuvrant à vérifier la légitimité démocratique des décisions prises par le gouvernement en place, en fonction de ses engagements, du respect des droits fondamentaux et de l’intérêt général constitue un rapport de force sérieux face au pouvoir en place.

Dans le champ de la dette, aux côtés de ces moyens d’action, l’audit citoyen de la dette vient compléter cet « arsenal » au service d’un contrôle populaire, ici des deniers publics. L’audit est également un outil de sensibilisation de la population, pour éclairer sur la place publique les tenants et aboutissants du processus d’endettement d’un pays. L’audit citoyen entend mettre la pression sur les autorités publiques pour les amener à suspendre puis annuler les dettes identifiées comme illégitimes, avant de mettre en place des politiques radicales visant à promouvoir l’intérêt général et le respect des droits fondamentaux.

Mais faut-il vraiment se justifier ?

Par ailleurs, puisque la question est ainsi posée, faut-il nécessairement justifier une annulation de dette contractée par un gouvernement démocratiquement élu ? Les récents cas d’emprunts publics pris par les États du Congo, de la Grèce ou encore du Mozambique [1], sont tous entachés d’illégalités, et devraient être annulés, peu importe la nature du gouvernement en place. De même, lorsqu’un État se retrouve pris à la gorge par le remboursement de sa dette, les principes directeurs de l’ONU à ce sujet sont sans équivoques et « consacre la priorité des dépenses [publiques] liées aux droits de l’homme ». Enfin, l’histoire, passée comme présente, est jalonnée d’exemples d’annulations de dette prisent unilatéralement par les États [2].

Pour élargir encore davantage, il serait utile de questionner la légitimité même du système capitaliste et de son pendant « système-dette », des rapports asymétriques de pouvoir et des inégalités à la fois économique, politique, sociale et culturelle qu’il engendre, mais cela reste une autre page de notre histoire à écrire.

L’auteur remercie les militant-e-s du CADTM Belgique pour leurs relectures et suggestions.

Notes

[1] Voir notamment : Commission pour la vérité sur la dette grecque, « Rapport préliminaire », 24 juillet 2015 ; Claude Quémar, « La dette cachée illégitime du Mozambique »

[2] Voir Eric Toussaint, « Répudiation des dettes souveraines : une ligne du temps », CADTM, 28 octobre 2017. http://www.cadtm.org/Repudiation-des-dettes-souveraines

Rémi Vilain

Permanent au CADTM-Belgique.

http://www.cadtm.org/Remi-Vilain

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