Édition du 19 novembre 2024

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Économie

La Chine change de stratégie pour relancer sa croissance

La banque centrale chinoise a annoncé une série de mesures monétaires de grande ampleur pour soutenir le crédit, le secteur immobilier et les marchés financiers. Le signe d’une forme de panique de Pékin face à l’affaiblissement de la croissance et à l’épuisement de son modèle économique.

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Trois ans après la faillite du plus grand promoteur immobilier chinois Evergrande, Pékin sort le « bazooka » monétaire pour tenter de stopper l’affaiblissement continu de son économie. Mardi 24 septembre 2024, la Banque populaire de Chine (BPC), la banque centrale du pays, a annoncé une série de mesures de soutien massif à l’économie dans une mise en scène particulièrement rare.

Le gouverneur de la BPC, Pan Gongsheng, a convoqué une conférence de presse inopinée pour dérouler son plan. D’abord, une baisse du taux de refinancement à sept jours des banques, l’équivalent du taux directeur chinois, de 1,7 % à 1,5 %. Cette mesure devrait conduire à un recul des taux à moyen et long terme.

En parallèle, et pour la première fois, la BPC a doublé cette baisse des taux par une baisse des réserves obligatoires des banques de 1 000 milliards de yuans (environ 128 milliards d’euros) et par une baisse du taux de crédit immobilier pour les crédits en cours. Cette dernière mesure devrait, selon Pan Gongsheng, soutenir les revenus de 150 millions de personnes à hauteur de 150 milliards de yuans (environ 19,1 milliards d’euros).

Le plan de la BPC inclut également le soutien direct aux rachats des terrains des sociétés d’immobilier en difficulté par le secteur privé, venant compléter les 300 milliards de yuans (environ 38,2 milliards d’euros) accordés en mai aux autorités locales pour racheter les logements non vendus. Les mesures prises en 2021 par le gouvernement central pour freiner la spéculation immobilière, notamment la surcharge sur les rachats de résidences secondaires, sont abolies.

Enfin, la BPC a annoncé qu’elle mettait en place un programme de liquidité de 500 milliards de yuans, soit environ 63,8 milliards d’euros, pour les acteurs des marchés financiers chinois, compagnies d’assurance, fonds de gestion, courtiers. Ces acteurs pourront venir piocher dans cette facilité en plaçant des actions en garantie.

Pan Gongsheng a d’ores et déjà promis que, si cette mesure était un succès, 500 milliards de yuans supplémentaires pourraient être débloqués. Et pour faire bonne mesure, les autorités chinoises ont annoncé discuter d’un « fonds de stabilisation » pour « soutenir le marché financier ». En tout, ce serait là encore 1 000 milliards de yuans qui seraient injectés dans le système financier chinois.

L’ampleur de la crise chinoise

Toutes ces mesures ont logiquement réjoui les opérateurs boursiers chinois et, plus largement, asiatiques. L’indice CSI de Shanghai a bondi de 4,3 %, par exemple. Mais l’ampleur de l’annonce, que ce soit en termes de fonds injectés comme en termes de diversité des mesures, semble surtout montrer qu’une forme de panique s’est emparée des autorités de Pékin.

Depuis trois ans, la crise immobilière pèse lourdement sur la croissance chinoise. Avec la fuite en avant du pays dans la spéculation immobilière, qui s’est accélérée en 2015-2016 lorsqu’il a dû prendre des mesures contre la surproduction industrielle, construction et immobilier ont représenté jusqu’à 30 % du PIB chinois.

La faillite d’Evergrande à l’automne 2021 s’est propagée aux autres grands promoteurs ayant le même modèle économique (payer les constructions en cours avec les paiements des constructions futures) a logiquement donné un coup d’arrêt aux programmes immobiliers. Beaucoup d’acheteurs se sont retrouvés sans fonds et sans logements, conduisant à une baisse des ventes, soit faute de moyens, soit par précaution. Les prix se sont alors effondrés, conduisant à de nouvelles faillites qui ont fini par peser sur le secteur de la construction.

Pendant longtemps, Pékin a pris des mesures de stabilisation minimales et les autorités se sont toujours refusées à reconnaître le sérieux de la situation. L’effet négatif sur les revenus et la confiance des ménages s’est diffusé et a commencé à peser sur la demande intérieure. La baisse des prix a alors commencé à se généraliser. En 2023, le déflateur du PIB, c’est-à-dire l’évolution des prix s’appliquant à l’ensemble de l’économie, a reculé de 0,5 %. Cette amorce de déflation a pesé sur la rentabilité du secteur privé chinois, ce qui a conduit à une demande encore plus faible.

Pour contrer le phénomène, les autorités de Pékin ont répondu en accélérant les investissements dans les technologies de pointe et en relançant le moteur des exportations. La Chine a cherché à tirer profit de ses tensions internes en exportant sa surcapacité à des coûts très bas. La stratégie a partiellement fonctionné : les exportations chinoises ont, selon le Fonds monétaire international (FMI), gagné, en 2023, 1,5 point de part de marché par rapport à la période 2017-2019.

L’ennui, c’est que ces gains de part de marché affaiblissent la demande des autres économies, par exemple l’Allemagne en Europe, sans régler les problèmes internes, puisqu’ils se font à des prix bas. En parallèle, les investissements massifs dans les technologies de pointe peinent à produire des effets macroéconomiques concrets : ce secteur ne peut pas être un moteur de l’activité globale.

L’affaiblissement de la croissance

Résultat : la croissance n’a cessé de s’affaiblir. Au deuxième trimestre 2024, le PIB chinois a progressé de 4,7 % sur un an, bien en deçà des attentes des économistes à 5,1 %. Ce niveau met en doute l’objectif gouvernemental de 5 % pour l’ensemble de l’année. La croissance est très fortement portée par les investissements publics dans les transports et les infrastructures, mais l’investissement privé, lui, est pratiquement stagnant.

La situation n’est pas tenable en l’état. La croissance repose sur la construction publique de capacités déjà excédentaires dans les infrastructures et l’industrie. L’effet d’entraînement de ces mesures est quasiment inexistant : elles permettent tout juste de maintenir une forme de statu quo qui, dans le contexte chinois, signifie une croissance de 5 %. Le chiffre du deuxième trimestre vient même prouver que cette stabilisation n’est pas acquise. Certains économistes prédisent une croissance qui n’excédera pas 4 % cette année.

Un tel décrochage est inadmissible pour le pouvoir central chinois, dont l’objectif est de rejoindre les puissances occidentales en termes de PIB par habitant. Aujourd’hui, ce ratio en parité de pouvoir d’achat représente, en Chine, 30 % de celui des États-Unis. Pékin ne peut donc espérer rattraper son retard avec une croissance de 4 %, supérieure de 1,5 point à celle des États-Unis. Autrement dit : pour sortir du « piège du revenu moyen » que Xi Jinping redoute depuis son arrivée au pouvoir, il faut maintenir un taux de croissance élevé.

L’objectif semble de moins en moins tenable. Ce même Xi Jinping a dû même implicitement reconnaître ce fait le 12 septembre dans un symposium à Lanzhou. Il n’y a pas évoqué l’objectif des 5 %, mais a indiqué que la Chine devait « aspirer à remplir les objectifs et les tâches de développement économique et social pour l’année ». Ce changement sémantique subtil a beaucoup inquiété les observateurs. Il traduisait sans doute une forme de panique.

Le risque est que la spirale déflationniste s’accélère et que l’ensemble du secteur privé chinois tombe en récession. Les remontées du terrain sont fort inquiétantes. Ainsi, le quotidien de Hong Kong South China Morning Post relate, mardi 24 septembre, la situation critique du secteur de la distribution chinoise d’automobiles. Le secteur est pris dans une logique de demande faible, de baisses agressives de prix et de surstockage. 138 milliards de yuans (environ 18 milliards d’euros) seraient déjà perdus par les entreprises.

Pour l’instant, la demande publique permet de réduire les effets sur l’emploi, mais le chômage des jeunes ne cesse d’augmenter. Malgré un changement de mode de calcul destiné à réduire le taux de chômage des 16-24 ans, celui-ci a bondi en août à 17,4 %, contre 13,2 % en juin. Plus la déflation sera forte, plus le maintien de l’emploi sera difficile. Or, ici, l’enjeu devient politique : le Parti communiste chinois s’appuie sur une promesse de prospérité et d’emploi qui semble de plus en plus difficile à tenir.

Panne de modèle économique

C’est dans ce contexte que Pékin a décidé de changer de stratégie et de reconnaître le caractère sérieux de la situation. Les mesures annoncées par la BPC visent à soutenir le secteur privé et à mettre fin aux difficultés du secteur immobilier. L’ambition principale est de créer un « choc de confiance » qui permette aux entreprises et aux consommateurs de reprendre leurs dépenses et de les financer par l’accès au crédit.

Sur le papier, ce réveil peut paraître bienvenu. Mais la réussite de la nouvelle stratégie chinoise reste très incertaine. Le problème de la Chine est plus structurel que conjoncturel, c’est un problème de modèle économique. La Chine reste plus que jamais l’atelier d’un monde en surproduction industrielle et son rythme de croissance dépend de la dépense publique, qui elle-même repose sur le succès des exportations.

Mais, pour maintenir son rythme d’accumulation du capital, les succès à l’export ne suffisent pas. La solution n’est-elle pas alors de soutenir la consommation des ménages en augmentant les salaires ? En réalité, cette option, qui a longtemps été un objectif, est difficilement réalisable pour le capitalisme chinois.

Les gains de productivité du pays sont trop faibles pour basculer vers un régime dominé par la consommation des ménages. La hausse de la consommation pourrait certes temporairement venir éponger la surcapacité industrielle, mais elle menacerait la compétitivité externe du pays, qui repose encore largement sur les coûts et conduirait à ajuster la dépense publique. En définitive, la croissance s’affaiblirait. C’est un phénomène bien connu en Occident dans les années 1970 : l’aboutissement du développement de la consommation de masse a été la désindustrialisation et l’affaiblissement du régime de croissance.

Pour sortir de cette contradiction, la Chine a déjà essayé la bulle immobilière, ce qui a encore aggravé la situation. L’idée de Xi Jinping de « développer les nouvelles forces productives », c’est-à-dire de faire de la Chine le centre des nouvelles technologies, a connu de beaux succès, mais il est illusoire de penser que ce secteur puisse se substituer aux secteurs traditionnels pour fournir des emplois et des revenus à la masse de la population. Le risque, là aussi, est de se retrouver face à une bulle.

L’annonce de Pan Gongsheng laisse presque penser que la BPC espère développer un régime de croissance fondé sur la financiarisation et le crédit. Mais là encore, faute de perspectives concrètes, la seule possibilité est celle d’une bulle financière qui, comme la bulle immobilière, viendra, in fine, rajouter une crise à la crise.

On compare souvent la situation actuelle de la Chine à celle du Japon des années 1990. La comparaison est en partie valable et conduit à douter du succès du « bazooka » monétaire. Au Japon, l’assouplissement monétaire n’a pas mis fin à la déflation, bien au contraire, précisément parce que les salaires étaient sous la pression de compétitivité externe.

Mais la crise chinoise est encore plus complexe, dans la mesure où la Chine n’a pas achevé son développement capitaliste et se retrouve face à des impasses qui sont celles des pays occidentaux avancés, comme la surcapacité industrielle, l’épuisement de la financiarisation et les limites de la croissance technologique.

La Chine avait réussi à déjouer toutes les crises depuis sa transition vers le capitalisme dans les années 1980. Elle avait évité le sort des pays de l’ex-URSS, n’avait pas été emportée par les crises de 2001 et 2008. Mais depuis une dizaine d’années, elle est rattrapée par la crise du capitalisme global, dont elle est devenue un maillon essentiel.

La vitesse de son développement a donc un revers : celui d’arriver plus rapidement, et bien trop tôt au goût de ses dirigeants, dans l’impasse où se trouvent les pays avancés. Le besoin continuel de croissance du capital s’oppose, en Chine comme ailleurs, aux conditions de sa réalisation. Il ne reste alors plus que la fuite en avant, pratiquée ici comme ailleurs.

Romaric Godin

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