Richard Seymour, redpepper.org.uk, 22 novembre 2018
Traduction, Alexandra Cyr
Le Brexit menace. Toutes les options sont mauvaises…Mais à quel point ? Là-dessus, nous en savons beaucoup moins qu’on ne le dit, c’est là le problème. Comme Gramsci le disait, quiconque fait des prédictions travaille à son propre programme. Cela s’applique à moi et à ce qui va suivre sans l’ombre d’un doute.
Pour ce que j’en sache, voici les principales possibilités (de cet enjeu). Soit, nous aurons une forme ou une autre de la mauvaise entente que présente Mme May qui laisse en place tout l’appareil qui vient avec le statut de membre de l’Union européenne (UE) en perdant tout droit de parole sur les décisions. D’une certaine façon, c’est une perte nette de souveraineté. Ou bien, nous n’aurons pas d’entente avec des gains de souveraineté mais un choc financier immédiat et vraisemblablement des pertes économiques à long terme. Dans cette hypothèse, l’UE demeure le partenaire commercial principal du Royaume uni et continue d’exercer une pression (sur le pays) avec ses règles et processus. Ou encore, nous retournons à la cage de fer de la bureaucratie ordolibéralei ce qui sauverait l’aile du ministre des finances antérieur, M. Osborne, dans le Parti conservateur.
Laquelle de ces options est la pire pour la gauche ? Il s’agit d’une question constitutionnelle sur laquelle la gauche à eut peu d’emprise. M. Corbyn (chef du Labour Party), n’à bénéficié que de 6% du temps de télévision accordé aux politiciens.nes durant la campagne référendaire (sur le Brexit). C’était organisé et diffusé comme s’il s’agissait d’une dispute à l’intérieur de la droite. Même aujourd’hui, peu sont au courant des critiques de la gauche envers le caractère antidémocratique et néolibéral de l’UE. La réaction spontanée chez la majorité des membres du Labour, est de penser qu’être antiraciste rime avec être pro UE. Ironiquement, ceux et celles qui restent dans le Labour ont perdu des énergies à plaider pour le maintient dans l’UE alors qu’il était possible de se centrer sur la liberté de circulation qui bénéficiait de beaucoup d’approbation chez les membres (du Parti), dans les syndicats, chez le Parlementery Labour Party (en partie dont sa direction). Ce serait adopté maintenant. La discussion avec ces membres à porté sur le pragmatisme électoral non pas sur les principes. Finalement, le Brexit demeure un débat entre libéralisme austère et chaos nationaliste. Est-ce qu’il n’y a que cette possibilité ?
Ce débat doit de toute urgence être placé dans le cadre de la nécessité de réformer le capitalisme britannique. Tout ce qui se situe en-dessous de cela est une fuite. Avant 2016, (année du référendum sur le Brexit n.d.t.) la vie de millions de travailleurs.euses britanniques n’était pas rose. Le capitalisme ne fonctionnait pas. Les chiffres officiels mettent en lumière une reprise économique lente, des profits raisonnables pour les entreprises et un haut taux d’emploi. Ça ne se reflète pas du tout dans la vraie vie. La stagnation des standards de vie règne depuis une décennie ; du jamais vu depuis le 19ième siècle. Il y a eut une augmentation financière dans le marché immobilier ce qui a poussé des jeunes dans une crise du logement. Le secteur public, surtout le système de santé, à été poussé dans le rouge. Toutes les parties prenantes de ce système sont tombées dans le rouge. Les coupes dans le bien-être social ont fait augmenter le taux de suicide. Les compagnies privées d’énergie ont augmenté leurs prix. Les P.P.P. (Partenariat public privé) ont pompé les fonds publics. Il y a eut une augmentation sérieuse dans les dysfonctionnements régionaux surtout en Angleterre et dans le pays de Galles qui ont été littéralement fermés et oubliés. Le secteur financier après avoir écrasé l’économie s’est renforcé et n’est toujours pas sérieusement réformé.
C’est en grande partie à cause de cela que le vote sur le Brexit à eut lieu. Mais plus important encore, c’est pour cela que la gauche à pris le contrôle du Parti travailliste (Labour Party) pour la première fois de son histoire. Le programme de la gauche travailliste n’est pas qu’une liste de gentilles choses à réaliser : l’éducation gratuite, des salaires plus élevés, renationaliser des entreprises, voir à la redistribution, moderniser et « verdir » les énergies, réduire le temps de travail, démocratiser les médias, développer le logement social, le développement régional, remettre les infrastructures à niveau et ainsi de suite.
Il s’est engagé à réformer l’actuel modèle capitaliste néolibéral de développement. Pour cela, il faut que le gouvernement ait une stratégie industrielle. Il n’y en a pas eut depuis des décennies. Le domaine de compétence de la banque centrale doit être réformé et le système financier doit être réorienté vers la promotion de nouvelles industries. Il faut absolument que progressivement, le pouvoir économique soit retiré à la City. Il faut de nouvelles règlementations, plus de propriétés publiques et des limites aux règles sur la compétition. Il faut un virage fondamental du pouvoir vers les travailleurs.euses.
Des millions de personnes, dont en partie des gens de gauche, ne croient pas vraiment dans les capacités de l’État à s’occuper du capitalisme. Ce n’est pas que le discours néolibéral porte tant que cela. Le soutient pour les interventions économiques est surtout faible dans la partie de la population partisane des Travaillistes. Ce ne sont pas des disciples de Ludwig von Mises et de Friedrich Hayekii. Mais, contrairement à ceux et celles qui ont grandi à l’ère des grandes corporations britanniques publiques, de l’optimisme envers les services publics et du plein essor britannique, la plupart des jeunes gens n’ont pas connu un secteur public florissant. La légende veut que la dernière fois que l’État à attrapé quelques gagnants, ça a dégénéré en « canards boiteux » et en « stagflation ». (combinaison de stagnation et inflation, N.d.t.)
L’expérience des gens avec l’État est plutôt sombre. Grâce au travail des féministes, des mouvements antiracistes et contre la guerre, nous sommes plus au fait de ses abus : de ses histoires de violence raciste, de ses guerres, de ses châtiments brutaux, des abus des forces policières, de la surveillance, des mauvais traitements infligés aux migrants.es, de sa dépendance aux armes nucléaires et de la vétusté de sa structure non démocratique. Souvent nous nous reportons à l’État comme à une structure qu’il faut restreindre. Ms Cameron et Osborne ont, pendant un certain temps, été habiles à se servir de cela. Ils ont avec le soutient des Libéraux de M. Clegg, promis de restaurer la « liberté anglaise ». Ils ont promis de mettre fin aux « ordres contre les personnes affichant de mauvais comportements (ASBO), la réforme du système des prisons et une loi sur les libertés civiles. Ils ont fait la promotion d’une « grande société » comme alternative à l’action de l’État. C’était une salade pour faire passer les politiques d’austérité.
Les marchés capitalistes laissent peu de « marge de manœuvre » comme le dit l’économiste Mises. La compétition vient avec une intense coercition sociale et économique. Mais il y a quelques choix possibles. Au moins, vous pouvez faire de ce que vous voulez de votre petite monnaie. La plupart des jeunes gens n’ont pas connu et vécu les grandes libertés sociales que donnaient le logement public à faible coût, l’éducation gratuite, un État providence généreux et une sociabilité plus étroite. Au contraire, ils ont connu et vécu avec les petites marges laissées par la liberté marchande et en plus réduites par l’État. Ironiquement, c’est précisément cette austérité voulue par la discipline des marchés et endossée par l’État, qui peut affaiblir le soutient à l’intervention étatique. On ne peut pas dire que la population croit la fable néolibérale, mais les conclusions néolibérales sont maintenant ancrées dans certaines parties de l’expérience pratique.
La réponse du Labour à cette réalité à pris le côté du vieux bon sens : contradictoire ! Il cherche à amoindrir certains aspects de la violence d’État tout en se prêtant aux exigences des demandes pour plus de police. Il tente de puiser dans la nostalgie de l’esprit de 1945 en faveur des services publics mais en même temps il mobilise en faveur des aspirations futuristes (pour une économie) verte et un développement lié aux hautes technologies. Peut-être que c’est enveloppé dans cette contradiction que John McDonnelliii à ressuscité le vieux slogan raciste : « dans l’État et contre lui ». Cela signifie l’existence d’une coalition de forces démocratiques qui occupe des postes dans la structure étatique et qui se place en conflit avec l’organisation existante dont la gestion. Mais cela veut aussi dire, si jamais cela se produisait, s’adapter aux diverses formes de cette structure actuellement en place. Je ne denonceiv pas cela. C’est inscrit dans l’engagement politique de ceux et celles qui travaillent dans des institutions rebelles au changement. Cela fait parti de la condition des militants.es socialistes à l’intérieur du capitalisme là où se reproduisent les rapports sociaux capitalistes. C’est une condition accrochée à la vie en cette époque où personne et tout un chacun ne peut exister « en dehors de l’État ». Être « dans l’État et contre lui » est un excellent point de repère pour situer toute la variété de contradictions à l’intérieur desquelles doit vivre tout.e radical.e.
Quoiqu’il en soit. Pour autant que je puisse le dire, la première fois que M. McDonnell à utilisé ce slogan, c’était durant la campagne de gauche contre le Brexit. Il traitait de l’UE autant que de l’État britannique. Il tentait de persuader la population des rester dans l’UE en dépit de l’UE : un gouvernement du Labour avec son programmes de réformes ferait face aux difficultés servies par l’UE. La Commission européenne, un corps civil non élu, serait hostile à un gouvernement de gauche radical. La Cour européenne de justice, l’organe suprême judiciaire, pourrait renverser les lois travaillistes, l’objectif ultime des institutions européennes étant d’imposer des règles sans tenir compte des gouvernements nationaux. Contrairement à l’impartial arbitre que cherchent les ordolibéraux, elles sont louangées pour ne pas être compromises par les impératifs électoraux. C’est une partie du problème pour la gauche. Mais malgré tout, M. McDonnell pensait que la moins pire des options était de se battre à l’intérieur de ce cadre non démocratique avec les difficultés que cela comporte. Je pense qu’il avait probablement raison.
Le choc des doctrines
Aujourd’hui, le dilemme est différent et semblable. La gauche est dans une meilleure position. Le Brexit est un peu plus défini. C’est un travail de longue haleine, mais le Labour pourrait prendre le contrôle du processus du Brexit en ce moment et tenter de mettre en place sont programme. La question devient donc, lesquelles des terribles options du Brexit représentent le moins de difficultés pour la stratégie réformiste du Labour ? Quel est le choix le moins pire ? L’actuelle opposition à la « sortie sans entente » et à « pas de Brexit » veut dire, qu’en pratique il va arriver à une version quelconque de la recette de Mme May ; peut-être légèrement différente mais qui ne sera finalement qu’un contrôle des dommages.
Alors, laissez-moi vous poser une question innocente : pourquoi donc, le Labour refuse-t-il de quitter l’UE sans entente ? Pourquoi cette option qui va de soi, n’est-elle pas dans son jeu ? Pourquoi n’importe quelle entente est-elle mieux que pas d’entente ? Spontanément, on répond : les conséquences économiques. Le choc financier. Les banques britanniques qui jouent le rôle de chambre de compensation pour les transactions à l’intérieur de l’UE, tomberaient dans le pire des chaos : pertes d’investissements, mises à pieds, pénuries et hausses des prix. C’est en grande partie plausible mais si seulement on l’insère dans le « Projet Peur ». Ça ne peut pas être la totalité de la réponse. Les économistes de gauche comme Larry Elliott vous diront que ces conséquences sont surévaluées et qu’elles pourraient être traitées par des interventions d’État suffisantes. En plus, liée à l’Europe centrale, l’économie britannique ne va pas particulièrement bien. Il n’est pas possible de la réformer sans une rupture quelconque. Et à différent moments de leurs carrières, Ms Corbyn et McDonnell étaient d’accord avec cela.
Je pense, que l’enjeu sous jacent est d’ordre politique. Le fonctionnement d’un Brexit dur ne peut se faire dans l’urgence par l’application de programmes. Cela va exiger une renégociation fondamentale des termes par lesquels l’économie, la société et l’État opèrent. Cela exigera des réformes de grande portée et radicales, une rupture sociale qui comporte un mélange improbable de mouvements de masse précipités dans une confrontation directe avec l’UE pour un programme politique populaire. On peut anticiper à quel point un Brexit dur pourrait devenir un Brexit « rouge », de gauche. Ce serait une expérience audacieuse. Je ne parle (évidemment) pas ici du capitalisme de style Singapore que certains.es portent aux nues.
Dans ce pays, la plupart des conflits directs avec l’État, auxquels les électeurs.trices du Labour sont exposés.es, sont avec le ministère de l’intérieur, de la défense et les agences de sécurités. Nous sommes rarement dans des conflits de cette nature avec l’UE parce qu’ils ont été arbitrés depuis longtemps. Bien sûr, la confiance dans le potentiel de services publics étendus et radicaux étant sous développés dans la conscience populaire, il n’y a pas encore de base solide pour ce genre de politiques radicales qu’il faut avoir pour que le Brexit dur fonctionne en faveur des pauvres, de migrants.es, pour les travailleurs.euses du secteur public et ainsi de suite.
Pour autant, il n’y a rien à gagner en imitant simplement le centre, les partisans.es de l’austérité et leurs alliés.es bien intentionnés.es. Si le Royaume uni retourne dans l’UE ce ne sera pas sur une base militante « à l’intérieur et contre elle ». Ça ne sera pas basé sur une position de défi. Ce sera sans aucune peur de l’alternative. Ce sera le signal clair, une fois de plus, qu’il n’y a pas d’alternative ou que toutes les alternatives sont horribles. Ce sera une leçon de chose pour les autres (États membres de l’UE). Même si l’idée d’« un peuple un vote » prévalait, et que même en mettant de côté les manières par lesquelles cela travaillerait au corps les mythes toxiques de la trahison et de la vengeance à la recherche des émotions de la droite, ce serait une décision profondément conservatrice. Ce serai la résurrection des « 4 libertés » : liberté de mouvement pour les biens, les capitaux, les services et les travailleurs-euses. Un seul de ces éléments est positif et sans ambiguïté.
De la marge de manœuvre
Où est-ce que tout cela nous mène ? Admettant que l’équipe de négociations de Mme May ait été spectaculairement incompétente. Admettant qu’elle ait recherché un Brexit conservateur qui protège les marchés et la compétition plutôt que les standards de vie et les droits. Admettant que l’entente de Mme May soit mauvaise au-delà de toutes les attentes. Admettant que dans l’éventualité d’une élection générale le Labour arriverait à la victoire que nous voulons tous et toutes, les négociations pourraient reprendre. L’UE, dans ces circonstances détiendrait toutes les cartes. Il se pourrait que le résultat soit moins pire que celui obtenu par Mme May et son équipe. Mais il faut être réaliste quant à ce que cela pourrait vouloir dire. L’UE voudrait probablement attacher les mains de J. Corbyn qui serait à la tête du gouvernement. Elle insisterait donc sur les aides gouvernementales et les règles de la compétition, entre autres choses. Le Labour négocierait donc les termes de ses entraves pour obtenir une économie assez forte pour soutenir son programme de réformes. Ce serait négocier sa marge de manœuvre. Difficile de dire quel genre d’entente pourrait en sortir quoique l’effet que donnerait une entente un peu sensible, serait probablement une poussée temporaire à l’économie.
Ceci n’est pas une condamnation de la direction du Labour. C’est plutôt un rapport sur le développement et la cohésion de la gauche britannique. Mais la situation est telle que le leadership du Labour doit dépasser ses 6 tests et détailler ce qu’il veut tirer de ces négociations et ce qu’il n’est pas prêt à laisser tomber. Et la base de la gauche doit commencer à penser comment elle fera mieux que cela à moyen et à long terme.
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