Édition du 25 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Arts culture et société

Manifestation d’artistes dimanche le 7 février dernier

Ceci n’est pas un spectacle

Le dimanche 7 février 2021, à Montréal, les artistes manifestaient pour le droit à l’accès aux arts vivants et rappelaient que la culture est un droit fondamental. Hugo Fréjabise, auteur et metteur en scène de théâtre a publié un billet sur le site de la revue Jeu. Nous le republions pour illustrer la situation actuelle dans le milieu des arts.

Épidémie – stratégie de la crise

Si nous prenons la mesure de l’épidémie, nous ne pouvons plus accepter d’être depuis un an réduit·e·s au silence et à l’isolement, ni accepter, comme nous le faisons depuis le début de l’épidémie, que les arts vivants soient écartés du débat politique et renvoyés à l’inquiétante binarité du partisan « essentiel / non-essentiel ».

L’épidémie n’a pas créé la crise actuelle dans les arts vivants et la culture (pour ne parler que de ce que nous connaissons le mieux), elle l’a révélée, elle l’a prononcée. Aussi ne réclamons-nous pas un « comme avant », nous contentant d’un « pas terrible déjà », mais appelons à une réforme fondamentale de l’industrie culturelle et de la place des arts dans la société québécoise.

Les premières mesures autoritaires de confinement et de fermetures sont en place depuis bientôt une année entière : il n’est plus cohérent d’entendre la rhétorique gouvernementale qui veut que nous soyons dans une « crise sanitaire » (« Encore une fois, ensemble, on va passer à travers cette crise. » François Legault, premier ministre du Québec, le 14 mars 2020), la crise étant définie comme une « manifestation brusque et intense, de durée limitée ». Nous sommes dans un continuum épidémique, et il nous faut composer avec cela. Il devient évident que la manière de traiter l’épidémie n’a pas été juste et que le « modèle qui a servi de cadre mental aux scientifiques et qui a justifié le confinement de pays entiers n’était pas le bon » (Barbara Stiegler, De la démocratie en Pandémie. Santé, recherche, éducation, coll. Tracts, n° 23, Paris, Gallimard, 2021).

Nous ne sommes pas dupes du mépris de notre gouvernement, à commencer par celui de madame Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications, qui s’est tout récemment exprimée : « Les artistes ont continué de travailler, poussés par ce désir de créer et de s’exprimer dans la résilience. » Madame la ministre développe son point en citant le succès de Damien Robitaille « dont les performances sur les réseaux sociaux ont été vues partout sur la planète ». Il est étrange d’avoir gardé le terme de culture dans le titre de son ministère : à en croire les déclarations, on eut pu mettre Communications en premier et se mettre la Culture ailleurs. Madame la ministre sait visiblement à peu près tout de nos désirs artistiques, loue notre résilience et nous renvoie aux vues des réseaux sociaux.

Autant dire qu’il n’y a plus rien à attendre de nos autorités élues, à moins d’un dédain de plus, d’un soutien de moins, d’une nouvelle communication. Elles ne nous entendent pas. C’est pourquoi nous ne leur parlerons pas, ce dimanche 7 février. Malgré la résilience qui nous accable, nous avons encore au cœur le souvenir de nos paroles prononcées dans les théâtres et nous savons encore ce qu’un mot peut vouloir dire. Nous ne sommes pas apôtres du vox clamans in deserto, traduction anachronico-romantique du pisser dans un violon. De toute façon, madame la ministre se fout des violons tant qu’ils ne sont pas branchés multimédia sur les réseaux sociaux et entendus « partout sur la planète ». Le gouvernement Legault n’a aucune intention de dialoguer avec nous ; pas plus nous n’avons l’intention de lui accorder un temps de parole, fut-il pour l’apostropher. Ce dimanche 7 février, nous parlerons au public – celui qui venait nous voir jouer, celui qui ne venait plus mais qu’on peut encore surprendre, celui qui n’est pas encore venu mais qui peut être surpris, celui qui ne pense pas être un public, celui qui s’en fout et tous les autres qui passent l’air de rien en faisant semblant de tout. Nous vous parlerons à vous. Nous nous parlerons à nous. Rejoignez-vous, nous avons besoin de nous !

Prendre parole et prendre acte

Nous prenons parole parce que c’est notre manière de prendre part à la Cité. De vivre. Malgré tout. L’art est politique. L’art est politique. La culture ne peut se penser en monument archive du passé ou en divertissement luxueux du présent. L’art et la culture sont en dialogue imminent avec ce qu’on appelle exister.

Si nous pouvons faire des efforts pour présenter nos créations dans des cadres sécuritaires, si nous pouvons changer les paradigmes de nos représentations en comprenant les implications de l’épidémie, nous ne pouvons nous résoudre à nous taire et à rester chez nous pour les années à venir – ou toute une vie, à en croire certaines anticipations scientifiques où l’épidémie sera désormais la norme de nos existences. L’épidémie s’installant dans nos vies, il n’est plus juste de parler d’« état d’urgence » à moins de faire de l’urgence une permanence – et si tel est le cas, nous avons notre mot à dire dans cette urgence et nous avons à dire comment nous voulons y vivre. Et nous ne voulons plus subir l’autoritarisme d’un État qui n’a rien su nous proposer d’autre que des enfermements prolongés.

Nous partageons une fois encore la pensée de Barbara Stiegler lorsqu’elle dit que « l’unique forme de prévention que connaisse ce pouvoir – celui de « bloquer la circulation du virus » en enfermant la population et en la contraignant à une vie numérique sur écran – est à la fois inefficace et destructrice. Destructrice, puisque cet enfermement de toute une population conduit à détruire progressivement la société en s’attaquant à tous ses organes vitaux en même temps : l’éducation, la culture, la recherche, la vie politique, les échanges sociaux et affectifs, le commerce, l’économie réelle et la santé publique elle-même. » (Mathieu Dejean, « Barbara Stiegler : ʺOn assiste à un basculement spectaculaire dans l’arbitraireʺ, Les Inrockuptibles, 16 novembre 2020.)

Ce rassemblement est l’occasion précipitée de se retrouver autour de ce qui nous tient debout : des chants, du théâtre, de la musique, des percussions, des invitations à ne pas se laisser séparer, de la danse, de la poésie. Dire que nous avons quelque chose à nous dire, exister, exister, tenir ensemble. Vous êtes les bienvenu·e·s. Nous sommes là pour vous, pour nous, pour vous, pour nous, pour vous raconter ce qu’est un dimanche quand il n’y a pas la police pour cartographier les espaces et quand il ne reste que la place des arts.

La manifestation avait lieu le dimanche 7 février 2021, à 14 h, devant la Place des Arts.

Pour toute demande d’informations : pasunspectacle@gmail.com

* Ce rassemblement se fera en respect des règles sanitaires et pour la sécurité de tout le monde.

** Cette tribune ne parle pas au nom de tou·te·s les artistes présent·es à la mobilisation du 7 février (du reste, comment le pourrait-elle ?), elle n’engage que son auteur.

Hugo Fréjabise

Hugo Fréjabise est auteur et metteur en scène. Français d’origine, il vit, marche et crée à Montréal. Il fonde en 2018 la compagnie Joussour avec laquelle il crée une dizaine de spectacles au Québec et au Liban. Il a publié plusieurs pièces dont L’Espoir des chiens suivi de La pluie ne met pas à son avantage chez L’Harmattan et Toujours celui qui vient de loin chez Lansman Éditeur en 2020.

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