Il faut d’abord identifier l’ennemi menaçant l’humanité d’anéantissement, guerre totale déjà enclenchée aux dépens des peuples des petites îles, des basses terres maritimes et, en contraste, des zones désertiques et semi-désertiques sans compter celles arctiques et sous les moussons. Les excès climatiques n’épargnent personne encore moins les habitants des périphéries urbaines délaissées et des zones rurales desséchées ou inondées qu’habitent les populations pauvres et racisées, et le petit paysannat. Ce n’est que le début d’un chaos trop prévisible qu’enveniment des rétroactions (albédo en baisse, fonte des grands glaciers et du permafrost, réchauffement et acidification des océans, thermoclines en déclin), aux effets encore imprécis mais déjà visibles et potentiellement effrayants car sans doute non linéaires. S’y ajoute une vitesse géologique casse-cou qui coupe court à l’adaptation des espèces et à l’agriculture faute, entre autre, de prévisibilité des saisons. L’humanité s’engage à l’aveugle sur la courbe exponentielle dont l’asymptote est sa disparition.
Qui est l’ennemi : l’humanité ou sa division contre elle-même ?
L’humanité n’est pas son propre ennemi à moins d’adhérer à la morbide métaphysique religieuse de la fin des temps, antidote tout aussi factice que celle scientiste de la technologie salvatrice. Au sortir du dernier âge glaciaire émergea la civilisation agricole suite à l’amenuisement des produits de la chasse causé par la sophistication d’une organisation sociale et d’une technologie capables de tuer du gros gibier jusqu’à l’extinction et des troupeaux en masse. En surgit la cité antique pressurisant les campagnes comme centre névralgique de la révolution néolithique. En résulta une accentuation de la naissante rupture avec la nature. Sur la base de l’apparition du surplus agricole au-delà des besoins immédiats en découla une dialectique de la science, développée par les « oisifs » vivant des surplus, et de la guerre pour se procurer les exploités les produisant. Cette dialectique demeure encore aujourd’hui la loi du mouvement de l’humanité :
« La production était développée au point que la force de travail humaine pouvait maintenant produire plus qu’il n’était nécessaire à son entretien simple ; […] : la force de travail prit une valeur. Mais la communauté à laquelle on appartenait et l’association dont elle faisait partie ne fournissaient pas de forces de travail disponibles, excédentaires. En revanche, la guerre en fournissait… » [2]
La guerre fournit son lot de populations conquises allant d’esclaves ramenés chez le vainqueur jusqu’au village tributaire en passant par le « pays » asservi payant l’impôt. La hiérarchie guerrière transforme les rapports sociaux de la société conquérante en classes, castes, genres et nationalités. Cette dialectique guerre-science, depuis son apparition, divise l’humanité contre elle-même. En Occident, « [c]e fut seulement l’esclavage qui rendit possible sur une assez grande échelle la division du travail entre agriculture et industrie […] Sans esclavage, pas d’État grec, pas d’art et de science grecs ; sans esclavage, pas d’Empire romain. Or, sans la base de l’hellénisme et de l’Empire romain, pas non plus d’Europe moderne. » [3]
Le paradoxe capitaliste : la brèche salvatrice de la hausse de la productivité, si elle n’est pas le but
Cette dialectique mortifère propulse jusqu’à aujourd’hui le développement civilisationnel [4]. Elle a pris le visage du capitalisme de plus en plus « pur » qui a spécifié la loi générale du mouvement historique en loi de la concurrence e=dont la dynamique est une accumulation infinie aux dépens d’une nature terrestre finie. Que ce soit dans la sphère stratégique de la propriété ou dans celles dérivées du pouvoir et de l’allocation des ressources, la concentration et la centralisation atteignent leurs zones limites. Loin de réguler la concurrence, elles l’exacerbent [5] et avec elles l’ensemble des contradictions sociales. Les holocaustes bouillonnent dans la marmite monde dont le couvercle risque de sauter à tout moment.
Paradoxalement, depuis le XIXiè siècle, la justification civilisationnelle de l’exploitation et de l’oppression est passée date, de même que leur corollaire de guerres :
« ...l’énorme accroissement des forces productives atteint par la grande industrie permet de répartir le travail sur tous les membres de la société sans exception, et par là, de limiter le temps de travail de chacun de façon qu’il reste à tous suffisamment de temps libre pour prendre part aux affaires générales de la société, - théoriques autant que pratiques. C’est donc maintenant seulement que toute classe dominante et exploiteuse est devenue superflue, voire un obstacle au développement social... » [6]
Cette hausse de la productivité du travail rétablit la possibilité de la réunification de l’humanité. Elle crée toutefois la possibilité de son auto-destruction. La pente accentuée de la courbe exponentielle de l’accumulation combine la nécessité de l’élargissement – approfondissement des marchés avec les moyens de se doter d’armes de destruction massive dans un contexte d’économie de guerre permanente et de guerres chaudes récurrentes. Cette contradiction existentielle posée par la hausse de la productivité, de sous-jacente à la lutte sociale des exploités et des opprimées en devient, depuis l’époque des guerres mondiales du XXs14iè siècle, le moteur principal. Mais cette prise de conscience retarde et la dialectique science-guerre persiste [7] jusqu’à tendre l’élastique au maximum.
Cette perpétuation a fait basculer l’humanité de la guerre populaire révolutionnaire anticapitaliste, qui au XXe siècle a raté sa cible par manque de conscience de sa finalité bien au-delà du contradictoire socialisme national, à la guerre totale menaçant l’humanité de barbarie jusqu’au risque de son anéantissement. Afin d’apaiser l’angoisse de ce gouffre existentiel qui devrait mobiliser toute l’humanité du 99% pour qu’elle s’attaque à la racine capitaliste du problème, la classe capitaliste la drogue par le bonheur éphémère et illusoire du consumérisme et de la société-spectacle, nouvelle religion terrestre compensatrice, mais aussi redécouverte « du pain et des jeux » antique, laquelle a remplacé l’au-delà consolateur de la vieille civilisation… faisant un triste retour réactionnaire. Le point de chute aboutit au cauchemar de l’anthropocène auto-destructeur qui a émergé il y a un demi-siècle. Le cri séculaire « socialisme ou barbarie » devient écosocialisme ou auto-anéantissement. En cas d’échec de l’humanité, l’univers passera à autre chose, les planètes habitables ne manquant pas comme l’astronomie le révèle.
Addenda québécois – Chez Québec solidaire, l’heure d’un choix fondamental
À son humble échelle de principal parti de gauche du tronqué État québécois, Québec solidaire sera confronté lors de son prochain conseil national à trancher entre l’abandon de ce défi inhérent à son programme versus le rejet de la proposition de sa direction invitant à céder à la vaine facilité du centrisme électoraliste [8]. Il est infiniment triste de voir la direction invoquer des arguments de bas étage tels le faux choix entre économie et environnement (« dépression économique ») et la soumission du marché à la planification réduite au stalinisme (« méthode autoritaire et centralisée »). Cette direction est-elle à ce point aveugle qu’elle ne réalise pas que la tendance des électorats est de délaisser le centre pour les extrêmes [9] ?
N’est-ce pas une radicale alternative qu’attendent tous ces initiateurs de petits projets écologiques, toute cette jeunesse confrontée à un siècle épeurant, tous ces nostalgiques soixante-huitards, et surtout tout ce monde du travail précarisé et appauvri ? Est-ce vrai qu’« [o]n n’est pas un petit peuple, on est peut-être quelque chose comme un grand peuple ! » ? Le peuple québécois a raté sa première tentative, au XIXiè siècle, et sa deuxième, au XXiè siècle, de libération nationale et d’émancipation sociale. À l’occasion de la Marche mondiale des femmes au tournant du millénaire, les femmes du Québec ont démontré un leadership mondial. La jeunesse étudiante québécoise a inscrit le peuple québécois en 2012 dans la saison des printemps de la révolte du début de cette décennie.
Contre la morosité des dernières années, à Québec solidaire de signaler à la face du monde que le peuple québécois est prêt à devenir le fer de lance de la lutte écologique mondiale. Il n’y aurait rien d’héroïque à le faire tellement ses conditions matérielles l’avantagent : surplus important de production hydroélectrique sans hydrocarbures ni nucléaire, industrie prédominante de transport collectif sans production d’automobiles, tradition de services publics, dans le sud peuplé une géographie fluviale facilitant le transport maritime et une zone tempérée minimisant les excès climatiques.
Pour amorcer le mouvement, il revient à la militance Solidaire de brasser la cage de sa direction en rejetant sa capitulation au marché des transnationales. À contrario, le conseil national aurait beau voter, par exemple, pour la proposition alternative suivante qui sera présente dans le cahier de résolutions :
« Que Québec Solidaire affirme que la cible de 67% de réduction en 2030 est atteignable par une mobilisation sociale dans le cadre d’une planification démocratique s’imposant au marché contrôlé par les transnationales ; et que le parti appelle à cette mobilisation sociale dans le cadre de la campagne électorale sur la base des slogans-revendications « Laissons les hydrocarbures dans le sol » et « Transport commun gratuit sur dix ans ». »
Marc Bonhomme, 5 mai 2018 www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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