Édition du 17 décembre 2024

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CHSLD et résidences de soin : Comment a-t-on perdu le contrôle

Les spécialistes des maladies infectieuses l’annonçaient depuis quelques années : une nouvelle épidémie à coronavirus allait, tôt ou tard, nous frapper. Les premières émergences (le SARS en 2003, puis le SRMO en 2012) étaient extrêmement virulentes, mais heureusement leur virus était peu contagieux. On a pu les circonscrire sans mettre toute la population en quarantaine.

2020/04/14 | tiré de l’Aut’journal

La Covid est d’une autre nature. Elle est très contagieuse : les premières estimations établissaient un indice de contagiosité entre 1,5 et 3,5 (le nombre de proches que chaque personne infectée en contaminerait, pendant sa phase active) ; les études plus récentes parlent plutôt d’un facteur de contagion moyen de l’ordre de 5,6, mais on sait que certains individus, appelés « hyper-contagieux », ont pu transmettre la maladie à plus de 20 personnes. 

Heureusement, nous disent les experts, la maladie n’est pas très virulente. Pour les jeunes de moins de 20 ans, la Covid est le plus souvent une maladie sans symptômes. Pour les adultes en bonne santé, elle provoque parfois de très sérieux effets, requiert plus rarement une hospitalisation, et entraîne même quelques décès. Mais les cas graves demeurent l’exception. Moins de 1% de décès en moyenne, tous groupes confondus. C’est 5 à 10 fois plus que la grippe saisonnière, mais bien inférieur à ce que provoquaient la SARS et le SRMO.
 
Des mesures radicales, pour les personnes vulnérables

En vérité, si ce n’était des personnes avec des problèmes de santé chronique (diabète, maladies pulmonaires occlusives, affections cardio-vasculaires ou cancer), ceux que la Covid tue trop souvent (le taux des décès grimpe jusqu’à 48%, chez les personnes de 80 ans et plus souffrant de ces maladies chroniques), il n’y aurait pas eu lieu d’engager à ce point la population dans une quarantaine collective aussi radicale. On aurait pu laisser courir la maladie, en misant sur l’immunisation naturelle.

Si nous avons fermé les écoles et les bibliothèques, les salles de théâtre et de cinéma, les musées, les centres de plein air et de sports, les restos et les bars, si on a interdit tous les grands rassemblements culturels et sportifs et mis en place cette fameuse politique des « 2 mètres » de distanciation sociale, c’était essentiellement pour protéger ces personnes vulnérables. Ces mesures, suivies bientôt par une mise en pause de toute l’économie, avaient aussi pour but de diminuer le rythme de la contagion, afin « d’aplatir la courbe » et d’éviter l’engorgement de nos hôpitaux. D’éviter qu’on doive choisir, comme en Italie, entre ceux qu’on allait soigner et les autres, qu’on devrait laisser mourir.

Cette stratégie de distanciation sociale a plutôt bien marché, si on se fie aux données quotidiennes de nouveaux cas, et au très faible taux d’hospitalisation. Quand on compare nos courbes à celle des autres pays, le Québec se range parmi les meilleurs avec le Portugal, l’Allemagne, la République tchèque ou la Nouvelle-Zélande. Et encore, l’essentiel de la contagion s’est faite à Montréal, une ville cosmopolite avec des communautés liées de très près à New-York, où la pandémie est féroce. Dans le reste du Québec, notre maîtrise de la pandémie est exceptionnelle.
 
L’échec des résidences et CHSLD

La zone noire dans notre bilan, ce sont les CHSLD et les autres résidences de soins publiques et privées. C’est là qu’on retrouve plus de la moitié des décès survenus au Québec. Or, c’est pour protéger ces aînés vulnérables qu’on nous a demandé tous ces sacrifices. Ici, on peut parler d’un échec lamentable.

Lors du premier cas rapporté, dans un CHSLD de Lavaltrie, on a identifié, comme source de l’infection, une personne proche d’un voyageur rentré récemment au pays. Le lien n’est pas certain, mais qu’importe : un seul cas suffisait, hélas, pour que le virus se soit propagé sur les étages. Réaction rapide : on a adopté de nouvelles mesures pour confiner les résidents dans leur chambre, fermer les piscines, les cafeterias, les salons. Interdire toute sortie qui ne soit pas encadrée. Bref, on a soudainement traité les aînés comme des prisonniers. Partout au Québec ! Pour leur bien, a-t-on dit.

Puis on a rapporté le cas du CHSLD Sainte-Dorothée, ou deux employés qui se sentaient malades avaient été forcés par leur employeur à demeurer au travail, parce qu’on ne croyait pas qu’ils souffraient de la Covid (ils n’en avaient pas tous les symptômes, et les tests étaient effectués avec parcimonie à l’époque). Là-aussi, le virus s’est rapidement propagé, avant même qu’on ne confirme que ces employés avaient attrapé la Covid.

Puis, ce fut la cascade. On a découvert d’autres cas de contamination ailleurs, puis d’autres encore. Les visites ne peuvent plus être la cause. Elles sont interdites depuis plusieurs semaines. C’est plutôt par le personnel soignant (médecins, infirmie-ères, préposé-es) que le mal se répand désormais.

Comment autant de centres et de résidences ont pu être contaminés, aussi rapidement ?

La réponse tient sans aucun doute à la mobilité du personnel. C’est que la pénurie générale de personnel dans les centres de soin, héritage de plusieurs années de « coupures » ou d’indifférence, a forcé les gestionnaires à faire de plus en plus appel aux agences de placement. Les ressources qu’on y obtient sont mobiles. Elles peuvent aller d’un centre à l’autre, en fonction de la demande.

Ces personnes, généralement des petits salariés, au bas de l’échelle, sont peu familiers avec les lieux, n’ont pas toujours reçu une formation et une orientation adéquates ni, surtout, les équipements de protection requis. Les masques sont rares, rappelez-vous, et on les gardait en priorité pour le personnel hospitalier. Mais, comme l’écrivait Yves Boisvert dans une chronique qu’il leur a consacrée récemment, « ils sont la première ligne, ou la dernière (…) Ces gens sont là quand il n’y a plus personne d’autre. »
 
Des mesures à prendre

Est-il trop tard ? Le mal est-il si répandu qu’il devient impossible à juguler ? Je l’ignore, mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut dès maintenant empêcher le déplacement vers les résidences encore épargnées (oui, il en reste encore !) de tout personnel provenant de centres où le virus a pris racine.

Il faut aussi tester tout le personnel soignant, dans ces centres et résidences. Au fait, quelqu’un connaît-il le taux réel de contamination parmi les employés ? Et parmi le personnel des agences envoyé en renfort ? L’a-t-on demandé au Dr Arruda, lors des rencontres de presse quotidiennes ?

Mais c’est un « catch 22 » : ce réseau de soins aux personnes âgées souffre d’un tel manque de personnel qu’on ne peut faire un tel filtrage, sans diminuer les soins aux résidents. Au contraire, le Ministère réclame même qu’on écourte la période de quarantaine pour le personnel soignant, afin que le réseau dispose des ressources humaines requises pour les soins aux résidents.

Et si on constatait que le risque de contamination par les employés est désormais plus élevé que par les proches, compte tenu de la faible prévalence de la maladie dans la population générale, ne devrait-on pas plutôt permettre à des proches-aidants de venir prêter main forte, quitte à leur donner la formation nécessaire pour s’assurer qu’ils ne vont pas répandre la maladie ? Je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais je sais que la présence des proches, auprès des malades en CHSLD ou en résidence de soins, est un facteur de qualité des soins et, surtout, de qualité de vie pour les malades, comme le soulignait récemment le pneumologue Christian Allard, qui pense lui aussi qu’on devrait rouvrir les résidences aux proches aidant.

Peut-on encore priver les personnes âgées de tout contact avec leurs familles, quand l’ennemi est, visiblement, ailleurs ? Et quand on sait que la situation risque de durer plusieurs mois encore ?

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