Synthèse
•Chine
Les quatre premières revendications sont liées à la situation immédiate (retrait complet du projet de loi ; création d’une commission d’enquête indépendante sur l’attitude de la police ; retrait de la qualification des manifestations en tant qu’« émeutes » ; amnistie des manifestants arrêtés), et la cinquième est l’exigence du suffrage universel, ce que Beijing (Pékin) avait promis dans sa Loi fondamentale (1997). Ils ont maintenu leurs protestations parce que la lutte de trois mois a révélé un fait simple : l’objectif occulte de Pékin est de mettre fin à l’autonomie de Hong Kong. Cette compréhension a incité à poursuivre la lutte, qui s’est transformée en une grande bataille pour sauver l’autonomie de Hong Kong.
Le gouvernement de Hong Kong, qui est une marionnette de Pékin, a lancé une nouvelle série d’attaques le 4 octobre, interdisant les manifestations à visage masqué en invoquant l’ordonnance de 1922 sur la réglementation d’urgence. Or cette loi avait été prise à l’époque par le gouvernement colonial britannique pour réprimer, sans succès, la grève générale menée par le syndicat des marins, alors sous la direction du PCC. Cette fois, l’acte colonial a été sorti de l’oubli par un gouvernement de Hong Kong que la Chine utilise pour sévir contre ses « compatriotes ».
Le peuple de Hong Kong s’est toujours vu refuser le droit de gérer ses propres affaires, que ce soit sous le régime britannique ou celui de Pékin. Contrairement aux Britanniques, Pékin a promis au peuple de Hong Kong le suffrage universel, mais il ne s’est jamais donné la peine d’honorer cette promesse. En fait, sous l’aspect de « l’identité nationale », Pékin s’est avéré plus répressif que les Britanniques. Bien des années avant le projet de loi sur l’extradition vers la Chine, Pékin avait déjà tenté d’imposer à Hong Kong sa version chauvine de « l’identité nationale », ce que les Britanniques n’avaient pas fait : il a essayé de faire appliquer par le gouvernement de Hong Kong le « programme national d’éducation » et la « loi sur l’hymne national », et des efforts ont également été faits pour remplacer la langue cantonaise par le mandarin dans l’enseignement. Les protestations ont empêché la réalisation de toutes ces tentatives. Par conséquent, lorsque le projet de loi sur l’extradition de la Chine a été déposé, le peuple de Hong Kong savait très bien qu’une épreuve de force avec Pékin était désormais inévitable.
Les 2 millions de participants à la marche du 16 juin ont montré que le mouvement bénéficie d’un soutien majoritaire. Il n’exige pas l’indépendance, contrairement à ce que Pékin prétend. Comme tous les anciens peuples coloniaux, le peuple de Hong Kong a également droit à l’autodétermination, y compris à l’option d’indépendance. Cependant, le mouvement de Hong Kong est unifié autour des « cinq revendications » très modérées. Un petit courant qui aspire à l’indépendance existe, mais il n’a aucune influence dans le mouvement.
Contrairement aux générations précédentes, les jeunes aspirent à une identité hongkongaise, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils veulent l’indépendance. C’est aussi une réaction aux politiques de plus en plus nationalistes et chauvines de Pékin. Soumise au PCC, la Chine est devenue actuellement une société totalitaire à laquelle peu de Hongkongais veulent s’associer, d’où l’aspiration à un « Hong-Kong libre ». La montée d’une « identité hongkongaise » n’est pas non plus un événement isolé. Il y a eu une montée du sentiment national parmi les Taïwanais, les Tibétains et les Ouïgours également. Comme dans le cas de Hong Kong, c’est aussi une réponse au chauvinisme de Pékin. On peut affirmer sans risque de se tromper que Pékin est à l’origine d’une grande force centrifuge qui s’empare désormais de la Chine. Avant d’atteindre son objectif d’unification nationale et de gloire, il perd déjà le cœur de Taïwan, du Tibet, du « Xinjiang » et de Hong Kong.
L’absence d’un courant de gauche important à Hong Kong est le reflet d’un mouvement syndical remarquablement faible. Les horribles pratiques du PCC, au nom du « communisme » et du « socialisme », discréditent continuellement les idées de gauche, créant un environnement hostile à son encontre. Cela explique pourquoi le mouvement actuel se limite encore aux cinq revendications et ne soulève aucune revendication socio-économique, malgré les énormes inégalités dans la ville. Pourtant, la jeunesse a fait appel au monde du travail au cours de la lutte, et l’effort conjoint de la jeunesse et des syndicats a permis, pour la première fois depuis un demi-siècle, le déclenchement d’une grève générale qui a paralysé la moitié de Hong Kong le 5 août. Plus la gauche pourra démontrer la force du monde du travail dans la lutte réelle, plus elle sera capable de prouver une fois de plus sa pertinence.
Pékin accuse le mouvement d’être un agent de « l’intervention étrangère ». Compte tenu de l’héritage colonial de Hong Kong, les partis pan-démocrates ont des liens à long terme avec les partis établis aux États-Unis et au Royaume-Uni. Pourtant, ils n’ont aucun rôle de premier plan dans le mouvement actuel. Ils ne jouent tout au plus qu’un rôle de soutien. Nul ne peut nier le fait que ce mouvement est dirigé principalement par des milliers de jeunes radicaux qui lui donnent son orientation. Ils n’ont aucun lien avec les partis politiques actuels et ils admirent la spontanéité à tel point qu’ils se méfient profondément de l’organisation et des partis. Ils ont une expérience politique proche de zéro. Leur inexpérience a conduit certains d’entre eux à croire que les États-Unis sont un pays véritablement démocratique. Ils ont fait des erreurs, mais ils ne sont contrôlés par aucune « force étrangère ». En fait, ils ne sont contrôlables par personne.
Une enquête récente a montré que près de 40 % des étudiants se disent « localistes », mais l’interprétation que les jeunes radicaux en font varie parmi eux. Bien avant ce mouvement, l’interprétation autochtone avait la plus grande influence parmi ceux qui se disaient « localistes ». Cependant, lorsque ce mouvement a évolué en une énorme mobilisation, il a nécessairement affiché des tendances multiples et contradictoires. Bien qu’il y ait un courant affichant un sentiment hostile aux immigrés de la Chine continentale, il y avait aussi une manifestation beaucoup plus importante tentant de gagner les visiteurs du continent. La responsabilité de la gauche est de se joindre à la lutte et de convaincre les jeunes de sa position démocratique et inclusive plutôt que de se tenir à l’écart.
Cela ne veut pas dire que les « forces étrangères » sont totalement hors de propos, ni de nier qu’elles sont intéressées à intervenir à Hong Kong. Mais Hong Kong n’est pas comparable à l’Ukraine. Alors que l’UE et l’OTAN sont de nouveaux acteurs dans la tourmente ukrainienne depuis le début du siècle, le Royaume-Uni et les États-Unis ont toujours été tacitement reconnus par Pékin comme parties prenantes à Hong Kong. La formule « un pays, deux systèmes », inscrite d’abord dans la déclaration commune sino-britannique de 1984, puis dans la Loi fondamentale de 1997, a été dès le début un compromis historique de Pékin avec l’Occident en échange de la permission de ce dernier de réintégrer la Chine dans le capitalisme mondial. La promesse solennelle de la Loi fondamentale que « le système capitaliste et le mode de vie précédents resteront inchangés pendant 50 ans » vise avant tout à garantir l’influence et les intérêts commerciaux occidentaux. C’est aussi pour cette raison que la Loi fondamentale permet à Hong Kong de conserver son droit britannique, c’est-à-dire que ses tribunaux sont autorisés à engager des juges étrangers (article 92) et il est même permis à des étrangers d’être employés comme fonctionnaires de grades inférieur à élevé, sauf au niveau des ministères et du cabinet exécutif (article 101). Ces clauses protègent efficacement les intérêts commerciaux et politiques occidentaux dans ce pays. Il n’est donc pas dans leur intérêt de déstabiliser Hong Kong. Cela explique aussi pourquoi le Royaume-Uni et les États-Unis ont discrètement dit aux pan-démocrates de Hong Kong d’accepter le paquet de réformes politiques de Pékin en 2014 avant l’éclatement du Mouvement des parapluies.
C’est le changement unilatéral de la politique de Hong Kong par Pékin, et en particulier sa tentative de déposer le projet de loi sur l’extradition vers la Chine, qui est directement responsable à la fois de la tourmente de Hong Kong et des critiques occidentales à l’égard de Pékin au sujet de ce projet. Après tout, ce projet de loi vise non seulement les Chinois, mais aussi tous les étrangers qui se trouvent à Hong Kong. Accidentellement, il y a maintenant un intérêt commun étroitement défini entre l’Occident et le peuple de Hong Kong sur la question du projet de loi sur l’extradition. Les deux veulent que le projet de loi disparaisse. Pourtant, même après le retrait du projet de loi, l’autonomie de Hong Kong est toujours en danger, et une situation délicate persiste : bien que les intérêts des travailleurs de Hong Kong soient fondamentalement différents de ceux des gouvernements occidentaux, en apparence les deux exigent que Pékin honore sa promesse concernant l’autonomie de Hong Kong. Le projet de loi étatsunien sur les « Droits humains et la démocratie à Hong Kong » montre que les élites dirigeantes américaines continuent d’essayer de lier la question de Hong Kong à leur propre politique étrangère. La gauche doit rappeler au peuple de Hong Kong que cela montre que l’Empire étatsunien ne sera jamais son véritable ami, et que ses amis démocratiques doivent être trouvés parmi les millions de travailleurs qui s’opposent à Trump.
Bien que la Chine continentale et Hong Kong soient également capitalistes, il y a une grande différence entre les deux en ce qui concerne la protection des droits humains et du droit du travail. Alors que ce dernier permet, bien qu’avec des limites visibles, l’existence d’un mouvement social, le premier n’en permet aucun. En fait, c’est cette caractéristique de Hong Kong qui inquiète de plus en plus Pékin.
Depuis le début du XXIe siècle, de plus en plus de gens sur le continent ont commencé à imiter le mouvement social de Hong Kong et à s’organiser, de manière informelle ou par le biais d’ONG. C’est le prix que Pékin a dû payer en utilisant Hong Kong pour l’aider à construire le nouveau capitalisme chinois. Pékin a trouvé de plus en plus souvent ce prix trop élevé, et depuis que Xi Jinping est arrivé au pouvoir en 2012, Pékin s’est estimé devenu assez fort pour démolir la Loi fondamentale. Cette loi tente de figer une sorte de capitalisme fondamentalement discriminant pour les travailleurs exploités, et elle est donc réactionnaire. Cependant, elle contient également des clauses qui protègent les droits humains et ceux des travailleurs. La gauche internationale doit soutenir la lutte du peuple de Hong Kong pour défendre et étendre ses droits, non seulement en raison de la valeur intrinsèque de sa lutte, mais aussi parce que cette lutte continue d’inspirer le mouvement social chinois, aussi petit et opprimé qu’il soit maintenant.
Quelles que soient les faiblesses du mouvement contre le projet de loi d’extradition, il a une grande importance historique : c’est le tout premier mouvement démocratique dans une partie de la Chine qui soit à la fois massif, radical et rebelle, si puissant qu’il a même forcé le gouvernement, soutenu par Pékin, à battre en retraite. C’est le réveil d’une conscience démocratique, vêtue d’une « identité de Hong Kong ». La grève politique a également profondément marqué la conscience des travailleurs : elle leur a enseigné la grande valeur de l’insoumission. Le mouvement de Hong Kong met également en évidence la grande faiblesse du « parfait autoritarisme » chinois. Depuis plus de quatre mois, Pékin n’a pas réussi à rétablir l’ordre dans cette ville. Hong Kong, avec son héritage colonial, pour le meilleur ou pour le pire, est devenu une douloureuse épine dans la chair du dragon. Le dragon est déjà en mauvaise santé. La mort de cette bête entre les mains d’un mouvement social progressiste est cruciale pour la transformation démocratique future de la Chine. C’est également devenu l’un des enjeux les plus importants du XXIe siècle. D’une part, la montée du capitalisme chinois a créé la plus grande classe ouvrière du monde et de l’histoire, tandis que, d’autre part, son capitalisme autoritaire est aussi l’une des plus grandes menaces pour l’humanité et le climat de la planète. Une transformation démocratique en Chine est une condition préalable à la résolution de tous ces problèmes. Cela rend encore plus urgent que jamais notre soutien à la lutte du peuple hongkongais pour la démocratie et la justice.
• Soyons avec le peuple de Hong Kong !
• Cinq demandes, pas une de moins !
• Boycott des investissements chinois à l’étranger !
• Démocratie pour Hong Kong et la Chine continentale !
• À bas la dictature du parti unique !
• Non aux interventions des gouvernements Trump et Johnson !
• Solidarité internationale entre les travailleur·e·s et toutes les forces progressistes !
Le 21 octobre 2019
Bureau exécutif de la IVe Internationale
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