Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Burundi - Un mandat de trop....

Aucun avertissement, aucune mise en garde n’y a fait. Mardi 21 juillet 2015, le président burundais Pierre Nkurunziza, âgé de 51 ans et prédicateur chrétien allumé à ses heures perdues, s’est officiellement fait « réélire » président de la République.

Publié dans le n°29 d’Afriques en lutte.

« Elire » est ici un gros mot puisque personne, quasiment, ne donnerait le moindre kopek pour parier sur véracité des résultats. Une mission d’observateurs de la Communauté est-africaine (EAC) a d’ailleurs considéré, le 24 juillet, que « le processus électoral n’a pas répondu aux principes et aux normes d’élections libres, équitables, pacifiques, transparentes et crédibles ». Le 23 juillet, la Haute représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini, avait déclaré qu’« en dépit des efforts de la communauté internationale (….) en vue de faciliter un dialogue inter-burundais, il apparait évident que les progrès dans la mise en œuvre des décisions de l’Union africaine du 13 juin et de la Communauté d’Afrique de l’est du 6 juillet sont insuffisants. Seule la mise en œuvre complète de ces décisions aurait ouvert la voie à la tenue d’élections crédibles et inclusives au Burundi dont le résultat serait représentatif. En maintenant les élections, le Gouvernement en a décidé autrement. » Quant aux observateurs de l’Union Africaine (UA) , ils sont arrivés trop tard pour observer le déroulement de l’élection sur le terrain…

De son côté, la Mission d’observation électorale des Nations Unies au Burundi (MENUB) a déclaré, le 27 juillet 2015, que « les libertés d’expression, de réunion et d’association, conditions essentielles à l’exercice effectif du droit de vote, ont été sévèrement entravées. Les violences (…) ont (…) toutefois, marqué de façon regrettable ce processus (électoral). » La déclaration de la MENUB poursuivra en constatant « que, même si le jour du scrutin était paisible et les opérations conduites d’une manière adéquate, l’environnement général n’était pas propice au déroulement d’un processus électoral libre, crédible et inclusif. ».

Le 28 juillet, le Conseil de sécurité des Nations Unies s’est d’ailleurs penché sur la situation au Burundi, sans qu’on connaisse les résultats de ses délibérations.

Le scrutin présidentiel au Burundi, pays de 9,8 millions d’habitant-e-s situé en Afrique de l’Est francophone, avait dû être reporté à deux reprises depuis le mois de juin 2015, en raison de vives protestations. Les affrontements ont fait au moins 80 morts, la plupart par balles, et 160.000 réfugiés burundais ont été enregistrés ces derniers mois dans les pays voisins (surtout au Rwanda, en RDC et en Tanzanie).

En violation de la Constitution du pays et des accords internationaux d’Arusha, entrés en vigueur en 2005 pour mettre fin à douze années de guerre civile qui avaient causé environ 300.000 morts, le président sortant avait décidé de se représenter « coûte que coûte ». Le texte constitutionnel, dont la rédaction était issue des accords d’Arusha, interdit au chef de l’Etat d’effectuer plus de deux mandats successifs (ce qui est aussi le cas en France ou aux Etats-Unis d’Amérique). Or, Nkurunziza avait adopté une interprétation « libre » du texte constitutionnel, celle qui l’arrangeait. Alors qu’en 2005, la guerre civile sanglante au Burundi n’était pas totalement terminée, une élection générale ne pouvait pas être organisée sur la totalité du territoire du pays. Ainsi, à l’époque, c’est le parlement provisoire – lui aussi issu des accords d’Arusha – qui avait élu le président. En revanche, en 2010, c’est officiellement le peuple qui a « (ré)élu » Pierre Nkurunziza ; or, à l’époque, il fut le seul candidat… tous les autres s’étant retiré, en considérant que des fraudes massives se préparaient, entachant la régularité du scrutin. Selon l’interprétation aujourd’hui adoptée par Pierre Nkurunziza, seul le second mandat qu’il a effectué (entre 2010 et 2015) doit être pris en compte, mais le premier (2005 à 2010) ne doit pas être pris en compte. Ce qui lui ouvre la voie pour un troisième mandat…
 

L’annonce de sa nouvelle candidature, officiellement faite le 25 avril 2015 lors d’un congrès de son parti, le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie), a mis le feu aux poudres et a déclenché des manifestations. Celles-ci ont été violemment réprimées, par la police, mais surtout par des milices, les « Imbonérakuré » (Ceux qui voient loin), issues de la jeunesse du parti au pouvoir. Dans ce cadre, des civils proches du pouvoir ont été armés et entrainés par les forces de répression étatiques. A la mi-mai 2015, une partie de l’armée a, quant à elle, tenté un putsch contre le président Nkurunziza, mais ce dernier se solda par un échec. Ceci probablement parce que les rangs des putschistes avaient été infiltrés par des militaires proches du pouvoir, et que les plans avaient été éventés au préalable.

Avant d’annoncer sa candidature, Nkurunziza avait par ailleurs dû surmonter des résistances considérables, y compris au sein même de son parti, dont 130 cadres récalcitrants avaient été relevés de leurs fonctions. L’Eglise catholique au Burundi, l’Administration états-unienne et l’Union européenne lui ont formellement déconseillé le troisième mandat. Le gouvernement français, lui, est en revanche resté étrangement discret voire silencieux. Aux représentant-e-s de la Diaspora burundaise et d’ONG françaises qui avaient demandé à être reçus au Quai d’Orsay pour souligner les dangers de la situation au Burundi, il fut répondu qu’ « on se mêle pas de la situation intérieure de ce pays ». En revanche, la coopération policière entre les deux pays – alors que la France formait jusqu’alors la police burundaise, et la finançait en partie – a été gelée, suite aux affrontements. 

Officiellement, 3,8 millions d’adultes burundais et burundaises étaient appelé-e-s aux urnes ; le pouvoir prétend que 73,44 % entre eux et elles auraient voté. Mais la plupart des observateurs et observatrices évoquent des bureaux de vote qui étaient souvent vide, un reportage de RFI annonçant 20 % de participation dans des quartiers dominés par l’opposition et 40 % dans ceux réputés proches du pouvoir, à Bujumbura. Concernant la capitale, Bujumbura, même le pouvoir n’a pas osé annoncer une participation forte, craignant un décalage trop visible avec la réalité observable par tou-te-s ; la participation officiellement annoncée pour Bujumbura-ville est ainsi de 29,75 %. Mais « sur les collines », comme on dit au Burundi (et au Rwanda voisin), autrement dit dans les villages, la population étaient ouvertement terrorisée par les milices. Les gens étaient ainsi contraints de voter – gare à celui ou celle qui n’avait pas l’index marqué par l’encre indélébile, dans lequel était mouillé le doigt de l’électeur ou de l’électrice !-, ou alors considérés comme « ayant voté », de gré ou de force.

Huit candidats se présentaient officiellement. Mais trois d’entre eux avaient annoncé, lors d’une conférence de presse tenue le 18 juillet – à trois jour de l’ouverture du vote -, qu’ils se retiraient de la course parce que le scrutin qui s’annonçait ne répondait pas « aux normes internationales ». Il s’agissait de Jean Minani, chef du parti FRODEBU (« Front pour la démocratie du Burundi »), et de deux anciens chefs d’Etat : Domitien Ndayizeye et Sylvestre Ntibantunganya. La CENI (Commission électorale nationale indépendante) leur a répondu que leur retrait n’était pas effectué dans les règles ; leurs noms continuaient ainsi à être marqués sur les bulletins, le jour du vote. Ce qui n’a pas dû inciter leurs partisan-e-s à aller voter. Selon les chiffres officiels, Jean Minani a obtenu 1,36 % des suffrages exprimés et les deux autres candidats retirés, moins de 1 %.

Trois autres candidats étaient visiblement là pour la décoration, étant les chefs de mini-partis considérés comme des alliés plus ou moins inconditionnels du CNDD-FDD au pouvoir. Restait un autre candidat, Agathon Rwasa, le chef d’une coalition électorale construite autour des FNL (Forces nationales de libération) qu’il anime.

Le pouvoir l’a officiellement monté en position d’ « opposant numéro 1 », lui reconnaissant 18,99 % selon les chiffres officiels (résultats qui sont tout sauf fiables…) ; dans le département du Bujumbura-rural qui entoure la capitale, il se trouve même devant le président sortant.

Après avoir contesté la validité du scrutin au cours du week-end du 25-26 juillet, c’-est-à-dire immédiatement après l’annonce des résultats officiels le 24 juillet, Rwasa s’est ravisé et a annoncé qu’il allait accepter de siéger à l’Assemblée nationale. Cette dernière avait été élue fin juin 2015 – à la date initialement prévue pour l’élection présidentielle qui avait dû, elle, être reportée -, dans des conditions tout aussi peu dignes de confiance. Juste auparavant, le 23 juillet, le président Nkurunziza avait annoncé qu’il acceptait la formation d’un « gouvernement d’union nationale »… telle que l’avait réclamé Agathon Rwasa.

Il apparaît donc que ce dernier est visiblement bien disposé à « aller à la soupe », alors même que ses propres partisans se font parfois canarder dans la rue. Cependant, même si une véritable alliance entre ces deux forces – les partisans du président Nkurunziza et celle d’Agathon Rwasa – voyait le jour, ce ne serait pas un bon signe pour l’avenir. Rwasa animait, dans un passé récent, un mouvement armé qui rivalisait avec les milices du CNDD-FDD, jusqu’à la fin de la guerre civile. Les deux mouvement étaient animés par un nationalisme Hutu, le nom initial du parti représenté par Rwasa étant d’ailleurs Palipehutu pour « Parti de la libération du peuple hutu ».

Le nationalisme Hutu est dirigé contre la minorité Tutsi (environ 15 % de la population totale, au Burundi tout aussi qu’au Rwanda voisin). Mais il faut préciser qu’à la différence du Rwanda – où les Tutsi étaient écartés du pouvoir dès avant l’indépendance des deux pays en 1962, et très tôt victimes de violences -, les élites du Burundi étaient restées longtemps issues de la population des Tutsi. C’était notamment vrai pour l’armée. Une partie des Tutsi détenait la réalité du pouvoir, et le premier président démocratiquement élu qui était issu de la population Hutu, Melchior Ndadaye, fut assassiné en 1993 après trois mois seulement au pouvoir. Si la population Hutu avait donc initialement quelques raisons de s’énerver, le nationalisme à base « ethnique » a fait ses ravages aussi au Burundi (bien que la situation globale soit différente de celle du Rwanda voisin), et ceci avant comme après 1993. La guerre civile, ayant éclaté en 1993, a vu de nombreux massacres d’innoncent-e-s sur la base de leur seule appartenance « ethnique », et parmi les victimes étaient de nombreux civils Tutsi.

Depuis les accords d’Arusha, l’ancienne réalité concernant la répartition du pouvoir est d’ailleurs dépassée, puisque ces accords instituent des quotas au niveau de l’accès aux positions dans l’armée afin d’assurer une certaine mixité « ethnique ». Le pouvoir d’attraction du nationalisme Hutu du parti au pouvoir depuis 2005, du CNDD-FDD, est par ailleurs érodé car le parti est « usé » par l’exercice du pouvoir. Mais la mobilisation des milices « Imbonerakure », depuis le début de l’année 2015 – sur fond de crise politique -, risque de revitaliser ce nationalisme à base ethnique. Tout comme l’alliance possible avec les anciennes FNL qui, elles, ne sont pas usées par l’exercice du pouvoir. Elles constituent d’ailleurs la dernière force à avoir rendu les armes, à la fin de la guerre civile : alors que les accords d’Arusha sont entrés en vigueur en 2005, les FNL n’ont renoncé aux armes qu’en 2006… avant de les reprendre pour quelques mois en 2008. Un accord spécial conclu en décembre de la même année a fini par intégrer les FNL au jeu politique, et celles-ci se sont alors transformées en parti politique civil, abandonnant la première partie du nom initial (Palipehutu-FNL). Si les deux partis, CNDD-FDD et FNL, se rapprochent, cela risque néanmoins de redonner vigueur à une certaine idéologie nationaliste.

La présence de militaires armés ayant déserté les rangs officiels dans le Nord du Burundi, aux frontières du Rwanda (dont l’essentiel du pouvoir est tenu par d’anciens Tutsi, même si les appellations « ethniques » ont été bannies dans le Rwanda post-génocide de 1994), pourraient aussi contribuer à une escalade éventuelle. Certains militaires comme certain-e-s civils considèrent, aujourd’hui, qu’après la démonstration de pouvoir de Nkurunziza qui s’est montré intransigeant et qui a impose sa « réélection » à n’importe quel prix, seule la force armée constitue encore un recours. Mais alors que des médias nationalistes hutu en Europe commencent à écrire que le Rwanda se trouve prétendument « derrière les rebelles » au Burundi, la situation pourrait s’envenimer.

Ajoutons, par ailleurs, que le passage en force de Nkurunziza constitue aussi un exemple extrêmement mauvais pour toute la région. Nombreux sont les présidents, dans l’Afrique des Grands Lacs (comme ailleurs sur le continent… bien que l’exercice n’ait pas réussi à un certain Blaise Compaoré en 2014), qui n’attendent qu’un prétexte ou une occasion pour traficoter les constitutions de leurs pays, afin de se maintenir au pouvoir. Au Rwanda voisin, la constitution interdisait un troisième mandat au président Paul Kagamé – élu en 2003 et en 2010, après avoir été vice-président depuis 1994 -, mais le parlement a donné un feu vert à une nouvelle candidature de celui-ci, le 14 juillet dernier. L’ Administration états-unienne vient de se prononcer contre ce plan, alors que les USA sont plutôt proches du pouvoir rwandais actuel.

Certes, sur le fond, le régime rwandais s’analyse différemment de celui du mégalomane Pierre Nkurunziza, dans la mesure où Paul Kagamé et son parti, le « Front patriotique rwandais » (bien que gouvernant aujourd’hui de façon autoritaire), ont « au moins » mis fin au génocide en 1994. Mais d’autres présidents nettement moins recommandables ne cherchent, eux aussi, qu’à suivre les exemples en matière de maintien au pouvoir. Tels que, par exemples, les cleptocrates au pouvoir en RDC (Joseph Kabila) et surtout au Congo-Brazzaville (Denis Sassou-Ngessou, par ailleurs un pilier de la Françafrique). Tous ces trois présidents –Rwanda, RDC, Congo-Brazzaville – étaient, d’ailleurs, initialement arrivés au pouvoir par la force des armes, bien que les situations politiques qui précédaient leur arrivée soient loin d’être identiques. La région est donc loin de connaître une stabilité politique, au sens positif du terme.

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