L’historienne est féministe. Elle situe l’évolution des femmes et leur émancipation à travers des espaces sociaux et politiques élargis, abordant notamment la démographie, l’éducation, le travail salarié et domestique, les questions religieuse et nationale de même que l’action sociale et politique des femmes. Elle met en lumière le fait que les femmes, pendant des siècles et « dans le cadre souvent étroit des contraintes qui pesaient sur elles et des normes qui dictaient leurs conduites » ont fait preuve de créativité pour améliorer leur sort. Ainsi, elles ont exploité les contradictions du pouvoir des hommes pour faire tomber des barrières, prendre des décisions en fonction de leurs désirs et de leur intérêt propres et « repousser les frontières de leur autonomie ». Conscientes du contrôle qu’on a exercé sur elles (l’impact de l’arrivée des Blancs sur le mode de vie des Autochtones, les transformations dans les modes de production et d’échange, l’autorité religieuse et celle exercée par le mari, etc.), les femmes ont su, à travers les siècles, agir afin de modifier le cours de leur destin.
« Le renforcement du patriarcat auquel on assiste se traduit aussi par une limitation du contrôle qu’elles peuvent exercer sur leur corps et leur fonction reproductrice, comme l’atteste l’adoption de nombreuses lois en ce sens », rappelle l’auteure. « C’est contre ce nouvel ordre sociosexuel que s’organise le mouvement des femmes qui, dès la fin du XIXe siècle, et pour des décennies à venir, milite pour mettre fin aux inégalités juridiques, sociales, politiques et économiques qui les maintiennent dans un état de subordination ». Madame Baillargeon soutient que ce mouvement des femmes, qui remonte jusqu’à la Nouvelle-France, trouve ses origines dans une longue tradition d’engagement social qui réfère aux qualités dites « naturelles » des femmes, soit le dévouement et la compassion. Ce n’est que durant la deuxième moitié des années 1960 que l’on connaîtra la résurgence du féminisme, où des luttes seront menées dans une perspective d’émancipation, en opposition aux « oeuvres féminines » antérieures.
D’âpres luttes
Il aura fallu que les femmes mènent de grandes batailles au cours du dernier siècle pour l’acquisition de leurs droits : en 1940, les Québécoises obtiennent le droit de vote ; en 1964, grâce à l’influence de Claire Kirkland-Casgrain, première femme nommée ministre au gouvernement québécois, on adopte la célèbre loi 16 qui met fin à l’incapacité juridique des femmes mariées ; en 1969, les hôpitaux sont autorisés à effectuer légalement un avortement, lorsque la santé physique ou mentale de la femme est en danger. Il demeure cependant illégal en d’autres circonstances jusqu’en 1988, alors que la Cour suprême du Canada invalide les dispositions de l’article 251 du Code criminel, criminalisant l’avortement. De 1975 à 1985, elles bénéficient d’avancées majeures, entre autres, grâce à l’adoption de la Charte des droits et libertés de la personne qui, pour la première fois, interdit toute discrimination fondée sur le sexe. En 1996, la Loi sur l’équité salariale est adoptée par l’Assemblée nationale. Mentionnons cependant qu’encore aujourd’hui, les travailleuses gagnent 77 % du salaire des hommes. En 1997, Québec adopte une politique familiale qui permet l’instauration de la maternelle à temps plein et des places en garderie à 5 $.
Dans son dernier chapitre, l’auteure aborde notamment des questions qui suscitent des débats dans le mouvement féministe : le port du voile ou la prostitution, par exemple. Dans le monde du travail, on observe un phénomène grandissant, soit celui du travail atypique (à temps partiel, temporaire, contractuel, travail autonome et cumul de plusieurs emplois). Ce sont les femmes qui occupent, en majorité, de tels emplois.
Emmanuelle Proulx est conseillère syndicale