Pour comprendre la portée de ce danger, il est important de rappeler quelques données. Actuellement, la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère atteint les 394 parts par million (ppm). Le CO2 est le gaz à effet de serre le plus fréquent (mais il n’est pas le seul, ni le plus puissant). Les modèles de projection les plus développés sur le changement climatique indiquent que ce n’est qu’en restant en dessous des 450 ppm de CO2 qu’il existerait une forte probabilité de maintenir l’augmentation de la température autour de deux degrés centigrades. Les scientifiques considèrent que ce seuil ne doit pas être dépassé si l’on veut éviter un changement climatique catastrophique.
Des études scientifiques estiment que pour augmenter de manière significative la probabilité de se maintenir en dessous de ce seuil, l’économie mondiale doit limiter ses émissions pour la période 2000-2050 à 886 gigatonnes de dioxyde de carbone (GtCO2). Dans la première décennie de ce siècle, 321 GtCO2 ont été émises, il ne nous reste donc plus qu’un volume disponible de 565 gigatonnes pour la période 2010-2050.
Des données avancées par l’organisation « Carbontracker Initiative » révèlent que si l’on extrait et que l’on brûle les réserves mondiales connues de combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), nous aurions des émissions supérieures à 2.795 GtCO2. Autrement dit, ces réserves contiennent 5 fois plus de carbone que la limite mentionnée plus haut de 565 GtCO2. Extraire et utiliser ces réserves pourraient entraîner une concentration de CO2 dans l’atmosphère de l’ordre de 700 ppm, ce qui bouleversait en profondeur notre planète telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Les réserves de combustibles fossiles des 200 plus importantes entreprises de charbon, pétrole et gaz du monde (entreprises présentes dans les bourses de valeurs) représentent un potentiel de carbone de 745 GtCO2. Autrement dit, si ces entreprises extraient et brûlent leurs réserves, nous dépasserions de 180 GtCO2 le volume disponible pour la période 2010-2050 (les 565 GtCO2 déjà mentionnées). Le problème est d’autant plus grave que ces chiffres n’incluent pas les entreprises d’Etat et qu’ils ne prennent pas en compte les gigantesques réserves de gaz naturel de schiste aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays.
Le problème réside bien sûr dans le fait que les réserves possédées par ces compagnies représentent une énorme source de profit. Un rapport d’évaluation de l’une de ces entreprises assume que ces réserves seront effectivement exploitées, ce qui signifie qu’elles seront extraites et utilisées. D’un point de vue purement capitaliste, cela n’a strictement aucune importance si l’utilisation de ces réserves suffit à dépasser le seuil dangereux des deux degrés centigrades. Le changement climatique n’est pas un concept comptable.
Pour le dire autrement, s’il existerait une autorité capable d’appliquer la restriction des 565 GtCO2 pour les quarante prochaines années, ces compagnies ne pourraient seulement brûler que quelques 150 GtCO2. Le reste, le carbone non injecté dans l’atmosphère, représenterait des actifs sa valeur et se traduirait en pertes colossales pour les investisseurs qui ont placé leurs capitaux dans ces entreprises.
Ces 200 entreprises mondiales de l’énergie fossile ont une valeur boursière équivalente à 7,42 billions de dollars. Les pays ayant le plus grand potentiel de gaz à effet de serre dans les réserves des compagnies cotées en bourse sont la Russie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Et dans les bourses de valeur de Londres, Sao Paulo, Moscou, Toronto et du marché australien, jusqu’à 30% de la capitalisation du marché est liée aux combustibles fossiles.
Nous sommes en présence d’un conflit aux dimensions historiques : d’un côté il y a la communauté scientifique qui prévient qu’il ne faut pas brûler ces réserves de combustibles fossiles et, de l’autre, se trouvent ces entreprises et ces investisseurs qui ont intérêt à réaliser leurs actifs (extraire et utiliser ces réserves). Qui l’emportera ? Au cours des 30 dernières années, le secteur financier mondial a été capable de dominer la politique macroéconomique. En effet, les priorités des politiques monétaires et fiscales dans le monde entier répondent aujourd’hui (y compris en pleine crise) aux besoins du capital financier. Pourquoi les choses seraient-elles différentes dans le domaine de la politique climatique ?
Il n’existe aujourd’hui aucun régime international de régulation qui permette de penser que l’économie mondiale pourra réduire son empreinte de carbone dans l’atmosphère à la vitesse requise. Le Protocole de Kyoto est une antiquité et tout ce qu’il reste est un « engagement » pour arriver à un accord en 2015 qui devrait entrer en vigueur en 2020. Le secteur financier est un nid de forces qui s’opposeront par tous les moyens à un accord qui permette d’éviter le péril d’un changement climatique catastrophique.
Source : http://www.jornada.unam.mx/2013/02/06/opinion/029a1eco
Traduction française pour Avanti4.be