Édition du 19 novembre 2024

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Canada

Boycotter pour libérer Raif Badawi ?

Maintenant que la détention du prisonnier d’opinion Raif Badawi a dépassé les quatre ans, il semble que seul un boycottage comme celui qui a fait tomber l’Apartheid en Afrique du Sud puisse le faire libérer.

Le commencement de la quatrième année d’emprisonnement de Raif Badawi a été souligné le 17 juin par de nombreux organismes qui font la promotion des droits de la personne dans le monde. Le prisonnier d’opinion condamné en 2012 à 10 ans de prison, 1000 coups de fouet et une amende d’environ 300 000 $ n’aura pas le droit de quitter ce pays pendant les dix années suivant sa libération. Après ses quatre ans de détention, il faut faire un constat. Toutes les belles promesses des États qui disent travailler pour le faire libérer ne valent rien. Non seulement, l’Arabie Saoudite n’a pas libéré celui qui est possiblement le plus célèbre prisonnier d’opinion de la planète encore détenu, mais elle s’enfonce dans l’inhumanité. Ce pays a condamné à 15 ans de réclusion l’avocat, Waleed Abu Al-Khair, qui a osé défendre Raif Badawi et d’autres citoyens qui réclament la liberté d’expression. Il a aussi exécuté plus de 150 personnes en 2015. Une partie de ceux-ci ont été décapités au sabre sur la place publique. Aucune règle internationale n’est d’ailleurs à son épreuve. Il garde actuellement 200 familles françaises en otage bien qu’elles soient sans salaire et n’aient pas de moyen d’assurer leur subsistance. Les autorités saoudites leur refusent le droit de partir et ont gelé leurs comptes bancaires.

La communauté internationale devrait donc passer à la vitesse supérieure si elle veut voir cesser cet emprisonnement injuste. Le boycottage international de ce pays et de ceux qui font des affaires avec lui est un des rares outils qui restent pour y arriver. Le Canada est un bon exemple de ces pays hypocrites qui disent vouloir faire libérer Raif Badawi, mais ne font rien. Depuis son élection, à l’automne 2015, bien que le premier ministre Justin Trudeau affirme que son gouvernement est plus humain que celui des conservateurs de Stephen Harper, il n’a pas eu plus de succès dans ce dossier. Le ministre canadien responsable des affaires étrangères, Stéphane Dion, a même trouvé tout à fait normal de vendre à l’Arabie Saoudite pour 15 milliards de dollars de blindés en avril 2016. Le fait que ce client ait été classé un des pires pays pour le respect des droits de la personne ne l’émeut pas. Le Canada serait donc un bon candidat pour ce boycottage de ceux qui sont hypocritement dans son camp.

Le Canada serait aussi une cible parfaite de ce boycottage parce qu’il se taille actuellement une place parmi les plus importants vendeurs d’armes et d’équipements militaires dans le monde. Alors qu’il occupait le 12e rang des exportateurs d’armes au monde en 2009, il était au sixième rang pour le Moyen-Orient en 2014 et au 2e rang en 2015. Pourtant, selon la Loi sur les exportations, le gouvernement doit limiter la vente d’armes et d’équipements militaires à des pays qui commettent de graves violations des droits de la personne. Une partie de ces armes ne restent d’ailleurs pas en Arabie Saoudite qui les fournit à ses bras armés. La possession d’armes canadiennes par ces divers groupes d’extrémistes qu’ils utilisent pour déstabiliser les pays voisins qui lui déplaisent est bien documentée. On voyait récemment à la télévision des rebelles yéménites avec une carabine de tireur d’élite LRT-3 de l’entreprise PGW de Winnipeg. Quand l’Arabie saoudite attaque le nord du Yémen, on peut être certain qu’il y a des armes canadiennes dans les mains de ses troupes. C’est donc par pur lucre et manque de morale, que Stéphane Dion ne défend pas suffisamment Raif Badawi pour le faire sortir de prison. Il ne révisera pas non plus la décision de vendre des blindés à l’Arabie saoudite parce qu’elle enrichit ses coffres de dollars tachés de sang. Les armes fabriquées au Canada tuent actuellement des civils en Syrie, en Irak, au Yémen et ce n’est qu’un début. L’Arabie saoudite a décidé le 17 juin de mettre de l’avant une politique plus agressive à l’égard du gouvernement de Bachar el-Assad. Elle veut imposer une zone d’exclusion aérienne et la livraison de missiles sol-air aux rebelles syriens.

Si le gouvernement canadien agit en hypocrite dans le dossier de Raif Badawi, c’est que ses citoyens appuient en majorité ce prisonnier d’opinion. Une vigile devant l’Hôtel de Ville de Sherbrooke le vendredi 17 juin soulignait le quatrième anniversaire de l’emprisonnement du blogueur. La situation de l’homme s’empire d’ailleurs alors qu’il vient d’être hospitalisé après une grève de la faim de deux jours. De l’aveu même de sa femme, après ce troisième jeûne, sa santé est mauvaise et son moral n’est pas bon.

Devant ce manque de support et l’urgence de la situation, les humanistes du monde entier devraient mettre leur argent où sont leurs valeurs. Ils devraient demander à leurs députés de faire passer des lois pour interdire tout commerce avec l’Arabie Saoudite et les pays qui lui vendent des armes. Ce boycottage doit commencer de toute urgence. Selon sa femme Haidar, réfugiée à Sherbrooke avec leurs trois enfants depuis octobre 2013, Badawi souffre de douleurs aux reins, mais les autorités de la prison refusent de lui prodiguer les soins nécessaires. S’il meurt en détention, une partie du blâme devra être partagé par le gouvernement du Canada et tous ceux qui ont fait passer leurs intérêts financiers avant les droits de la personne.

Michel Gourd

Michel Gourd

Résident de L’Ascension de Matapédia.

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