Il s’agit du sénateur Bernie Sanders qui, dans une lettre adressée au ministre des finances des États-Unis, Jack Lew, fait entre autres les propositions suivantes, lesquelles ne devraient pas étonner les citoyens grecs :
Non à plus d’austérité : « La situation économique au Porto Rico ne va pas s’améliorer en éliminant encore plus d’écoles publiques, en diminuant les pensions, en licenciant des ouvriers, et en permettant aux entreprises de payer des salaires de faim suite à la suspension du salaire minimum et la mise en veilleuse des lois du travail ».
Auditer la dette : « On a besoin de mettre sur place un audit indépendant et transparent de la dette de Porto Rico. Si une dette a été contractée en violation de la constitution de Porto Rico, il faut la mettre tout de suite de côté ».
On s’arrête ici en omettant les autres propositions du sénateur Sanders pour résoudre le problème de l’énorme dette de Porto Rico (plus de 70 milliards de dollars), non pas parce qu’elles ne nous intéressent pas (protection de la loi sur les faillites, couverture maladie universelle), mais parce que M. Sanders a pas mal de choses à nous dire sur la dette... grecque. Et en effet, c’est un vrai scandale que les maintes prises de position et les actions publiques contre la Troïka et en faveur de la libération des citoyens grecs du joug de la dette, de la part d’un homme politique américain de l’envergure du sénateur Sanders, non seulement n’ont pas fait l’objet de la moindre mise en valeur de la part des gouvernements grecs, mais restent totalement inconnues en Grèce, au moins depuis un an ! Pour qu’on puisse apercevoir les dimensions de ce scandale – pour lequel il y a évidemment des responsabilités concrètes d’hommes politiques et des journalistes grecs - il suffit de rappeler que Bernie Sanders n’est pas l’un de ces dizaines de politiciens étrangers prétendus « amis de la Grèce » dont les médias et les gouvernants grecs sont si friands traditionnellement, mais un homme politique (indépendant et socialiste) qui, vu qu’il brigue sérieusement la Présidence des États-Unis d’Amérique, se trouve presque chaque jour à l’épicentre de l’actualité américaine et mondiale !
Alors, avant qu’on ne passe aux importantes prises de position de Mr. Sanders sur la dette grecque, il serait utile d’expliquer ce que nous voulons dire quand on rappelle que le sénateur Sanders « brigue sérieusement la Présidence des États-Unis ». Selon donc un récent sondage (CNN/ORC du 19 octobre 2015), Bernie Sanders continue sa remontée (29%) et s’approche ultérieurement d’Hillary Clinton (45%) qui reste en tête des préférences des Démocrates pour l’investiture pour l’élection présidentielle. Cependant, la grande surprise se situe ailleurs : selon un sondage encore plus récent (ABC du 13 novembre 2015), Sanders qui fait un tabac parmi les jeunes, est le seul candidat Démocrate pour lequel est prêt à voter un grand nombre d’électeurs Républicains ! La conclusion est simple : le sénateur Sanders n’est pas n’importe qui et c’est pourquoi est encore plus scandaleuse la persistance des autorités, mais aussi des médias grecs, de l’ignorer, surtout lorsqu’on se souvient qu’il est un des rares hommes politiques étrangers qui soutient le peuple grec en proposant des solutions progressistes à son martyre.
Par exemple, M. Sanders a fait sensation aux États-Unis quand il s’est empressé d’accueillir avec enthousiasme la victoire du Non au référendum du 5 juillet, en déclarant : « J’applaudis le peuple de Grèce qui a dit « non » à plus d’austérité pour les pauvres, les enfants, les malades et les personnes âgées », avant d’ajouter : « Dans un monde d’énormes richesses et d’inégalités de revenus, l’Europe doit soutenir les efforts de la Grèce à construire une économie qui crée plus d’emplois et plus de revenu, et pas plus de chômage et de souffrance ». Quelques semaines plus tard, le 20 juillet, le sénateur Sanders organisait, à l’intérieur du Sénat, une conférence publique sur la crise de la dette grecque et ses conséquences internationales avec la participation d’économistes bien connus comme Stiglitz et Galbraith !
Il faut souligner que toutes les prises de position et actions de Bernie Sanders relatives à la crise grecque sont très documentées. Ce qui trahit une connaissance approfondie du problème depuis plusieurs années. En réalité, le sénateur Sanders n’est pas ce qu’on nous a habitués à appeler – bêtement - « ami de la Grèce », mais quelqu’un qui s’intéresse à la crise grecque et se tient aux cotés du peuple grec parce qu’il considère le cas grec comme emblématique d’une tragédie presque œcuménique. |1| C’est ainsi qu’il compare la récession prolongée grecque à celle de la crise américaine de 1929, tout en faisant remarquer que la crise grecque est bien pire. Et il continue en nous avertissant pertinemment : « il ne faut pas oublier ce qui s’est passé après la Première Guerre mondiale, quand les Alliés ont imposé à l’Allemagne une austérité asphyxiante... ce qui a provoqué un mécontentement de masse dont le résultat a été la montée au pouvoir d’Adolph Hitler et du parti nazi, avec les conséquences bien connues de nous tous ». Quant au troisième Mémorandum, son verdict est sans appel : « Je crois que ce plan est simplement non viable. À mon avis, l’austérité a échoué, et continuer l’austérité signifie que l’économie grecque va continuer de décevoir son peuple. Le chômage, la pauvreté et les inégalités vont augmenter bien au-dessus de leurs niveaux actuels déjà monstrueux ».
Bernie Sanders n’est qu’un honnête social-démocrate d’antan, ce qui ne suffit pas pour qu’il soit accepté par l’establishment américain. En conséquence, M. Voutsis et ses amis ne doivent pas craindre outre mesure que le sénateur américain soit élu Président des États-Unis et qu’il applique tout ce qu’eux-mêmes haïssent, abrogent et éliminent en faisant preuve d’un excès de zèle qu’aucune Troïka ne leur a demandé et qu’aucun troisième Mémorandum ne leur a imposé. Madame Clinton, qui dispose du soutien total du grand capital américain (et international), obtiendra finalement l’investiture même si notre bon Bernie Sanders mobilise et rameute d’énormes foules partout où il se présente et inspire l’ « autre » Amérique qui – évidemment – dément ce mot d’ordre traditionnel stupide et si désorientant de la gauche grecque « Américains, assassins des peuples ».
Cependant, reste une question qui n’aura certainement pas de réponse : que pensent-elles toutes ces « illustres médiocrités », politiciens, journalistes et ministres grecs, qui durant des mois ont tout fait, le plus souvent en... service commandé, pour ridiculiser et finalement, pour faire abroger la Commission pour la Vérité sur la dette publique, quand elles voient, non seulement Bernie Sanders, mais aussi les gouvernants porto-ricains (de centre-droite !), ainsi que les autorités démocratiquement élues des communes de Madrid, de Saragosse, de Cadix, de Valencia, ou même le Sénat et le Parlement d’Argentine, proposer et créer leurs propres commissions d’audit ? Qu’ont-ils à nous dire lorsque la Commission pour la Vérité sur la dette grecque qu’ils ont traînée dans la boue avant de l’éliminer |2| est en train d’inspirer par son exemple et de faire des émules presque partout dans le monde ?
Notes
|1| Voir : Sen. Bernie Sanders : From Greece to Puerto Rico,the Financial Rules Care Rigged to Favor the 1%
|2| Vue que la Commission de Vérité a encore du pain sur la planche, c’est pourquoi la campagne internationale de soutien continue et accepte volontiers vos signatures à envoyer au :
http://greekdebttruthcommission.org...
Auteur
Yorgos Mitralias
Journaliste, Giorgos Mitralias est l’un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l’appel de soutien à cette Commission.
http://www.contra-xreos.gr