Édition du 19 novembre 2024

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États-Unis

Avec des mesures restreignant l’accès à l’avortement, les États pensent avoir une chance de défier l’arrêt Roe contre Wade

Confortés par la composition conservatrice de la Cour suprême, de plus en plus d’États adoptent des lois qui mettent à mal les limites de l’arrêt Roe contre Wade. La gouverneure de l’Alabama vient de signer la loi la plus restrictive en matière d’accès à l’avortement alors qu’au Vermont la législature a pour objectif de préserver le droit à l’avortement pour le futur.

PBS News Hour, 15 mai 2019
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr

Amna Nawaz en discute avec Brian Lyman du Montgomery Advertiser, Anne Galloway de VTDDigger depuis Burlington au Vermont et Mary Ziegler de l’Université d’État de Floride. Elle est professeure de droit et auteure de plusieurs livres sur l’avortement et les politiques qui en découlent dont, After Roe : The Lost History of the Abortion Debate.

Amna Nawaz : (…) La loi HB-314 de l’Alabama interdirait la majorité des avortements à tous les stades de la grossesse. Les médecins pratiquant des avortements deviendraient des criminels.les et leur peine de prison pourrait être de 99 ans. La loi ne fait aucune exception pour les cas d’inceste ou de viol ; elle ne permet l’avortement que dans les cas de risques majeurs à la santé de la mère.

Cette loi est la dernière tentative pour limiter l’accès à l’avortement au cours des 7 derniers mois, depuis que le juge Brett Kavanaugh a été nommé au plus haut tribunal. Depuis octobre, 10 États ont adopté des lois restreignant l’avortement d’une manière ou d’une autre dont de l’interdire dès le moment ou le cœur du fœtus bat c’est-à-dire après 6 semaines de gestation environ et impose que les tissus biologiques ainsi prélevés soient ou enterrés ou passés au crématoire.

(…) Cette nouvelle loi devrait entrer en vigueur dans 6 mois mais elle sera sans doute bloquée par les tribunaux d’ici là. Cela met potentiellement l’Alabama sur le chemin de la Cour suprême et de la confrontation avec l’arrêt Roe contre Wade qui légalise l’avortement dans la totalité du pays depuis plus de 45 ans.

Nous allons maintenant examiner les efforts de 2 États pour introduire des lois contradictoires à propos de l’avortement. (…)

Brian, je vais commencer avec vous. (…) À partir de votre reportage, que pouvons-nous savoir des raisons qui ont fait que cette loi à ce contenu ?

Brian Lyman : Il n’y a qu’une raison pour laquelle cette loi a un tel contenu. Ceux et celles qui la soutiennent disent que c’est un essai pour arriver à défier directement Roe contre Wade. De leur point de vue, cette loi devrait probablement être renversée par les tribunaux inférieurs mais qu’un appel pourrait ainsi être logé à la Cour suprême. La composition (politique) actuelle de cette cour leur fait croire que l’arrêt Roe contre Wade pourrait être renversé.

A.N. : Mary Ziegler, remettez-nous cela en contexte. L’Alabama n’est pas le seul État à adopter ce genre de lois aussi restrictives. Bon nombre ont fait cet effort depuis des années. Décrivez-nous le paysage. Quel genre de lois restrictives ont fait leur chemin dans les législatures étatiques ?

Mary Ziegler : Oui. Si vous vous arrêtez sur ce qui devrait arriver devant les tribunaux, je pense que nous sommes dans une opération de longue main. Nous avons vu adopter des lois dites « du cœur battant » (avortement interdit à partir du moment où on peut entendre le cœur du fœtus battre) dont celle adoptée en Georgie récemment qui interdit tout avortement après environ 6 semaines de grossesse.

Nous avons aussi vu toutes sortes de législations progressives qui tendent à se centrer sur les avortements en dernières phases de la grossesse dont des lois qui interdisent la procédure à 20 semaines avec l’idée que le fœtus peut ressentir de la douleur à cette étape. Nous en avons vu qui l’interdisent au 2ième trimestre. Ce sont les plus courantes.

La Cour suprême est déjà saisie de quelques causes qu’elle pourrait choisir d’entendre, si elle le veut, dont une adoptée en Indiana alors que Mike Pence, (Vice-président) en était gouverneur.

A.N. : Je veux clarifier une chose, s.v.p. M. Zeigler. Aucune de ces lois super restrictives, adoptées récemment, n’est en vigueur ? Est-ce qu’elles sont appliquées sur le terrain ?

M.Z. : Non. Toutes ont soit été bloquées par les tribunaux ou ne sont pas encore entrées en vigueur. Et on ne s’attend pas à ce qu’aucune d’elles ne prenne effet ou ne soit pas référée devant les tribunaux. Donc, nous ne parlons pas du tout de lois qui seraient appliquées en ce moment ni dans un proche avenir.

A.N. : Anne Galloway, parlons maintenant du Vermont. Nous avons beaucoup invoqué les lois restrictives à l’avortement qui ont été adoptées. Mais c’est tout le contraire au Vermont. Il y a 2 projets de loi sur la table. Dites-nous ce qu’ils visent et comment ils pourraient changer l’actuelle loi sur l’avortement au Vermont.

Anne Galloway : Actuellement, rien dans la loi du Vermont ne parle de l’avortement. Il n’y a aucune restriction ni permission en vigueur. Les députés.es ont proposé une loi qui a passé avec un appui décisif à la Chambre et au Sénat et que le gouverneur républicain, Phil Scott, devrait signer.

Cette nouvelle législation donnerait une protection pour l’avortement dans tout l’État. En même temps, un amendement constitutionnel a été mis de l’avant par les députés.es pour garantir une protection plus permanente au droit des femmes de faire leur choix (en matière de maternité) dans le futur.

A.N. : Donc l’État adopte une loi et un amendement constitutionnel. Pourquoi les deux ?

A.G. : C’est parce que les législateurs.trices sont très inquiets.es de la majorité conservatrice à la Cour suprême et du potentiel de renversement de Roe contre Wade. Si cela devait arriver, des plans « ceinture et bretelles » sont déjà développés ici pour y faire face. La peur étant que plus tard, un.e gouverneur.e conservateur.trice pourrait revenir sur les règlements, retirer les fonds pour l’avortement dans notre État et restreindre l’accès via des plans d’assurance ; ce genre de procédures.

Donc, à long terme, nos législateurs.trices ont l’impression qu’un amendement à la Constitution est le meilleur moyen pour garantir aux femmes l’accès à l’avortement à l’avenir.

A.N. : Mary Zeigler, on entend beaucoup parler des restrictions mises en place. Est-ce que le Vermont est le seul État à prendre ce genre de décisions ? Est-ce qu’il y en a d’autres qui tentent ainsi de protéger les droits à l’avortement ?

M.Z. : Il y a New-York de toute évidence. C’est probablement le plus connu des cas parce que sa loi sur les droits reproductifs a soulevé beaucoup de controverse. Il y a 10 autres États qui ont déjà des protections pour les droits à l’avortement dans leurs statuts ou leur Constitution.

Des tribunaux introduisent ces protections. Par exemple la Cour suprême du Kansas a récemment prononcé un jugement qui protège sérieusement l’avortement dans sa Constitution d’État. Et d’autres sont en train de regarder cela dont le Nouveau Mexique.

Donc, nous n’avons probablement pas encore vu le travail d’autres législatures qui, comme le Vermont, tentent de créer un environnement où les droits à l’avortement seront protégés advenant le renversement de l’arrêt Roe contre Wade.

A.N. : Retour en Alabama. Brian je veux vous que vous clarifiez. La législature républicaine qui a voté cette loi n’inclut aucune exception en cas de viol ou d’inceste ? Est-ce que cela a été fait dans le but ultime qu’elle ne soit jamais appliquée ? Suis-je correcte ?

B.L. : Ceux et celles qui la soutiennent disent qu’il ne s’agit que de remettre en cause Roe contre Wade. Les retombées de la loi ont été exagérées pour qu’en cas de renversement de l’arrêt de la Cour suprême, l’État puisse se pencher à nouveau sur la question, produire sa propre loi qui à ce moment-là, pourrait comprendre ces exceptions.

Mais, il y a 2 problèmes avec ce raisonnement. Le premier c’est qu’à l’automne dernier, un amendement à la Constitution de l’État a été adopté qui stipule qu’elle ne contient aucun droit à l’avortement. Cela semble laisser penser qu’il serait difficile de considérer ces exceptions dans une ère post-Roe.

L’autre problème, c’est que la législature a accepté à une très large majorité de garder ces exceptions en dehors de la loi. Ce n’était par votes serrés. Donc, il est très difficile de voir comment la législature actuelle, pour le moins, voudrait reprendre ce débat après avoir voté si largement pour ne pas inclure les exceptions (de grossesses résultant) de violence sexuelle.

A.N. : Je veux savoir…..On entend beaucoup et on voit beaucoup de manifestants.es défendant les droits devant le Parlement de l’Alabama, protester contre ces restrictions. Est-ce qu’il y a eu des manifestations contre la loi au Vermont ?

A.G. : Oui. Le Comité du Vermont pour le droit à la vie a protesté et Mgr Christopher Coyne, l’autorité de l’Église catholique du Vermont, est aussi intervenu contre.

Mais les membres de ce Parlement ont adopté cette loi qui protège les droits à l’avortement avec une très large majorité démocrate et républicaine. Et en plus, un sondage de Pew Reasearch , montre que 70% de la population de l’État soutient le droit des femmes à prendre leur décision en matière de maternité. Donc, il y a un large appui ici. Il n’y a pas non plus de polarisation comme dans d’autres États.

A.N. : Mary Zeigler, passons maintenant à la question à un million de dollars. Bien sûr, toutes ces lois restrictives qui ont été adoptées, ce sont des moyens pour que l’une ou l’autre arrive un jour ou l’autre devant la Cour suprême ?

M.Z. : Je pense qu’il s’agit de savoir quand la Cour suprême réexaminera Roe contre Wade. Mais, je ne pense pas que ce tribunal examinera jamais ces lois extrêmes. Je pense que ça nous indique que des personnages comme Pat Robertson (télé évangéliste américain) vont se prononcer en disant que cela va trop loin et que la Cour suprême n’aime pas ce genre de loi.

Nous savons que le Juge en chef Roberts est très préoccupé par la réputation du tribunal, de ses optiques, qu’elle demeure au-dessus des controverses politiques, à tout le moins d’apparaitre comme tel. Nous savons que le juge Brett Kavanaugh, pendant ses audiences pour la confirmation de sa nomination a parlé de son respect pour la jurisprudence.

Il faudrait que la Cour renverse réellement des décennies de jurisprudence découlant de sa première décision sans donner de véritables avertissements qu’elle allait le faire. Il me semble que c’est un long parcours à accomplir.

Je pense que nous allons plutôt nous retrouver devant une démarche ou l’arrêt sera défait par petits morceaux, graduellement. Des restrictions vont être introduites petit à petit qui donneront l’idée que Roe ne compte plus dans notre ère. Il faudra donc plusieurs années pour s’en débarrasser. On peut s’attendre à un millier de coupes plutôt qu’à quelque chose de soudain ce que les législateurs.trices de l’Alabama semblent avoir à l’esprit.

A.N. : On a une idée du temps que ça prendra pour que cela arrive ?

M.Z. : Nous ne savons pas vraiment. Il se peut que ça commence prochainement ou encore, que le tribunal veuille se tenir à l’écart de cet enjeu pendant quelques années.

Je veux dire que je crois que ça peut être au cours des 5 prochaines années, mais c’est vraiment imprévisible. Il se peut que le tribunal approuve la loi de l’Alabama. Je ne gagerais pas là-dessus mais ce n’est pas hors de question.

Je pense que nous devons nous attendre à une série de décisions de justice au fil des ans, pas à quelque chose qui arrivera en 12 mois.

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