Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Aux États-Unis, Bernie Sanders fait le pari de l’enthousiasme

Le candidat socialiste à la présidentielle US compte sur une base élargie et motivée pour le porter vers l’investiture du Parti démocrate. Mais son échec en Caroline du Sud, samedi 29 février, a montré que cette stratégie avait ses limites.

Tiré de Reporterre.

Charleston (Caroline du Sud, États-Unis), reportage

Quatre ans après son échec face à Hillary Clinton, Bernie Sanders croit toujours en sa « révolution politique ». Sa campagne 2020 aux primaires démocrates est bien partie. Après deux grandes victoires dans le New Hampshire et le Nevada, il a ravi le statut de favori à Joe Biden. Ce dernier s’est toutefois rattrapé samedi 29 février avec un très bon résultat en Caroline du Sud. Bernie Sanders dispose d’une légère avance en nombre de délégués (56 contre 48 pour l’ex-vice-président) à la veille du Super Tuesday du 3 mars. Ce jour-là, quatorze États, dont les très peuplés Texas et Californie qui semblent lui sourire, se rendent aux urnes.

Le sénateur du Vermont est particulièrement fier de sa base qui a construit un efficace réseau sur le terrain. Il bénéficie du soutien de grands noms, comme la nouvelle star de la politique américaine, Alexandria Ocasio-Cortez. Et il peut compter sur une montagne de petites contributions financières. Près de 9 millions de personnes ont contribué financièrement à sa campagne depuis février 2019, pour un total de 167 millions de dollars, avec une participation moyenne de 19 dollars.

Son programme affiche les mêmes propositions phares qu’en 2016 : assurance santé universelle publique (Medicare for All), gratuité des universités et des crèches, hausse du salaire minimum, etc. « Tout ce pour quoi nous nous battons, lui l’a fait toute sa carrière. Il est fidèle à lui-même avec ses propositions. Il se préoccupe sincèrement du peuple américain. Quand il dit qu’il peut faire une différence, je le crois », assure Derik Stone, un Texan de 32 ans qui le soutenait déjà en 2016. La constance de Bernie Sanders a d’ailleurs fini par faire des émules puisque nombre de ses idées sont désormais monnaie courante au Parti démocrate.

L’enthousiasme, la clé selon Sanders

Au sujet de l’environnement, par exemple, d’autres candidats ont pris la mesure de l’urgence et font désormais, comme Bernie Sanders, du changement climatique un point crucial de leur programme. Mais peu y insistent autant que lui : « Nous avons un président qui pense que le changement climatique est un hoax. Moi je pense que Donald Trump est un hoax [canular]. Nous allons écouter les scientifiques qui nous disent avoir sous-estimé la vitesse et l’intensité du réchauffement. Des grandes villes comme Miami, Charleston, la Nouvelle Orleans, New York, d’ici la fin du siècle, seront partiellement sous les eaux », a-t-il lancé à ses soutiens lors d’un meeting à Charleston, en Caroline du Sud, la semaine dernière. Sa solution : un « Green New Deal » qui permettrait à la fois de lutter contre la crise climatique et de relancer l’économie.

De ville en ville, de meeting en meeting, le sénateur du Vermont répète son mantra à la foule : « Nous unissons le peuple : les Noirs, les Blancs, les Latinos, les Amérindiens, autour d’un agenda qui marche pour tout le monde, pas simplement les 1 % les plus riches », a-t-il ainsi lancé à Charleston mercredi 26 février. « La plus grande différence entre Joe Biden et Bernie Sanders, c’est que Bernie a un mouvement derrière lui. Medicare for all, le Green New Deal, ou encore la réforme des prisons n’auront pas lieu sans un mouvement. C’est aussi la seule façon de battre Donald Trump », estime Martese Chism, une infirmière afro-américaine de Chicago venue en Caroline du Sud faire campagne pour Bernie Sanders.

Pour l’emporter, le socialiste compte sur une « coalition multiraciale et multi-âges » et sur un enthousiasme plus fort que jamais : « Nous avons besoin de la participation la plus importante de l’histoire des Etats-Unis », a-t-il prévenu. L’infirmière Martese Chism est optimiste : « Avec Bernie, on va voir le taux de participation qu’on a vu avec Obama. Et on verra plus d’Etats républicains devenir Démocrates pour envoyer le message suivant : nous ne sommes pas racistes. » Brandon Greene, un jeune pasteur afro-américain de Charleston rencontré au meeting de Bernie Sanders mercredi, renchérit : « On ne peut pas gagner en novembre si on choisit encore un modéré qui ne pousse pas les jeunes à sortir voter. Il nous faut quelqu’un comme Bernie. »

Participation plus faible qu’espéré

Pourtant, cette stratégie de l’enthousiasme a rencontré ses limites. En Iowa, la participation a été plus faible qu’espéré, seulement 3 % de plus qu’en 2016. Et dans les bureaux de vote qui ont majoritairement voté Sanders, la participation n’a augmenté que de 1 %. Les chiffres ont également déçu dans le New Hampshire et le Nevada. Du côté de la jeunesse, électorat-clé du sénateur de 78 ans, la hausse de la participation n’a pas été remarquable non plus dans ces trois Etats. La part des électeurs votant pour la première fois a même baissé par rapport à 2016. Seule consolation pour Bernie Sanders : dans le Nevada, il a remporté le vote des « non-Blancs », principalement les Latinos dans cet Etat de l’Ouest, avec une marge de 19 points. Un bon signe pour la Californie et le Texas mardi 3 mars.

Autre limite, bien plus inquiétante : son faible succès auprès de la minorité afro-américaine. En Caroline du Sud, Bernie Sanders n’a obtenu qu’un vote noir sur cinq, contre trois sur cinq pour Joe Biden qui l’a emporté avec près de 30 points d’écart. Muhammad Hobson, un syndicaliste noir pro-Bernie rencontré la semaine dernière à Charleston, estimait que sa communauté devait « comprendre que ce qu’il propose bénéficie en premier lieu aux plus pauvres. Or c’est malheureux, mais les plus pauvres, ce sont presque toujours les Noirs ou les autres minorités. Les taxes qu’ils veut imposer ne concernent pas ceux qui gagnent moins de 29.000 dollars par an, soit une grande partie de la communauté afro-américaine en Caroline du Sud. Il faut qu’ils comprennent que c’est à notre avantage. »

La campagne de Bernie Sanders a déployé de grands efforts ces derniers mois pour rallier la communauté afro-américaine. Pour la première fois dans une campagne, le candidat peu enclin à parler de lui a accepté d’évoquer ses années de combat étudiant contre la ségrégation. Il rappelle désormais qu’il a marché avec Martin Luther King. L’Afro-Américaine Nina Turner, co-directrice de sa campagne, répète à longueur de meetings que Bernie Sanders « a une vision pour le futur ». Il a même reçu le soutien du pasteur star Jesse Jackson.

La peur d’un candidat « socialiste »

Toutefois sur le terrain, en Caroline du Sud, le public venu le voir était très majoritairement blanc. Le candidat peut se consoler en observant que 38 % des Noirs de moins de 30 ans ont voté pour lui en Caroline du Sud, contre 36 % pour Biden. Mais la tendance reste inquiétante, d’autant plus que plusieurs États du Sud (Alabama, Tennessee, Arkansas, Oklahoma), où l’électorat afro-américain est crucial, votent mardi. Et Joe Biden compte bien capitaliser sur sa performance de samedi soir. D’autant plus qu’il a perdu un concurrent important dans le camp modéré, Pete Buttigieg, qui a lâché l’éponge dimanche soir. Lui non plus n’a pas réussi à rallier le vote noir.

Dans beaucoup de ces États du Sud, une éventuelle investiture de Bernie Sanders fait peur à certains élus démocrates qui souhaitent garder leur siège au Congrès. Ils redoutent en effet de devoir défendre un autoproclamé « socialiste ». Un raisonnement que ses partisans ne comprennent pas. « Ses propositions ne sont pas radicales, s’agace le Texan Derik Stone. La santé gratuite, ce n’est pas radical. L’éducation gratuite non plus. Ce sont des droits humains de base. Il y a 20 ans lorsqu’on se battait pour le mariage homosexuel, c’était une idée radicale. Peut-être que dans 20 ans, on pensera à aujourd’hui en se disant qu’on était fous de penser qu’il s’agit d’idées radicales. »

Le candidat est bien conscient du bras de fer qui l’attend avec le camp modéré du Parti démocrate qui a déjà commencé à s’organiser contre sa candidature. « L’establishment est de plus en plus nerveux au sujet de notre mouvement », prévenait Bernie Sanders mercredi à Charleston. Derik Stone s’inquiète de ce manque d’unité : « Il faut qu’ils fassent attention aux mots qu’ils utilisent car les Républicains vont les utiliser contre nous si Bernie obtient l’investiture », prédit-il. Vendredi lors d’un meeting Caroline du Sud, Donald Trump s’est amusé à faire un sondage auprès de la foule de ses partisans. Qui de Joe Biden ou de Bernie Sanders serait le candidat le plus facile à battre ? Le public a répondu Bernie Sanders. De quoi semer encore un peu plus la zizanie à gauche.

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