Le Parlement argentin vient de donner son feu vert pour verser 10 milliards de dollars aux créanciers qui ont refusé de participer à la restructuration de la dette argentine en 2005 et 2010. Parmi ces créanciers qui ne détenaient que 7 % de cette dette, on trouve plusieurs « fonds vautours », ces fonds d’investissements qui rachètent à prix bradés des créances sur les États puis les poursuivent en justice dans le seul but de réaliser des profits colossaux.
Le plus célèbre d’entre eux se nomme NML Capital. Son siège se trouve dans un paradis fiscal (Îles Caïmans) comme la plupart des fonds vautours. Il va recevoir 2,28 milliards de dollars, une somme vingt cinq fois supérieure à ce qu’il a déboursé pour racheter des titres de la dette argentine après le défaut de paiement de l’Argentine en 2001. Comme le relève la loi belge contre les fonds vautours adoptée en juillet 2015, l’une des caractéristiques de ces spéculateurs est de profiter de la détresse financière des États pour racheter à très bas prix des créances sur ces pays puis de réclamer 100 % de la valeur faciale plus les intérêts. A côté de ces fonds d’investissement, on trouve aussi des banques comme la BNP Paribas qui va recevoir 52,4 millions de dollars ; ce qui représente 150 % de la valeur nominale des créances qu’elles détenaient sur l’Argentine (1).
La suspension par les autorités argentines du paiement de la dette argentine afin de donner la priorité à la population durement frappée par la crise en 2001 s’était accompagnée d’une rupture avec le FMI en raison de sa responsabilité dans cette crise. Cette décision a été bénéfique pour l’économie argentine qui a enregistré un taux de croissance de 7 à 9 % de 2003 à 2009 alors que le pays n’avait plus accès aux marchés financiers. Mais depuis l’élection de Mauricio Macri fin 2015, le FMI, qui sert les intérêts financiers tout comme Macri, s’apprête à faire son retour en Argentine. Sans surprise, le FMI applaudit l’accord conclu avec les vautours car il va permettre à l’Argentine de se réendetter sur les marchés financiers… pour payer ces spéculateurs. Le gouvernement argentin s’apprête à émettre de nouveaux titres de la dette pour 12,5 milliards de dollars à des taux d’intérêt d’au moins 8 %. (2)
Le droit, terrain de jeu des fonds vautours
Cette victoire des fonds vautours a aussi des conséquences au niveau mondial puisqu’elle les encourage à poursuivre leur entreprise funeste en s’appuyant sur la jurisprudence « Griesa » du nom de ce juge new-yorkais qui a donné raison aux fonds vautours contre l’Argentine sur des bases juridiques très contestables. L’argent empoché sur le dos du peuple argentin pourra aussi leur servir à se payer d’autres actions en justice contre d’autres États et à faire du « lobbying » auprès des décideurs politiques pour que ces derniers ne changent pas les lois ; le droit étant le terrain de jeu des fonds vautours. Rappelons que NML Capital appartient au groupe Elliott qui est dirigé par le milliardaire Paul Singer, un des principaux donateurs du Parti républicain aux États-Unis. Son fonds vautours est bien connu des dirigeants politiques puisqu’il gagne des procès depuis une vingtaine d’années contre des pays aussi divers que le Pérou, la Côte d’Ivoire, le Panama, la Pologne, le Vietnam ou encore la RDC.
Offensive contre la loi belge
Aucun pays n’est à l’abri. En Europe, la Grèce a été attaquée en 2012. Aujourd’hui deux fonds vautours dont NML Capital s’en prennent à la Belgique en demandant à la Cour constitutionnelle belge d’annuler la loi de juillet 2015. Cette loi, écrite avec l’expertise du CADTM et des coupoles CNCD et 11.11.11, interdit à toute personne qui rachète une créance de réclamer plus que le prix d’achat qu’il a payé pour acquérir cette créance lorsque deux conditions (au minimum) sont réunies. Pour qu’un créancier soit débouté de son action en Belgique, la condition obligatoire est « l’existence d’une disproportion manifeste entre la valeur de rachat de l’emprunt ou de la créance par le créancier et la valeur faciale de l’emprunt ou de la créance ou encore entre la valeur de rachat de l’emprunt ou de la créance par le créancier et les sommes dont il demande le paiement ». A côté de ce critère obligatoire, le juge belge doit également identifier au moins un élément listé avec précision dans la loi comme la situation de détresse financière de l’État au moment du rachat de la créance ; la domiciliation du créancier dans un paradis fiscal ; son refus de participer à la restructuration de la dette ou encore l’impact néfaste de son action sur les conditions de vie de la population de l’État attaqué. Si tel est le cas, l’avantage poursuivi par le créancier est qualifié « illégitime » (3). En conséquence, il ne pourra recevoir que le montant qu’il a déboursé pour racheter la créance, y compris dans le cas où il a obtenu une décision favorable à l’étranger (comme un jugement rendu aux États-Unis).
Cette offensive des fonds vautours contre la loi belge devrait pousser le gouvernement à agir au niveau international en promouvant cette loi afin qu’un maximum d’États adoptent des lois similaires et mettent ainsi en échec les fonds vautours devant les tribunaux. Le gouvernement belge devrait aussi, au moins pour des raisons de cohérence, soutenir les initiatives internationales pour obliger les vautours à participer aux restructurations de dettes. Au lieu de cela, le gouvernement prend des positions totalement à l’opposé. En septembre 2015, la Belgique n’a pas voté en faveur de la résolution de l’ONU visant à mettre en place un cadre juridique international pour les restructurations de dettes publiques. L’adoption d’un tel cadre permettrait pourtant d’entraver l’action des fonds vautours.
La Belgique doit aussi mettre en application les résolutions parlementaires qui demandent la mise en place d’un audit de ses créances pour identifier et annuler toutes celles qui sont odieuses. Une partie de la dette argentine est clairement odieuse car elle a été contractée pendant la dictature qui a sévi entre 1976 et 1982, une période marquée par 470 opérations frauduleuses relatives à l’endettement, selon les juges argentins (4).
Notes
(2) http://www.ft.com/cms/s/0/2869acbe-dfbe-11e5-b67f-a61732c1d025.html#axzz44ZSak7cD