Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Du budget fédéral Libéral au Conseil national du Parti Québécois

Ambigüe réponse indépendantiste au faux progressisme fédéral

Le gouvernement Libéral canadien, soutenu par le NPD qui fait semblant de ne pas les appuyer, s’en tire avec un budget 2024-25 d’apparence progressiste « pour les jeunes » si on ignore l’importante hausse des dépenses militaires, le soutien aux entreprises par le biais de l’intelligence artificielle sans compter les remises fiscales pour les PME… de 500 employés et moins, les subventions implicites aux grands épargnants par le biais de la hausse de 20G$ des frais d’intérêts depuis deux ans même si c’est pas mal moins qu’il y a 20 ans, l’abolition de 5 000 postes de fonctionnaires et des coupes de 10G$, la baisse du soutien à la lutte climatique comme si la taxe carbone allait tout régler et, last but not least, l’incarcération des migrants dans ses pénitenciers fédéraux. On repassera pour le progressisme. Pas étonnant que le Canada soit le champion des bas déficits et de la moindre dette nette (voir graphiques), et de loin, parmi les pays du G7 n’en déplaise aux éternelles complaintes des Conservateurs et économistes patentés sur le sujet au nom des saintes productivité et compétitivité néolibérales.

Ce ne sont pas le « programme national d’alimentation scolaire » et le « régime national d’assurance médicaments » à fonds minimalistes qui vont changer la donne. Par une habile politique de communication rompant avec la tradition du secret budgétaire, les Libéraux fédéraux auront donné l’impression d’un virage à gauche conclu par la hausse de l’imposition des gains en capital pour le 0.13% des plus riches contribuables ce qui « n’a rien de révolutionnaire, rappellent les experts, puisque la proportion taxée du gain en capital était la même, voire supérieure (75 %), de 1988 à 2000 » sans compter que « le Canada demeure tout de même le pays du G7 ayant le plus faible taux d’imposition effectif des entreprises, ce dont le gouvernement se vante par ailleurs. » Le FRAPRU a beau se réjouir des annonces en trombes sur le logement, de loin celles les plus mises en lumière, il doit admettre « que les ménages locataires à faibles et modestes revenus qui sont pourtant les premières victimes de cette crise [du logement] sont ceux qui seront les moins bien servis par les annonces budgétaires. » En effet, « il n’y a aucun objectif de logements sociaux » mais plusieurs mesures de soutien aux investisseurs privés et aux futurs propriétaires y compris pour les infrastructures afférentes à leurs projets.

La nouvelle tactique communicationnelle des Libéraux fédéraux, dont le coup de grâce était le déficit sous contrôle à l’encontre de l’avis des experts à cause principalement d’une meilleures conjoncture, avait certes pour but immédiat de redorer leur blason bien terni vis-à-vis les Conservateurs fédéraux très en avance dans les sondages. On ne peut toutefois exclure une motivation plus stratégique de centralisation des pouvoirs en termes de politique sociale vis-à-vis les provinces quoiqu’en dise la Constitution canadienne. La conjoncture est d’autant plus propice que les provinces les plus récalcitrantes, Alberta, Saskatchewan, Ontario, Québec et Nouveau-Brunswick, sont sous gouvernance carrément droitiste passablement chiches en termes de politique sociale ce qui met en évidence l’apparente générosité fédérale. La cerise sur le gâteau, ou la plus forte tape dans la face, était réservée au Québec nationaliste qui blâme l’immigration pour excuser une pingre politique du logement.

Le clash de deux stratégies avec porte de sortie mais discours dans le mille

Côté du gouvernement de la CAQ, on a eu droit aux éternelles et impuissantes jérémiades sur l’ingérence fédérale (progressiste) dans les affaires québécoises (conservatrices). Comme retour au duplessisme, on ne fait pas mieux. C’est du côté du Partie québécois (PQ), en tête des sondages, où l’affaire se corse. En réaction au budget Libéral esquissant le programme de la probable élection canadienne de 2025, le PQ a clamé sa stratégie en vue de la probable élection québécoise de 2026. Ce serait rien de moins que la dernière élection provinciale ouvrant la voie au (troisième) référendum de la dernière chance. Ce sera, selon le PQ, vivre ou périr (à petit feu) — « un État de plus en plus unitaire dans le cadre duquel notre poids politique sera moins du cinquième des voix. On est cuits. » — comme nation dont la langue commune est le français. « ‘’Le fait français n’a pas d’avenir dans cette fédération canadienne’’, a lancé M. St-Pierre Plamondon ».

Le chef péquiste a compris que le repli « étapiste » n’était plus une option programmatique… à moins que le résultat électoral ne l’impose de facto faute de vote majoritaire peu probable sauf une vague irrésistible. Le PQ pourra alors commodément blâmer la CAQ, les Conservateurs, Québec solidaire et même les Libéraux québécois auxquels il tend la main car « [n]otre adversaire réel, c’est le régime politique fédéral ». N’empêche, le discours est radical et pertinent. Il y est question de « triste histoire des francophones et des peuples autochtones dans ce régime d’origine coloniale ». Passer outre à l’ingérence budgétaire fédérale, « la ‘’plus grande séquence d’empiètements’’ de l’histoire sur les champs de compétence du Québec », « [c]’est vraiment oublier l’histoire récente, comme le rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne sans le Québec, d’oublier l’œuvre de Pierre Elliott Trudeau, d’oublier ce que les francophones ont vécu dans les déportations, les exécutions, l’interdiction d’avoir de l’éducation en français », at-il dit. »

Comme le Parti socialiste des années 1960, Québec solidaire rate la coche

Les Libéraux, québécois comme fédéraux, ont immédiatement soit saisi leur chance de polarisation du discours politique soit compris le danger étant donné le caractère roulette russe de cette stratégie qui joue « le tout pour le tout » sur fond de « polycrise ». Les premiers se contentent de traiter ce «  discours de ‘’déconnecté’’, d’’’exagéré’’ et de ‘’radical’’ ». Le lieutenant québécois du parti fédéral n’y est pas allé avec le dos de la cuillère en parlant de propos « profondément décevant et même inquiétant » utilisant « des termes de violence ». Eh oui, M. Rodriguez, le nettoyage ethnique acadien et la répression de la révolte des Patriotes tout comme celui du soulèvement Métis et des luttes contre la conscription, l’occupation du Québec par l’armée en 1970, événements davantage suggérés qu’explicitement mentionnés par le chef du PQ, furent violents.

De son côté, Québec solidaire a raison d’appeler l’immigration « en renfort » dans l’industrie de la construction pour résorber la crise du logement à l’encontre de la CAQ et du PQ identitaires. Ce dernier accuse Ottawa d’« abuse[r] de ses pouvoirs en immigration » pour « déstabiliser le Québec ». Mais il a tort de comprendre le discours du chef péquiste comme étant « conservateur » et « empreint de ressentiment », de « catastrophisme ». Encore une fois, l’économiste et tacticien Québec solidaire, adepte des projets de loi Françoise David, passe complètement à côté de la substantifique moelle historique de la question nationale. Le parti paraît imperméable à la liaison stratégique de la libération nationale à l’émancipation socio-écologique. C’est seulement libéré du Canada financier-pétrolier, écrasant, par son refus de reconnaître constitutionnellement la nation québécoise, et humiliant, par son Quebec bashing, que le Québec populaire aurait la liberté d’esprit et l’élan politique nécessaire pour faire le pari de la sobriété énergétique sans étalement urbain et sans agro-industrie.

Le chef du PQ a lancé un ballon que Québec solidaire, au lieu de le rattraper au bond, a botté en touche. Rien de surprenant que le PQ dame le pion à Québec solidaire après que ce dernier l’eut un moment surpassé. Ce dépassement, le Parti socialiste du Québec(PSQ), présidé par le jeune Michel Chartrand, n’avait pas su l’accomplir par refus de s’approprier l’indépendantisme« [Le PSQ] hésite devant la thèse de l’Indépendance du Québec et se réfugie dans celle de l’État associé » — qui surgissait sur la scène politique au début des années soixante. Mais voilà que Québec solidaire, dans un relent d’atavisme politique, donne l’impression de vouloir imiter à sa manière le PSQ qui avait raté la coche au profit du Rassemblement pour l’indépendance national (RIN). Plus tard, le RIN a laissé la place au PQ qui a ruiné la cause de l’indépendance en la néolibéralisant.

Marc Bonhomme, 19 avril 2024 www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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