Le Programme objectif Emploi, pierre angulaire du projet de loi n° 70, s’adresserait aux personnes qui font une première demande d’aide sociale et qui n’ont pas de contrainte médicale à l’emploi reconnue. Sur les 17 000 nouvelles demandes, une forte proportion provient des jeunes ou des personnes immigrantes. Or, lorsqu’elles font une première demande d’aide sociale, ces personnes sont souvent aux prises avec des difficultés immédiates telles qu’une menace d’éviction, la rupture avec leur réseau social, un faible niveau de scolarisation ou même de l’analphabétisme, de la discrimination à l’embauche, ainsi que des problèmes de dépendances ou de santé mentale. Pensons aussi aux personnes en situation d’itinérance qui arrivent dans les ressources sans revenus et sont accompagnées justement dans leur première démarche d’accès à l’aide sociale. Une démarche contraignante ne prendrait pas en compte leurs réalités. Les pénaliser, parce qu’elles ne seraient pas en mesure de suivre un plan obligatoire d’intégration à l’emploi, ne semble clairement pas la meilleure voie pour favoriser leur réinsertion.
Depuis plusieurs années déjà, le taux d’assistance sociale ne cesse de baisser. De 802 000 personnes assistées sociales en 1995, on en compte environ 436 000 en 2015. Depuis vingt ans, les personnes qui quittent l’aide sociale sont donc plus nombreuses que celles qui y font leur entrée. Selon Serge Petitclerc du Collectif pour un Québec sans pauvreté, « la présence à l’aide sociale est beaucoup plus liée à la situation économique du Québec et à sa démographie qu’au prétendu manque de volonté de la part des personnes ». Le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, nommé par le gouvernement du Québec, fait la même analyse et reconnait qu’« on compte beaucoup sur le développement de l’employabilité des personnes, alors qu’il faudrait tabler davantage sur la création d’emplois qui permettent d’intégrer les personnes exclues du marché du travail ».
Dans la dernière année, près de 116 000 adultes assistés sociaux ont participé volontairement à des mesures d’emploi, soit un adulte sur trois. « Il est faux de prétendre que les personnes assistées sociales ne font rien pour s’en sortir. En fait, ce que constatent les organismes sur le terrain, c’est qu’il manque de mesures d’emploi et que celles disponibles sont souvent mal adaptées aux besoins et aux aspirations des gens. L’approche obligatoire ne changera pas le taux de succès de ces mesures. Par contre, elle renforcera les préjugés et surtout les barrières pour les personnes qui ne participeront pas », affirme Yann Tremblay-Marcotte, porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales du Québec.
Rappelons que le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale ne prévoit aucune nouvelle mesure et que les sommes budgétées sont inférieures à celles qui étaient consacrées au programme Alternative jeunesse, un programme d’insertion maintenant aboli qui s’adressait au moins de 25 ans. « Il est impératif d’améliorer le soutien offert aux personnes assistées sociales pour qu’elles sortent de la pauvreté de façon durable. Nous réclamons plus de mesures, volontaires, et qui respectent la dignité des personnes. Un emploi précaire et peu rémunéré à l’autre bout du Québec, ce n’est pas ça qui va offrir une solution à long terme ! », dénonce Nathalie Rech, au nom de la Coalition pour l’accessibilité aux services des centres locaux d’emploi.
La coalition Objectif dignité s’inquiète des retombées du projet de loi n° 70 sur les personnes assistées sociales, d’autant que la plupart des critères seront fixés ultérieurement par un règlement qui ne sera pas soumis à débat à l’Assemblée nationale. Le ministre Hamad, dont le pouvoir arbitraire est ainsi accru, a déclaré qu’une personne qui serait considérée récalcitrante pourrait voir sa prestation coupée de moitié. « Hamad fait fausse route avec son projet de loi », renchérit François Saillant du Front d’action populaire en réaménagement urbain, « c’est seulement par l’amélioration du revenu qu’on peut sortir de la pauvreté, certainement pas en coupant une prestation de 616$ qui ne permet même pas de combler les besoins de base. Il faut assurer à tous et toutes un revenu décent avant tout ».
La coalition Objectif dignité revendique une hausse de la prestation de base pour tous et toutes, une hausse du financement pour les mesures d’emploi et davantage de mesures volontaires permettant à toutes les personnes assistées sociales d’accéder au marché de l’emploi ou de développer leur participation sociale, dont des mesures d’alphabétisation, des mesures adaptées aux personnes avec diverses limitations fonctionnelles (physiques, sensorielles, intellectuelle, autisme, santé mentale, etc.) et l’accès aux programmes d’études reconnus du ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (études secondaires, collégiales, professionnelles, etc.). De plus, davantage de fonds devraient être investis pour améliorer l’accès à l’emploi aux personnes en situation de handicap, dont des prestataires avec contraintes sévères qui seraient aptes au travail. Obliger les uns alors qu’on en exclut d’autres qui souhaitent avoir accès à des mesures d’employabilité ou d’insertion sociale est absurde.
Afin d’être en mesure de proposer des modifications de qualité au projet de loi n° 70, la coalition Objectif dignité exige la tenue d’une commission parlementaire générale et non des audiences sur invitation seulement, ce qui permettrait à plusieurs groupes, dont la coalition Objectif dignité, de se faire entendre. Le ministre Hamad doit aussi tenir compte des résultats de sa consultation publique en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Enfin, une étude d’impact exhaustive devrait également être menée et rendue publique avant la commission parlementaire. Les personnes assistées sociales, et la société en entier, méritent mieux que des modifications faites à l’aveuglette qui n’apporteront aucune solution réelle à la question de la pauvreté.
Les membres de la coalition Objectif dignité réalisent aujourd’hui même une opération de sensibilisation auprès des agents et agentes dans plusieurs Centres locaux d’emploi au Québec.
Font partie de la coalition Objectif dignité :
Association québécoise des centres d’intervention en dépendance
Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues
ATD Quart Monde
Coalition pour l’accessibilité aux services dans les Centres locaux d’emploi
Collectif pour un Québec sans pauvreté
Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec
Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail
Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec
Fédération des femmes du Québec
Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
Front commun des personnes assistées sociales du Québec
Front d’action populaire en réaménagement urbain
Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi
Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec
R des centres de femmes
Regroupement des auberges du coeur du Québec
Regroupement des comités logements et association de locataires du Québec
Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec
Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec
Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal
Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes
Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles