À chaque nouvelle campagne électorale, ça recommence. Des tas de gens bien intentionnés nous répètent jusqu’à la nausée qu’il faut aller voter, que c’est un devoir de citoyen.ne, que des gens se sont battus pour obtenir le droit de vote, que le contraire du droit de vote, c’est la dictature, et que ne pas y aller nous interdirait toute critique du gouvernement en place parce que nous aurions consenti tacitement à son élection.
La campagne au Québec ne fait que commencer et je suis déjà fatiguée…
Ça me rappelle, dans mon enfance, les bonnes sœurs et les curés qui nous répétaient que si nous n’allions pas à la messe, à confesse, alouette, nous allions brûler en enfer. Nous y allions et pour finir, nous brûlions quand même en enfer. Les rituels et les prières ne changeaient rien à notre réalité.
Des élections, j’en ai vécu pas mal depuis que je suis en âge de voter. J’y suis allée des fois, et d’autres non. Je n’ai pas senti de différence entre les deux. Perdre parce qu’on soutient des politiques et des valeurs qui n’ont pas la cote dans les médias ou perdre par abstention, c’est toujours perdre. J’ai beau chercher, je ne vois pas ce que ça change.
Mais le pire, c’est quand on croit avoir gagné pour s’apercevoir, quelques mois plus tard, qu’on a encore perdu, parce que le parti auquel on a eu la naïveté de faire confiance ne remplit pas ses promesses. Aucun ne le fait : en se frottant à la « realpolitik », ils finissent tous par découvrir que leurs idéaux ne pèsent rien face au rouleau compresseur du capitalisme mondial.
Pour se faire élire, les candidat·es se muent en marchand·es à la criée : « Achetez mon programme, c’est le plus beau, il lave plus blanc, il va rendre tout le monde heureux ! » Et le bonheur qu’on achète ainsi sur le marché électoral se révèle tout aussi décevant que celui que nous promettait le dernier gadget à la mode : les victoires électorales non plus ne sont pas faites pour durer. Les seuls gagnants des élections, ce sont toujours les mêmes : les riches, le patronat, les classes possédantes et dominantes. Parce que tout est fait, dans ce régime, pour préserver leurs privilèges à tout prix.
Dans le présent contexte de crise environnementale où le pronostic vital de l’humanité et de la majeure partie des espèces vivantes est engagé, ce cirque électoral, dans lequel l’environnement n’occupe qu’une portion congrue, a quelque chose de particulièrement obscène et nauséeux. On ne nous parle que de l’accessoire en évitant soigneusement d’aborder l’essentiel, parce que ce ne serait pas payant, électoralement, de dire aux gens que la décroissance est notre dernière et unique chance de survie. On parle seulement de taxer les riches et ça suscite aussitôt une levée de boucliers, comme si c’était un crime de vouloir mieux répartir les richesses au sein d’une société. Allez faire comprendre aux classes moyennes et supérieures, après ça, que leur mode de vie consumériste est en train de rendre notre planète inhabitable !
La dictature, il faut une sacrée dose d’aveuglement pour ne pas voir que nous y sommes déjà jusqu’au cou. Une dictature financière qui laisse tout le pouvoir à la nouvelle aristocratie de l’argent. Une dictature qui ne sauvegarde les apparences de la démocratie que parce qu’elle a compris qu’il est plus efficace, pour exploiter ses semblables, d’avancer masquée. Une dictature qui nous hypnotise par la convoitise névrotique d’un consumérisme effréné, et par une illusion de choix qui n’est justement que ça : une illusion. On élit des gouvernements de droite, de gauche, du centre ou de la quatrième dimension, et en fin de compte, ils finissent tous par prêter allégeance au néolibéralisme triomphant et à la poignée de multimilliardaires qui sont les vrais maîtres du monde, et qui dictent leur loi « sur la terre comme au ciel » – et jusque dans le cyberespace.
Ceci n’est pas un appel à s’abstenir d’aller voter le 3 octobre prochain : faites ce qui vous semble juste. Mais quel que soit votre choix, n’en espérez pas trop, tout de même. Pour ma part, honnêtement, je n’ai pas encore pris ma décision à ce sujet. Tout dépendra de mon désir ou non de participer à la grand-messe collective ce jour-là. Mais si j’y vais, ce sera en pleine conscience d’aller à la messe pour me faire accroire un instant que Dieu existe et qu’il m’aime. Avant de retourner en enfer avec les autres fidèles, au sortir de l’isoloir, et de m’apercevoir rapidement que non, Dieu n’existe pas – ou alors, c’est qu’il nous a abandonné·es depuis longtemps.
Allez voter si ça vous chante… et le paradis à la fin de vos jours. Amen.
– Pascale Cormier, 13 septembre 2022
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