Édition du 12 novembre 2024

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Élections québécoises 2022

Élections Québec : Il n’y a pas eu de vague caquiste mais une de la droite dure

La centriste campagne Solidaire, malgré son programme, a plié face à la droite

Il n’y a pas eu de vague caquiste — les votes de la CAQ n’ont augmenté que de 3.5 points de pourcentage — mais un dispersement du majoritaire vote anti-CAQ, soit 59%, sur quatre parties à peu près à parts égales ce qui a fortement accentué le biais du vote uninominal à un tour au bénéfice de la CAQ et des Libéraux et aux dépens surtout des Conservateurs et du PQ. Les conséquences en sont que le parti des francophones les moins instruits, les plus pauvres et hors l’île-de-Montréal (Sondage Mainstreet, élections Québec 2022, 2/10/22) dirigera avec une confortable majorité contestée par une opposition réduite, divisée et dominée par le parti des anglophones. Pendant que les deux grands partis traditionnels, Libéraux et PQ, se réjouissent de ne pas disparaître malgré des scores en plongée, la CAQ ne paie pas le prix de son persifflage anti-immigrant suivi de creuses excuses calculées et Québec solidaire clame sa victoire d’avoir été le seul parti ayant résisté à la vague caquiste qui n’a pas eu lieu.

Vu autrement, la droite sans complexe, CAQ et Conservateurs, progresse de 15 points de pourcentage, au bénéfice de son aile identitaire teintée de racisme, ce qui s’est amplement manifesté lors de la campagne électorale, et au détriment de son aile radicale teintée de doctrinarisme qu’en proportion, malgré les apparences, les anglophones ont appuyé autant sinon plus que les francophones. Si lors de son premier mandat, la CAQ s’est montré « pragmatique » c’est que les Libéraux, prenant le relais du PQ des sommets économiques de la fin 1990, avaient déjà effectué d’austères coupes de sorte que le Québec était devenu le champion des surplus budgétaires parmi les provinces canadiennes d’où une forte et quasi unique réduction de sa relative dette nette. (David Macdonald,Disappearing Act, The state of provincial deficits in Canada, Canadian Centre for Policy Alternatives, mars 2022, table 2). Ensuite, la pandémie l’a forcé à dépenser pour éviter une catastrophique rupture de service sanitaire, ce qui n’a pas empêché un recours accru aux cliniques privés aux frais de l’État.

La modération n’a pas meilleur goût face à l’effondrement de la civilisation issue du néolithique

À l’encontre de cette droite dure en montée rapide, la gauche Solidaire, malgré ou à cause d’une tactique électoraliste de centre-gauche pour séduire la classe dite moyenne, fait du sur place tout en restant concentrée dans les centre-ville francophones les plus universitaires. Contradictoirement, ce parti théoriquement des travailleuses et travailleurs, sans jamais cependant s’en réclamer, s’appuie de facto, selon la maison de sondage Mainstreet, sur la dite classe moyenne la plus instruite c’est-à-dire sur la jeunesse diplômée universitaire en début de carrière et aux études dont il faudrait analyser le degré de prolétarisation objectif et subjectif.

Les Solidaires, qui se sont toujours targués de leur féminisme, attirent en proportion le vote des femmes moins que ne le font la CAQ et les Libéraux, (Sondage Léger, élections Québec 2022, 2/10/22) Plusieurs féministes se sont en effet montrées déçues du style traditionnel vertical et patriarcal (bon papa) de la campagne Solidaire.

Faut-il encore une fois souligner la contradiction entre le message politique modéré de Québec solidaire, en se servant de la plateforme électorale comme filtre droitier des éléments anticapitalistes du programme, versus l’accentuation de la crise existentielle non seulement du capitalisme néolibéral mais plus fondamentalement de la civilisation issue de la révolution néolithique tellement les crises écologiques du climat et de la biodiversité rompent à vue d’oeil les grands équilibres écosystémiques de l’holocène. Les quelques points saillants de la plateforme, vertement pris à parti par la CAQ et compagnie malgré leur modération mais qui se démarquaient tout de même de la grisaille ambiante, ont mis le parti sur la défensive. Au lieu de survenir à la dernière minute, il aurait fallu que ces points saillants fassent l’objet d’un débat prolongée dans le cadre d’une campagne politique pré-électorale. On ne reviendra pas ici sur le caractère capitalisme vert de Vision 2030 (Marc Bonhomme, Le plan climat Vision 2030 tout électrique de Québec solidaire - L’emphase sur le transport en commun cache le choix du véhicule privé, Presse-toi-à-gauche, 20/09/22) sauf à souligner son « oubli » de la dimension féministe prendre soin (care) des gens et de la terre-mère.

Une latente panique populaire provocant un repli réactionnaire vers la tradition et le nativisme

Québec solidaire, de plus en plus englué dans le parlementarisme et son carriérisme inhérent, se déconnecte de la réalité des contradictions sociales. Il cherche le blanc-seing du journal Le Devoir qui ne lui a pas encore accordé son imprimatur. Il n’a pas compris que la fuite en avant néolibérale de la classe dirigeante face au basculement du monde a engendré une latente panique populaire qui faute de réponse crédible de rupture de gauche provoque un repli réactionnaire vers l’enjolivée stabilité traditionnelle de la religion, de la famille, de la patrie.

Ce repli, dans les pays du Nord, est enveloppé de la volonté de préserver les services publics et les programmes sociaux pour les seuls natifs d’où la popularité de moins en moins honteuse de l’érection des barrières et du refoulement aux frontières. On voit cette réaction conservatrice, souvent fascisante, se renforcer aux ÉU, en Chine, en Inde, en Russie, en Turquie, au Brésil, dernièrement en Italie, en Suède, en Grande-Bretagne, à Ottawa, en Ontario, en Alberta et au Québec. Ses reculs face à l’extrême centre aux ÉU, en France, en Allemagne, peut-être au Brésil, ne peuvent qu’être temporaires tellement le centrisme est impuissant à arrêter la chute dans l’abîme. Les grands soulèvements sociaux qui accouchent de gouvernements modérés, comme encore dernièrement au Chili et en Colombie, s’enferment dans un cul-de-sac en ne générant pas un nouvel État issu de leur propre auto-organisation.

Un renouveau écosocialiste dont au Québec l’indépendance est la porte d’accès

Ou bien la droite sans complexe impose ses illusions et fausses vérités qui ne peuvent qu’aveugler l’espace d’un moment, ou bien les forces anticapitalistes osent réinventer ce socialisme du XXiè siècle qui avait laissé tomber les rapports de l’humanité avec la nature.

Les crises écologiques nous imposent de construire une société où il y a moins de consommation d’énergie, moins de transports inutiles, moins de voitures, où l’on mange moins de viande, la fin de l’obsolescence programmée, où l’on produit autre chose et autrement tant dans l’industrie que dans l’agriculture.
C’est une rupture fondamentale avec le projet socialiste du 20e siècle appuyé sur la répartition d’une abondance sans limites par l’expropriation du capital.
L’écosocialisme c’est une autre civilisation d’un point de vue social, politique, technique, intellectuel et moral, basée à la fois sur l’expropriation du capital et sur une autre approche de la place de l’être humain sur la planète, de ses relations avec la nature et les autres êtres vivants. Mettre en place une sobriété joyeuse recentrant la vie sur la création, l’échange et pas sur la consommation doit se faire avec la volonté de changer de monde, pas sous la contrainte imposée du manque, ou d’un état régulateur et/ou répressif, même « ouvrier », cela impose l’acceptation de choix de vie radicalement différents par une immense majorité de la population.
Patrick Le Moal, Pistes... pour « reprendre » le fil de nos débats stratégiques, ESSF, 3/10/22

Au Québec, l’indépendance peut servir de transition pour faciliter cette mutation en autant que la gauche l’arrache à la fascination du repliement identitaire. Ça aura été le mérite de la campagne du PQ de montrer que la promotion sans gêne de l’indépendance, même à vide, peut ressusciter un mort. Le PQ aura été le seul parti à sensiblement améliorer son score durant la campagne électorale, par rapport aux sondages de départ, au point de rallier le peloton des quatre partis dans la fourchette de 13% à 15%. Quant à Québec solidaire, malgré une plateforme claire sur un processus indépendantiste constituant jusqu’à et y compris la tenue d’un référendum dans le premier mandat, il s’est tu sur le sujet à moins d’être très directement interpelé.

Marc Bonhomme, 9 octobre 2022

www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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