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États-Unis

À la frontière sud des États-Unis, ont sépare les enfants de leurs parents, des mois après que le décret présidentiel ait été retiré

Sans tambour ni trompette, l’administration Trump a recommencé à séparer les enfants et les parents migrants à la frontière (avec le Mexique). Parfois, elle emploie de vagues allégations sans preuves prétendant que les parents ont mal agit ou ont commis des manquements mineurs aux lois, dont celle de revenir illégalement aux États-Unis.

Ginger Thompson, ProPublica, 27 novembre 2018
Traduction : Alexandra Cyr

Des avocats.es du groupe Catholic Charities qui offrent de l’aide légale aux immigrants.es dans les prisons fédérales à New-York, ont découvert au cours des trois derniers mois au moins 16 cas de séparation de familles. C’est arrivé par hasard et grâce à leurs recherches de détectives après que des enfants aient été placés.es en famille d’accueil ou dans des refuges sans informations raisonnables à propos de ce qui est arrivé à la frontière avec leurs parents.

ProPublica est tombé sur un autre cas le mois dernier quand ils ont reçu un appel désespéré d’un père salvadorien qui a été détenu dans le sud du Texas. Son fils de 4 ans, Brayan, a été arraché de ses bras par un officier de la police des frontières après qu’ils soient entrés dans le pays en demandant l’asile. Julio, a demandé qu’on ne dévoile que son prénom parce qu’il à fuit la violence et qu’il craint que sa famille, encore dans son pays, ne subisse des représailles. « Je l’ai trahi » déclare Julio en pleurant sans arrêt ; « tout ce j’ai fait pour être un bon père à été détruit en un instant ».

ProPublica a retracé Brayan, un petit rouquin à la mine sympathique, dans une famille d’accueil temporaire à New-York et contacté l’avocate qui le représente. Jusqu’à ce coup de fil, Jodi Ziesemer, une avocate superviseure chez Catholic Charities, n’avait absolument pas idée que l’enfant avait été séparé de son père. Le chaos est tel, dit-elle, qu’on a l’impression que « tolérance zéro » est revenu en force : « Ça crève le cœur. Cette politique était censée avoir été retirée ».

Officiellement, c’est le cas. Le 20 juin dernier, le Président Trump a signé un décret mettant fin à la soi-disant « tolérance zéro ». La police de l’immigration ne peut donc plus l’invoquer. Cette politique obligeait les autorités judiciaires à poursuivre et incriminer tous les adultes qui passaient illégalement la frontière et à leur retirer tous leurs enfants dans ces circonstances. Une semaine après le premier décret, une juge d’un tribunal fédéral, Mme Dana M. Sabraw, a émis une injonction contre ces séparations et ordonné au gouvernement de remettre aux parents les enfants qu’on leur avait retirés.

Toutefois, elle a fait une exception pour les cas où la sécurité des enfants était à risque et, malheureusement, n’a pas établi de règles pour que ses décisions soient supervisées. Selon les avocats.es, les officiers.ères d’immigration qui prennent leurs ordres auprès d’une administration qui a dit clairement qu’elle croyait encore que la séparation des familles avait un effet décourageant (sur l’immigration), utilisent toutes sortes de justifications, avec ou sans preuves, pour déclarer les parents inadéquats.es ou incapables d’assurer la sécurité de leurs enfants.

Mme Neha Desai, une avocate de haut niveau au National Center for Youth Law, explique que : « Si les autorités ont la moindre petite preuve qu’un parent a été membre d’un gang ou a une tache quelconque à son dossier, quoi que ce soit qu’elles puissent invoquer pour dire que la séparation est positive pour la santé et le bien-être de l’enfant, elles vont les séparer ».

Dans un courriel, un officier supérieur de la police des frontières reconnaît que des familles immigrantes sont toujours séparées, mais il explique que ces séparations « n’ont rien à voir avec la politique de tolérance zéro. Cette administration continue à respecter la loi et sépare les adultes des enfants quand cela est requis pour la sécurité des enfants ». Il refuse de dire combien d’enfants ont ainsi été séparés.es de leurs parents.

Les officiers.ères de la police des frontières admettent que Brayan fait partie de cette population. Un autre explique qu’une enquête de routine a eu lieu sur le passé de Julio qui a : « confirmé son affiliation au gang M-13 ». La porte-parole, Corry Schiermeyer, a refusé de dévoiler les preuves soutenant cette allégation, déclarant simplement qu’il s’agissait d’informations : « sensibles pour l’application de la loi ». Elle n’a pas voulu, non plus, dire en quoi la police pensait que Julio était un danger pour son fils, mais elle a ajouté : « la décision de la juge Sabraw n’empêche pas les séparations. Elle permet plutôt explicitement au Département de la sécurité intérieure de continuer la pratique déjà installée ».

La police des frontières a aussi refusé de donner les preuves de l’appartenance de Julio au gang M-13 à son avocate, Me Georgia Evangelista qui se demande si elles existent vraiment. Mardi dernier, un avocat du gouvernement a répété cette allégation devant un juge de l’immigration du Sud Texas, en disant qu’il ne pouvait pas en apporter les preuves parce qu’elles étaient « confidentielles » rapporte Me Evangelista. Le juge n’en a pas exigé la divulgation, mais a libéré son client contre un engagement de 8 000 $. Elle était frustrée de cette conclusion : « Comment lutter contre ces accusations quand il n’est pas possible de savoir ce qu’il en est ? » ajoute-t-elle.

Selon elle, Julio est arrivé à la frontière à la mi-septembre avec une lettre d’un avocat salvadorien qui explique qu’il a quitté son pays avec son fils parce qu’ils ont été attaqués et menacés par des gangs depuis des années. À la demande de Me Evangelista, l’avocat salvadorien et l’ancien patron de Julio ont fait parvenir des déclarations assermentées soulignant l’intégrité de Julio et disant qu’il n’a jamais été mêlé à des activités criminelles. Elle ajoute qu’elle est : « furieuse dans cette cause. Elles (la police et l’administration) ne respectent pas les règles, le traitent comme un criminel et justifient ainsi qu’il soit séparé de son fils. Où sont les preuves ? C’est notre parole contre la leur. Ça me rend malade ».

Selon Me Susan Watson, une avocate des droits civiques et de la famille, une telle conduite ne devrait pas avoir lieu sans une révision par un.e juge des causes d’emprisonnement qui ne sont pas liées à l’immigration : « Constitutionnellement, avant que ses enfants soient retirés au parent, il doit y avoir une procédure légale en bonne et due forme. Des décisions prises en catimini par un.e officier.ère de la police des frontières ne correspondent pas à cette exigence ».

À New-York, Mme Ziesemer indique que les enfants identifiés.es par son organisme ont entre 2 et 17 ans et que Brayan en fait partie. Tous et toutes sont arrivés.es à New-York sans aucune indication de la séparation d’avec leurs parents à la frontière ni, bien sûr, les raisons d’une telle séparation. Il y a quelques semaines, l’ACLU (American Civil Liberty Union) qui a déposé la poursuite (contre le gouvernement) lors de la première phase de séparation des familles (immigrantes) a écrit au Département de la justice exposant ses préoccupations à propos de ces nouveaux cas et, plus spécifiquement à propos des bases justifiant ces séparations et les raisons pour lesquelles l’organisation n’en avait pas été avisée.

Lee Gelernt, l’avocate de l’ACLU qui a piloté la poursuite du printemps dernier contre ces séparations de familles, déclare : « Si le gouvernement sépare encore secrètement des enfants de leurs parents, en plus avec des excuses sans consistance, il tombe dans la non constitutionnalité flagrante. Nous allons nous retrouver devant les tribunaux ».

Les avocats.es de l’ACLU et de Catholic Charities rapportent que le Département de la justice leur a répondu qu’il n’avait pas à les informer des nouvelles séparations puisqu’elles ne relevaient pas de la politique de tolérance zéro. Il a déclaré que pour 14 des 17 cas signalés par l’ACLU, les enfants avaient été retirés.es à leurs parents parce que les autorités les soupçonnaient d’un passé criminel quelconque, ce qui les rendaient inaptes et même dangereux.euses. Cependant, rien n’est dit quant aux crimes dont ces personnes sont soupçonnées et quelles preuves étayent ces allégations.

L’ACLU et d’autres groupes représentant des enfants immigrants se disent très dérangés par le secret entretenu par le Département de la justice de diverses manières. Ils craignent que ce département et celui de la sécurité intérieure aient autorisé des agents.es, principalement ceux et celles de la police des frontières, à prendre des décisions avec des normes qui peuvent violer l’esprit des jugements des tribunaux et qui ne tiennent absolument pas dans d’autres cas que ceux de l’immigration. De plus, on ne leur a donné aucune formation à cet effet. Me Ziesemer a discuté avec de la parenté (d’immigrants.es) et avec des travailleurs sociaux et elle en conclut que dans au moins 8 cas, le seul crime des parents a été d’entrer illégalement aux États-Unis.

Entrer illégalement dans le pays est un crime, mais les administrations précédentes n’ont jamais séparé les familles pour cette raison. Elle ajoute que dans les autres cas, le gouvernement a utilisé des arguments vagues ou sans preuve pour justifier son action. Le dernier cas qu’elle a identifié impliquait un parent hospitalisé. Elle ajoute : « Le gouvernement soutient que parce qu’aucun cas ne relève de la politique tolérance zéro, il n’a pas à nous tenir informés ni personne d’autre d’ailleurs. Nous soutenons que quand des enfants sont séparés.es de leurs parents, il doit y avoir une supervision quelconque ». Le cas de Brayan est un exemple criant de la manière dont les fonctionnaires interprètent les jugements des tribunaux pour s’emparer du droit de séparation.

Je suis tombée sur son cas par accident plus tôt ce mois-ci, après que le gouvernement ait déclaré que depuis que plus de 2,600 enfants avaient été séparés de leurs parents immigrants.es à cause de la politique de tolérance zéro, il n’y en avait plus qu’un seul de moins de 5 ans qui était encore sous leur autorité. J’ai décidé de tenter de trouver cet enfant, pensant que son cas collerait bien à celui de la petite Alison Jimena Valencia Madrid dont j’ai écrit l’histoire l’an dernier. Ses pleurs et cris avaient été enregistrés par la police des frontières dans un centre d’accueil en juin dernier.

Une avocate à la frontière, Me Thelma O. Garcia, a déclaré représenter un jeune Salvadorien de 6 ans nommé Wilder Hilario Maldonado Cabrera qui vivait dans une famille d’accueil temporaire à San Antonio. Il avait été séparé de ses parents et, selon Me Garcia, ils n’avaient pas été réunis parce que le père était sous le coup d’un mandat d’arrêt datant de 10 ans pour conduite en état d’ébriété en Floride.

Le père, Hilario Maldonado, m’a appelée depuis sa prison dans le sud du Texas à Pearsall. Il m’a dit qu’il tentait de garder le contact avec son fils par téléphone, mais que sa travailleuse sociale ne s’exécutait pas toujours. De plus, a-t-il ajouté, quand il pouvait lui parler, ce petit prodige grassouillet à qui il manque deux dents en avant, le chicanait parce qu’il ne venait pas le chercher pour le ramener à la maison. J’avais expliqué à ce père qu’il était sans doute le dernier à vivre cela puisque le gouvernement mettait fin à cette pratique. Il m’a répondu que ça n’était pas vrai, que les séparations se faisaient toujours et qu’il en connaissait une.

Quelques minutes plus tard, j’ai reçu un coup de fil de Julio qui était dans la même prison. Il semblait désespéré, pleurait et cherchait des réponses. Il m’a expliqué qu’il s’était rendu à la police avec Brayan sitôt après avoir traversé la frontière et demandé l’asile, qu’il avait informé les autorités que sa mère vivait à Austin au Texas et qu’elle était d’accord pour l’aider à retomber sur ses pieds. Sept jours plus tard, un agent de la police des frontières a pris l’enfant, l’a sommairement habillé et l’a emporté alors qu’il pleurait et criait. Julio a ajouté que tout ce qu’il savait c’est que son fils était quelque part à New-York.

Dès la fin de la conversation, j’ai appelé Me Ziesemer de Catholic Charities qui a un contact au gouvernement, et ce, pour que l’enfant bénéficie des services légaux aux mineurs.es non accompagnés.es dans la ville. Je lui ai demandé si elle savait quelque chose à propos de Brayan : « Nous connaissons cet enfant mais nous ne savions pas qu’il avait été séparé de son père » m’a-t-elle répondu. Elle était visiblement choquée : « Jusqu’à ce que vous m’appeliez, j’avais son nom sur un tableau » a-t-elle ajouté.

Me Ziesemer s’est aussitôt organisée pour rencontrer Brayan à son bureau. Elle savait par expérience qu’il ne fallait pas trop attendre de ces premières entrevues parce que l’enfant risquait d’avoir peur et surtout parce qu’il n’a que 4 ans. Elle a donc tenté de le mettre à l’aise en lui offrant des crayons de couleur et un cahier à colorier. Il s’est vite rassuré. Il a mis ses crayons de côté pour lui montrer que le personnage de son cahier bougeait et a barbouillé une feuille quand elle lui a demandé s’il savait écrire son nom. Comme elle s’y attendait, il est trop jeune pour avoir compris ce qui lui est arrivé à la frontière et encore moins de l’expliquer à une adulte qu’il vient de rencontrer pour la première fois. Me Ziesemer a aussi eu du mal à comprendre ce qu’il disait à cause de sa prononciation.

Après cette rencontre elle était à la fois exaspérée parce qu’elle avait dû questionner cet enfant et terrifiée par le fait qu’il peut y en avoir d’autres perdus.es dans ses tableaux : « Avec les travailleurs.euses des services sociaux et les consultants.es nous faisons tout ce qui est possible pour combler les trous et tenter de savoir d’où ces enfants viennent. Mais cela veut dire des jours et des semaines consacrés.es à les accompagner alors qu’ils.elles ne savent pas où sont leurs parents qui ne savent pas non plus où sont leurs enfants. Ça ne doit pas se passer comme cela. Ça ne devrait pas être comme cela ».

Après cette rencontre entre Brayan et son avocate, je suis allée à Pearsall pour rencontrer Julio. J’ai déjà mentionné qu’il avait quitté son pays avec son fils parce que des gangs criminels l’avaient menacé de mort après qu’ils se soient rendus compte qu’il avait dénoncé l’un de leurs membres à la police. Sa femme et son fils adoptif sont resté au pays parce qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour assumer le prix du voyage pour tout le monde. J’ai parlé à son épouse ; elle m’a dit qu’elle se cachait chez ses parents parce qu’elle ne voulait pas être à la maison quand les membres du gang en question viendraient chercher son mari.

Sur des photos récentes, Julio ressemble à un genre de policier avec une coupe de cheveux à l’avenant, mais après un mois de détention, il est pâle et amaigri. Il porte l’uniforme bleu marine imposé aux détenus et ses cheveux bruns semblent mouillés, mais très bien coiffés. Il ne porte aucun tatouage, ce qui, en Amérique centrale, est une identification d’appartenance à des gangs.

À travers ses larmes, il me rappelle ce qui s’est passé depuis son arrivée et ce qu’il a toujours en tête. Il tente de trouver une explication au fait que les autorités lui aient retiré son fils. Avec Brayan, il a été placé dans une cellule réfrigérée appelée « boîte glacée » par les immigrants.es et qui s’avère être le premier pas de la plupart d’entre eux et elles lors de leur interception à la frontière. Brayan a eu une mauvaise fièvre et a dû être hospitalisé. Un agent a réprimandé le père pour avoir emmené son fils dans une aventure aussi périlleuse. Est-ce la raison qui explique qu’il lui a été retiré ? Est-ce parce que l’agent, voyant la couleur des cheveux de l’enfant, a pensé que Julio n’était pas son père ?

Julio craint d’avoir été dupé lorsque, à l’hôpital, il a renoncé à ses droits en signant un document totalement en anglais et expliqué en anglais. Est-ce parce qu’à un moment donné il a été arrêté pour vol au Salvador, mais innocenté totalement 2 jours plus tard quand les autorités se sont rendues compte que ce n’était pas la bonne personne ? Pourquoi considère-t-on qu’il soit un danger pour son fils ?

Il se posait toutes ces questions jusqu’à ce que je lui dise que la police des frontières le suspectait d’appartenir à un gang. Cette nouvelle l’a abattu. Il était complètement confondu parce qu’alors que cette agence soutenait cela, une autre, le Département de la sécurité intérieure, qui avait examiné sa demande d’asile dans laquelle il déclare être victime de violences de la part de gangs criminels, trouvait qu’elle était suffisamment crédible pour qu’il soit déféré devant un juge de l’immigration.

Début octobre 2018, il avait été rencontré par une agente des demandes d’asile pour ce qui est connu être une entrevue de détection de la peur authentique et crédible. Selon le rapport de cette entrevue que Julio a remis à ProPublica, l’officière, non seulement lui demande pourquoi il a fui le Salvador, mais aussi s’il a un dossier criminel. Parmi les questions, on trouve : Avez-vous commis un crime dans votre pays ? Avez-vous fait du mal à quelqu’un pour quelque raison que ce soit ? Même si vous ne le vouliez pas, avez-vous aidé quelqu’un à faire du mal à d’autres personnes ? Avez-vous déjà été arrêté ou trouvé coupable d’un crime ? Avez-vous déjà été membre d’un gang ? À tout cela, Julio à répondu non. L’intervieweuse déclare que le récit de Julio est crédible et encore plus significatif, qu’elle n’a trouvé aucune information ou dossier criminel pouvant contredire ces dires. S’il en était autrement, il serait automatiquement disqualifié pour son droit d’asile.

Cette divergence d’appréciation entre les deux agences montre les différences de traitement des droits quant aux demandes d’asile et de séparation des familles. La décision de l’agente des demandes d’asile est sujette à un examen devant un juge, celle de la police des frontières ne l’est pas. Pour Me Evangelista : « Je ne vois pas quelles informations ils détenaient sur Julio si jamais ils en avaient. En ce qui concerne la séparation des enfants de leurs parents, ils ont tout le pouvoir de décider. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Et ils n’ont aucune raison à donner ».

Julio a déclaré qu’il avait lui-même été abandonné par son père à peu près au même âge que Brayan. Sa mère est partie pour les États-Unis alors qu’il avait 7 ans. Il dit qu’il s’était juré de ne jamais mettre son fils dans une situation semblable et que c’est pourquoi il ne l’a pas laissé au Salvador. Il se demande maintenant si ce n’était pas la mauvaise chose à faire. Chaque fois qu’il parle à Brayan au téléphone, il le sent lentement s’éloigner de lui : « il me dit que je ne suis plus son papa maintenant, qu’il en a un nouveau. Il ne m’appelle même plus papa. Il m’appelle Papi. Je ne lui ai jamais enseigné ce mot ».

De retour à New-York, (je rencontre) Me Ziesemer qui m’informe de sa crainte que les séparations familiales aient repris leur cours tout simplement. Elle est avec Brayan qui lui rappelle les frimousses d’au moins 400 enfants séparés.es de leurs parents au sommet de l’opération l’été dernier et transférés.es ici. À titre de personne-clé de Catholic Charities durant cette crise, elle dit avoir connu personnellement chacun.e de ces enfants par leur nom. Une fillette de 9 ans a fait une vraie crise de panique quand on lui a demandé d’entrer dans une chambre sans sa sœur parce qu’elle était convaincue que Me Ziesemer allait les séparer comme les agents l’avaient fait avec sa mère : « À un moment donné nous avons dû avoir une rencontre avec tout le personnel de notre agence pour expliquer pourquoi la salle de conférence était pleine d’enfants pleurant et gémissant ».

Catholic Charities, ACLU et d’autres groupes de défense des droits des immigrants.es ont pris la tête des actions pour réunir les familles. Ils ont pris contact par téléphone avec les parents incarcérés.es dans les centres d’immigration et délégué des collègues en Amérique centrale pour parler à celles et à ceux qui avaient déjà été explusés.es. En plus de cette énorme tâche, Me Ziesemer souligne aussi le surcroît de travail amené par les coups de fils et les courriels de la part du Congrès, des consulats et des médias cherchant des informations sur les séparations. Elle et son équipe ont travaillé sans relâche, jour et nuit, pendant des mois. Même s’il y a encore plusieurs douzaines d’enfants à ramener à leurs parents, elle estime que leur nombre diminue. C’était jusqu’au moment où elle a commencé à voir des cas comme celui de Brayan qui ressemblent terriblement à ceux de la période antérieure.

Cette avocate ne savait pas grand-chose à propos de Brayan, sauf le peu qu’il lui avait dit lors de leurs rencontres. J’ai donc partagé avec elle ce que je savais de lui venant de sa famille : qu’il pouvait manger 4 œufs durs en une seule fois ; qu’il aimait Lightning McQueen, un des personnages du film « Cars » de Pixar ; qu’il avait un chien nommé Lucky qu’il demandait à voir absolument chaque fois que sa mère l’appelait par internet. À Austin (Texas), sa grand-mère a préparé sa chambre, décorée de Mickey Mouse et de petites voitures à contrôle à distance et dotée de manteaux d’hiver. J’ai signalé à Me Ziesemer à quel point le père était dérangé par le fait que Brayan l’appelle « Papi ». Elle a souligné que quelques semaines est un temps bien long pour de jeunes enfants et qu’ils perdent vite l’attachement aux gens, même leurs parents.

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