Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

5 choses que j'ai apprises en travaillant au Réseau québécois des groupes écologistes

J’ai passé les cinq dernières années de ma vie à essayer de renforcer le mouvement écologiste du Québec. Avant de tourner la page (et avec beaucoup d’émotions), j’ai envie de souligner quelques leçons durement acquises, lancer quelques fleurs et, tant qu’à y être, quelques pavés !

Récapitulons

Le RQGE (Réseau québécois des groupes écologistes), c’est le plus vieux et plus grand regroupement d’organismes environnementaux du Québec. Arrivé en 2010 à titre de coordonnateur général, c’était mon travail d’appuyer les groupes écologistes communautaires, développer des outils, fournir des conseils et surtout, me battre pour eux, leur reconnaissance, leur financement, les droits humains (ex. la liberté d’expression), etc. Avec le temps, nous sommes devenus tributaires de la mémoire collective des luttes environnementales et sociales depuis les trente quelques dernières années.

Allons-y !

1. Le ministère de l’Environnement est un fantôme

Disparu quelque part au début des années 1980 et nous persistons à croire que le spectre hante encore l’Assemblée nationale. La Loi sur la qualité de l’environnement affaiblie de façon systématique, le budget du ministère décimé jusqu’à passer sous les 150 millions (0,2% du budget provincial, wow !) et ses inspecteurs envolés, un ministre après l’autre qui n’ont aucune expertise scientifique ni aucun poids à l’intérieur de l’État.

C’est à vous confier que j’ai essayé de travailler avec le ministère de l’Environnement. Au nom de 80 groupes et 50 000 individus, j’ai cogné à la porte, pendant cinq ans et trois gouvernements, sans succès. Ce ministère n’a pas de pouvoir au conseil des ministres, pas de budget, mais surtout : pas de volonté de reconnaître notre contribution à la société.

Le ministère aurait pu tenter de nous aider n’importe quand. Sauf que...

2. L’État québécois méprise les écologistes depuis 20 ans

À l’époque du PQ des années 90, l’État cherchait à diviser et récupérer une partie du mouvement environnemental en créant les Conseils régionaux de l’environnement et les Organismes de bassin-versant, écartant par le fait même tous les groupes communautaires environnementaux autonomes, ceux-là pourtant plus nombreux et certainement plus revendicateurs. La donne change avec Charest en 2003, et la vraie guerre d’attrition commence.

Pendant que le financement des organismes communautaires du Québec a doublé globalement, tous les gouvernements depuis ont choisi délibérément d’enfreindre leur propre politique pour sabrer dans le financement des groupes de notre secteur, coup sur coup. Pendant ce temps, l’État crée le Fonds vert, ce gigantesque aspirateur à éco-taxes qui, à part d’être géré dans l’ombre, finit par financer des pétrolières et des bétonnières à coup de milliards.

Certes, l’État reconnaît des « bons écologistes », par exemple ceux qui encensent l’État dans ses mesures d’austérité antisociales ou collabore avec le patronat. Je veux dire, la façon dont Jean Charest parle de Steven Guilbault, c’est quand même quelque chose.

Mais pour ceux et celles qui osent dire que l’empereur est nu, pas de pitié. Au Québec, on aime pas ça la chicane. Ce qui m’amène à mon prochain point.

3. Le Québec est prisonnier du rêve

Quand on s’implique dans les luttes sociales et environnementales, on carbure un peu à l’indignation. Mais s’il y a un truc qui me fera toujours grincer des dents : c’est le silence de la majorité. Oui, nous faisons nos mobilisations. Les industriels et la police nous confrontent et nous répliquons (1, 2, 3) allègrement.

Toutefois en dehors de cet espèce de va-et-viens spectaculaire qui semble sans fin, nous cherchons à avancer. Et je pourrais continuer à bitcher et m’égosiller sur toutes les façons dont le mouvement environnemental pourrait évoluer, mais il reste ce vide, ces millions de personnes qui devraient être au rendez-vous, mais ne sont simplement pas là... probablement trop occupées à écouter Occupation Double ?

Critique facile, d’accord. Reste que l’espère humaine n’a jamais été bombardée d’autant d’informations et pourtant, de plus en plus d’études démontrent qu’en l’absence de qualité, de tri, de signification, notre capacité à prendre des décisions est amoindrie. Il ne reste que du bruit. Beaudrillard parlait de l’hyperréalité, ce moment où nous perdons la capacité de distinguer ce qui est synthétique (fabriqué, simulé) de ce qui est réel, et je ne connais pas de meilleur exemple que le Québec pour illustrer cette déconnexion ultimement suicidaire.

Il reste qu’on est confortable, parmi les plus grands consommateurs d’énergie per capita, champions du gaspillage d’eau, champions du gaspillage alimentaire.

Cette bulle commence à éclater, mais il y a encore tellement de résistances au changement. Cela fait cinquante ans que le mouvement environnemental du Québec sensibilise la population sur les enjeux environnementaux, mais ça ne suffit pas si la majorité silencieuse n’en fait pas une priorité.

Ce qui fait que...

4. Le Québec n’a plus de projet de société

Depuis la chute du Bloc soviétique dans les années 1980, les inégalités sociales augmentent en Occident. La classe moyenne s’effrite parce que le capitalisme n’a plus besoin de convaincre les travailleurs de ses bien-fondés : il est le seul jeu en ville. Même scénario ici.

Tristement, le dernier projet de société que nous avons - peut-être - eu était celui de la souveraineté. Au fil des années, ce projet a évacué toutes ses valeurs progressistes, au fur et à mesure que le PQ s’est rangé à droite. Que reste-t-il ? Le vide. La promesse reluisante du capitalisme : s’enrichir, consommer, « créer de la richesse » en même temps qu’on détruit notre filet de sécurité sociale et notre environnement. Aucun parti politique au pouvoir n’a semblé capable de formuler un projet de société qui aille au-delà de « faire du gros cash ».

Alors vers qui peut-on se tourner ?

5. S’il y a un avenir, il appartient aux mouvements sociaux

En tant que géographe, je n’ai pas d’espoir. L’espoir c’est trop facile, c’est la pensée magique, se dire que « tout ira bien » et aller se rasseoir, rassuré. On va porter notre bac de recyclage et voilà tout, on se sent mieux, comme à la confesse.

Or, pendant que le Québec rêve obstinément - condamnant ma génération et toutes celles qui suivent à un cauchemar perpétuel - pendant que ses élites politiques, financières, médiatiques défendent leurs privilèges et leurs pratiques hiérarchiques, il y a un autre Québec qui fourmille en dessous. Les mouvements sociaux, eux, proposent un vrai projet de société, un nouveau rapport entre société et territoire : une révolution par la base. Les mouvements de l’environnement, des femmes, des travailleurs et travailleuses, des sans-emplois, de la communauté LGBT, des personnes racisées, des Premières Nations - il y a des centaines de milliers, voir des millions de personnes d’ici qui incarnent le changement, maintenant, qui développent leur expertise et partagent leurs pratiques novatrices. Ce n’est pas un espoir, c’est un fait, c’est un savoir, ça existe et il ne manque que vous.

Alors non, en deçà de ces cinq années, il ne me reste plus d’espoir, sinon que la conviction - testée, éprouvée, confirmée - que les mouvements sociaux sont la clef pour parvenir à rehausser notre niveau de vie et protéger l’intégrité du territoire. Cinq ans au RQGE m’ont permis de comprendre, de vivre cette réalité et je n’en démordrai jamais.

Merci à vous tous et toutes qui m’avez soutenu et encouragé durant ces moments parfois difficiles. Je n’ai pas de mots pour exprimer toute la fierté que j’ai de l’équipe, des bénévoles, des stagiaires, de tous ceux et celles qui ont mis l’épaule à la roue durant toutes ces années, contre vents et marées. Vous êtes précieux et précieuses. On se reverra dans la lutte !

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Roman cyberpunk de Bruno Massé, finaliste du prix Jacques-Brossard : M9A. Il ne reste plus que les monstres.

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