Nous assistons donc aujourd’hui à un retour dans l’espace public d’un discours mémoriel officiel qui appelle une critique de l’usage apologétique de la Première Guerre mondiale par l’Etat. Cela n’est pas sans rappeler le malaise exprimé par Enzo Traverso regardant les images de Dick Cheney, Tony Blair, Silvio Berlusconi et Vladimir Poutine, à Auschwitz lors des commémorations du soixantième anniversaire de sa libération en 2005 [1]. Pourtant, une telle critique est difficile à trouver jusqu’à présent dans les publications et les interventions publiques des penseurs critiques [2]. Je tente ici, de manière brève et modeste, de saisir les enjeux politiques et le mode opératoire du discours mémoriel dominant du Centenaire de 14-18, puis j’esquisse ensuite les fondements épistémologiques et les contours de ce que pourraient être des mémoires critiques de la « Grande Guerre ».
Ces notes critiques s’appuient principalement sur les propositions théoriques de Pierre Bourdieu concernant le rôle de l’Etat dans la reproduction de l’ordre symbolique légitime d’un Etat-nation, sur l’analyse des usages politiques du passé proposée par Enzo Traverso, sur les propositions d’Eric Hobsbawm concernant le rôle des historiens dans les débats mémoriels, et sur l’herméneutique critique de Paul Ricœur.
Apologie de l’ordre établi
Pour comprendre comment la mémoire dominante neutralise le potentiel critique de la Première Guerre mondiale et la transforme en justification de l’ordre existant des choses, il importe tout d’abord d’analyser ce qui est dit autour de cette guerre par ceux qui produisent ce discours officiel sur ce passé. A lire les différentes allocutions du président de la République sur le sujet, il en ressort que malgré ses variantes, le récit mémoriel dominant de cette guerre s’organise suivant quatre idées-clés dont l’articulation et la place plus ou moins importante varie suivant les audiences, les circonstances, les lieux commémorés, les médias utilisés, etc. [3]
Commémorer 14-18, « c’est, selon François Hollande, rendre justice à l’Union européenne, à cette grande aventure humaine, à cette conquête inédite qui a assuré la paix et la démocratie entre des pays qui étaient si atrocement déchirés ». [4] Suivant cette orientation apologétique, les commémorations de cette guerre, « c’est également prononcer un message de paix » en renouant avec le « rêve de Charles Péguy qui déclarait, à la veille de sa mort, le 5 septembre 1914 : « Je pars, soldat de la République, pour le désarmement général, pour la dernière des guerres. » » [5] En renouant de la sorte avec l’eschatologie républicaine de la paix, le discours mémoriel officiel reprend à son compte des façons de penser contemporaines du conflit – comme les oppositions structurantes entre République/Empire, militarisme allemand/pacifisme français ou encore impérialisme allemand/défense nationale. Commémorer 14-18, « c’est [donc] aussi célébrer la victoire de la République car la République se révéla plus forte que les Empires centraux ». [6] Cette mémoire officielle insiste ensuite surtout sur l’unité nationale : « elle rassemble, toute la nation, au-delà même de son armée » car la « Grande Guerre fut (…) celle de l’unité nationale ». « Dans ce combat-là, il n’y avait qu’une France, celle qui défendait son intégrité et ses valeurs. » [7] Par un procédé essentialiste mêlant en un seul bloc unanime Etat, peuple-nation, territoire, société et culture/valeurs, et en occultant les conflits et les tensions exacerbés par cette guerre totale, la mémoire apologétique de la guerre rappelle le mot d’Ernest Renan qui soulignait dans Qu’est-ce qu’une nation ? (1882) à quel point l’oubli et même l’erreur en matière d’histoire font partie des méthodes nécessaires pour la construction culturelle des Etats-nations. [8] La remémoration de la guerre dans le discours dominant s’accompagne enfin d’une orientation politique inscrite dans le présent car le passé « ne doit pas être vu comme une nostalgie » mais comme « un long segment et aussi une obligation. (…) Réformer, réunir, réussir. Voilà l’ordre de mobilisation que nous pouvons délivrer. (…) Ces commémorations nous obligent à faire avancer la France, à construire l’Europe et à préserver la paix. Tel est le message du centenaire. » [9]
Unité nationale, construction de l’Union européenne, défense nationale pour assurer la paix, légitimité démocratique de la République et de l’État, mise en suspens de la conflictualité pour l’ « union sacrée », « obligations » et « ordre de mobilisation » derrière le drapeau et le chef de l’Etat. Ces différents aspects de la mémoire officielle de la Première Guerre mondiale révèlent l’ampleur de l’abus idéologique du Centenaire de 14-18 par le pouvoir exécutif, car au-delà du message convenu du « plus jamais ça », ils témoignent d’une tendance réactionnaire à vouloir « restaurer » l’autorité de l’Etat dans l’ordre symbolique de la nation et à discréditer la conflictualité politique et sociale.
Religion civile
Il serait tentant de croire que l’obsession mémorielle qu’entretient l’Etat autour de la « Grande Guerre » ne présente en réalité que des enjeux politiques secondaires. Pourtant, l’incapacité des gauches radicales à lutter efficacement pour faire exister et faire partager dans l’espace public leurs contre-mémoires fait partie des problèmes rencontrés dans la reconstruction d’une culture politique émancipatrice de masse, notamment face à l’investissement du champ de la mémoire collective par l’extrême droite, illustré par le poids médiatique et intellectuel de Patrick Buisson au cours des dernières années. [10]
La mémoire dominante du Centenaire est autorisée et légitimée dans l’espace public parce qu’elle est produite par l’Etat. Pour être comprise, la production mémorielle par les services de l’Etat doit être pensée comme une composante de son monopole de l’usage légitime de la violence symbolique. La relation dialectique entre commémorations et légitimation de l’ordre établi ne peut être clairement mise en évidence qu’à cette condition.
Dans une conférence donnée à Amsterdam en juin 1991, Pierre Bourdieu expliquait en ce sens : « A travers les systèmes de classement (…) l’Etat façonne les structures mentales et impose des principes de vision et de division communs, des formes de pensée (…) contribuant par là à construire ce que l’on désigne communément comme l’identité nationale ». L’enseignement scolaire de l’histoire fait naître une « véritable religion civique » à laquelle participent les commémorations publiques. La conséquence de cette politique de la mémoire collective est de fonder en majeure partie la soumission à l’ordre établi : « La soumission à l’ordre établi est le produit de l’accord entre les structures cognitives que l’histoire collective (phylogenèse) et individuelle (ontogenèse) a inscrites dans les corps et les structures objectives du monde auquel elles s’appliquent : l’évidence des injonctions de l’Etat ne s’impose aussi puissamment que parce qu’il a imposé les structures cognitives selon lesquelles il est perçu. (Il faudrait reprendre, dans cette perspective, une analyse des conditions qui rendent possible le sacrifice suprême : pro patria mori.) » [11]
La théorie de la reproduction d’un ordre symbolique national présente dans la sociologie de l’Etat de Pierre Bourdieu met donc en évidence la prédominance de l’Etat dans la définition d’n récit mémoriel de la guerre. Ces discours officiels sur le passé établissent de manière positive des faits, des « leçons » et des significations tirés de la guerre et ayant une valeur pour la société française d’aujourd’hui. Ils répondent à la question du sens de 14-18 aujourd’hui. A l’inverse, ces discours tracent en négatif les contours d’autres faits/leçons/significations de la guerre qui, sans être officiellement censurés, demeurent dans les angles morts des commémorations publiques. A titre d’exemple, les luttes du mouvement ouvrier et des socialistes européens contre la guerre de la veille de la guerre jusqu’à l’armistice en ont été totalement absentes.
Les commémorations publiques organisées par l’Etat lui assurent donc, en paraphrasant Max Weber à propos de l’Eglise, le monopole dans « l’administration des biens sacrés de la nation ». Le culte sécularisé des morts à Verdun que leur rend officiellement la République au moyen d’une série de rituels publics justifie et légitime les pouvoirs établis de la même manière que la mémoire d’une histoire sacrée fonde dans les religions monothéistes instituées la légitimité du gouvernement spirituel exercé par une hiérarchie de clercs sur la communauté des croyants. Dans ce cadre théorique, le président de la République qui officie au cours des commémorations du Centenaire apparaît comme le garant de l’orthodoxie sécularisée de la République et de la Nation. Son rôle culturel est semblable à celui du patriarche de Constantinople, à la différence près que le président de la République manie des « biens sacrés nationaux » alors que le second administre les « biens de salut » de la communauté des croyants.
La signification officielle du Centenaire ressemble au final à celui de l’Holocauste, tel que décrit par Enzo Traverso : « une légitimation en négatif de l’Occident libéral considéré comme le meilleur des mondes », « une sorte de théodicée séculière qui consiste à remémorer le mal absolu pour nous convaincre que notre système incarne le bien absolu. » [12]
C’est bien à ce monopole étatique dans « l’administration des biens sacrés de la nation » que les gauches doivent s’attaquer aujourd’hui par la critique radicale des mystifications entretenues autour de la guerre de 14-18. Rares sont les intellectuels reconnus, y compris de gauche, qui osent attaquer frontalement ce monopole. La position défendue par Antoine Prost concernant le rôle des historiens du Conseil scientifique de la mission du Centenaire exclut explicitement toute intervention ou critique dans ce domaine réservé du pouvoir exécutif : « Le Conseil scientifique de la mission du Centenaire n’entend pas définir les messages portés par les commémorations : il n’a aucune légitimité en ce domaine qui relève des plus hautes autorités de l’Etat. » [13] Nous croyons au contraire que le rôle de ceux – « intellectuels » ou anonymes – poursuivant le bien public et ayant à l’esprit l’intérêt général est de « démanteler les mythologies », surtout lorsque celles-ci servent à colmater les brèches d’un ordre établi illégitime. [14] Les sciences sociales ont à cet égard une responsabilité spécifique dans la critique des abus mémoriels du passé dans un but idéologique et politique. Le domaine sacré de la mémoire nationale ne doit pas échapper à la libre discussion et à la raison critique si l’on veut lutter contre les dérives nationalistes et identitaires reposant sur la fabrication de mythologies nationales. Ces dernières constituent incontestablement un terreau culturel favorable au progrès d’une lecture essentialiste du passé national qui ne peut profiter qu’aux extrêmes-droites. A l’heure où celles-ci suivent une trajectoire ascendante dans bon nombre de pays capitalistes développés – en Europe surtout, mais visible ailleurs également – ce travail négatif de déconstruction devient urgent.
Contre-mémoires de 14-18
« Peut-on faire un usage critique de la mémoire ? » La question que pose Enzo Traverso à propos de l’Holocauste en 2005 se pose aussi aujourd’hui, semble-t-il, concernant la Première Guerre mondiale.
Aux yeux de la majorité des historiens français, une « mémoire critique » est un oxymore tant la mémoire collective relèverait des sentiments et du sacré unissant présent et passé dans la conscience humaine, alors que la critique ne pourrait être fondée que sur la mise à distance du passé, l’étude méthodique des traces historiques et des interprétions appuyées sur l’administration rigoureuse de la preuve. Cette opposition entre mémoire et histoire est indissociable de l’épistémologie exprimée par Pierre Nora dans Les Lieux de mémoire (1984). [15]
Or, cette antinomie épistémologique n’est que relative tant les discours, les usages du passé et la mémoire collective font partie intégrante de l’histoire des hommes et des sociétés dans le temps. La coupure entre les objets mémoriels et les objets d’histoire n’est que superficielle puisque passé, présent et avenir ne peuvent être découpés. L’historien savant, tout comme le mémorialiste, travaille sur le temps en passant sans cesse du présent au passé, du passé au présent et du présent à l’avenir [16]. De même, les acteurs historiques partagent un « champ d’expérience » du passé et un « horizon d’attente » tourné vers l’avenir, suivant la sémantique du temps historique proposée par Reinhart Koselleck. [17]
Or le discours mémoriel officiel autour de 14-18 tend à arrêter ce passé à un présent éternel tout en censurant les « possibles latéraux » de l’évolution historique des sociétés au passé, au présent et à l’avenir. Apologétique, la mémoire officielle force la Première Guerre mondiale à légitimer le présent, dans un rappel à l’ordre pour se conformer à la vision droite des dominants. Point d’horizon sur un avenir autre, sinon un éternel présent.
Les mémoires critiques procèdent autrement. A l’inverse du discours dominant, elles cherchent à remémorer la guerre de 14-18 tant pour la comprendre de l’intérieur, suivant les singularités de sens dans le vécu des contemporains, que pour l’expliquer dans sa totalité. Cette dialectique entre compréhension empathique et explication globale est ancrée dans les problèmes actuels, cherchant ainsi à mieux agir au présent et à l’avenir en redécouvrant les potentialités historiques évincées de la Première Guerre mondiale. [18] Une telle mémoire critique de la guerre ne tire pas sa « poésie du passé, mais seulement de l’avenir » suivant la formule célèbre de Marx à propos des révolutions du XIXe siècle. Car les mémoires critiques sont aussi une libération de la conscience et de l’imagination historiques : « La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. » [19]
Armements
Il apparaît ainsi possible de penser une mémoire critique de 14-18 et à des interventions publiques autour du Centenaire, en partant des problèmes qui sont les nôtres avant d’avoir été ceux des contemporains de la « Grande Guerre ».
Repartir tout d’abord de la définition de l’Holocauste proposée par Adorno pour interroger la civilisation actuelle en la confrontant à la guerre de 14-18 : « une barbarie qui s’inscrit dans le principe même de la civilisation ». [20] Croiser les violences et les atrocités commises par les Etats belligérants aux populations civiles et aux combattants avec celles des conflits contemporains permettrait en ce sens de retrouver un souvenir vif, tranchant et éclairant de la Première Guerre mondiale. Cette guerre est la première à partir de laquelle la « guerre civilisée » définie par les Lumières et pratiquée du moins entre belligérants européens, reposant sur une distinction nette entre combattants et civils, prend fin. Cela semble indissociable des progrès dans l’armement et la technologie à la disposition des armées.
Comment ne pas penser à l’aveuglement meurtrier des états-majors de 14-18, brillamment dénoncé par les Sentiers de la gloire (1957) de Stanley Kubrick, et à leurs rêves de toute-puissance par la technologie de l’armement, à la « guerre de matériel » de Ludendorff et Hindenburg à Verdun, lorsqu’on lit cet extrait du rapport de deux députés français partis enquêter au Mali pendant l’opération Serval, pour la commission parlementaire de la Défense : « La France a démontré sa capacité à entrer en premier sur un théâtre-clé pour son autonomie stratégique. (…) Plusieurs équipements et matériels ont fait la démonstration de leur haut niveau de technicité (…) ce qui confirme la pertinence des choix d’équipements fait par l’armée de terre ». [21]
L’alliance souterraine entre technique moderne et barbarie présente dans « l’enfer de Verdun » ne nous a donc jamais quittée. Verdun en 1916 ne serait qu’une anticipation sur l’avenir – le nôtre. La guerre moderne du XXe siècle tardif ne fait que confirmer que la barbarie inscrite au cœur-même de la technologie militaire fait partie des maux profonds de notre époque. Pourtant, tout se passe comme si ces faits n’étaient pas connus, comme si nous nous étions habitués et accoutumés à la violence extrême et la mort de masse dans laquelle nous a fait entrer la « Grande Guerre ».
En voici une illustration. Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian quant à lui commémore la bataille de Verdun le 23 février 2016 en ravivant la flamme de l’ossuaire du mémorial de Verdun le matin, puis l’ « après-midi, il se rendra dans les locaux de la société Realmeca, implantée à Clermont-en-Argonne. PME composée de 150 salariés, elle concourt directement à l’excellence opérationnelle des avions Rafale en produisant de nombreux équipements clés. A cette occasion, il reviendra sur le bilan du pacte défense PME et sur l’impact des récents succès à l’exportation du Rafale pour les industries de Défense et les PME en particulier. » [22] Réclamer l’ouverture des industries d’armement au contrôle démocratique, une campagne politique internationale pour la dénucléarisation du monde, l’interdiction des armes de destruction massive aux mains des grandes (et petites) puissances, la nationalisation des grands groupes industriels de technologies militaires comme Dassault et l’instauration de procédures de contrôle au sein de l’armée pour « civiliser » la guerre aujourd’hui (droit de sépulture des combattants tués, droit des prisonniers de guerre, droit à la sécurité et la protection des populations civiles), voilà autant de revendications politiques qui témoigneraient d’une conscience historique de ce qui s’est joué dans la mort de masse de 14-18. En lieu et place de cela, tout semble indiquer que nous nous sommes fatalement habitués à cette violence sans bornes, touchant civils et militaires indistinctement, depuis la Première Guerre mondiale.
Ennemis
De même, comment ne pas voir que l’intrusion croissante de la barbarie dans notre monde se nourrit de la fabrication d’altérités radicales parmi les « ennemis » que nous combattons ? Le capitaine Augustin Cochin écrivait à propos de l’ennemi allemand, depuis le front de la Somme dans ses lettres du 6 et 7 juillet 1916 : « Affreuse, affreuse race : plus on les voit de près, plus on les abhorre. (…) C’est ennuyeux de se faire tuer derrière le parapet par de tels animaux. Ils ont une odeur spéciale, très forte, dont on ne peut plus se défaire (…). » [23] Lignes nauséabondes de la haine nationaliste et raciste exprimée contre les « Boches » en 1916 mais que l’on retrouve sous d’autres formes tout au long du XXe siècle, jusqu’à Abou Ghraib, Guantanamo, l’Irak et l’Afghanistan occupés par les puissances occidentales.
L’internationalisme aujourd’hui ne serait que plus fort s’il pouvait se nourrir du souvenir de ceux qui contre vents et marées, de manière isolée mais héroïque, se sont levés contre les fantasmes nationalistes de la guerre impérialiste de 14-18. Une conscience historique nourrie des conférences socialistes de Zimmerwald (septembre 1915) et de Kienthal (20-24 avril 1916) ainsi que des luttes du mouvement ouvrier et socialiste d’avant-guerre contre le péril imminent de la guerre semble indispensable aujourd’hui pour faire face à la fabrication nationale des ennemis supposés ou réels des puissances occidentales. Les ennemis de 14-18 risquent de devenir suivant la mémoire officielle au mieux des victimes et au pire de demeurer des « ennemis ».
L’internationalisme recherche à l’inverse chez l’ennemi des alliés potentiels, y voit des sujets de droit, des citoyens acteurs politiques autonomes, pour faire que l’improbable (une révolution, une paix juste et légitime, les progrès de la démocratie, etc.) devienne en pratique un peu plus possible. Anne Tristan nous offre un exemple de cette conscience historique qui, sans être explicite, aborde les questions du droit dans l’intervention néocoloniale de la France au Mali, baptisée opération Serval, avec un sens historique de ce qui est en jeu : « Exiger le compte des morts, des prisonniers, des victimes civiles » n’est sans doute pas étranger aux horreurs vécues par les combattants et les civils en 14-18. [24]
Politique étrangère
Enfin, une mémoire critique de 14-18 pourrait insister sur le monopole exercé par des pouvoirs oligarchiques sur la politique étrangère et la diplomatie en temps de guerre. La diplomatie secrète et ses conséquences néfastes pour les peuples en 14-18 sont indissociables du déclenchement de la guerre mondiale et des partages impériaux qui s’en sont suivis, l’accord Sykes-Picot (1916) au Moyen-Orient étant en ce domaine le plus célèbre. Etre fidèle au message pacifiste des combattants de 14-18 aujourd’hui, n’est-ce pas refuser la diplomatie secrète telle qu’elle se pratique aujourd’hui par nos gouvernements démocratiquement élus ? N’est-ce pas exiger un contrôle démocratique sur la politique étrangère au moyen de la souveraineté populaire ? N’est-ce pas interroger la légalité internationale des guerres impériales du XXIe siècle à partir des droits démocratiques et sociaux inaliénables des peuples ?
Une telle conscience historique de la Première Guerre mondiale est naturellement condamnée à rester dans les périphéries, voire les marges, de l’espace public, comme toute entreprise critique face à l’hégémonie culturelle des dominants. Mais ces mémoires souterraines et hétérodoxes présentent une faiblesse dans l’espace public inversement proportionnelle à leur vertu et urgence politiques.
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