Édition du 12 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Dette des entreprises en Chine : se dirige-t-on vers une crise ?

Première partie : Un aperçu de la dette chinoise

Les entreprises chinoises sont-elles surendettées ? Depuis que l’État a injecté des sommes colossales dans l’économie dans le cadre d’un plan de relance visant à lutter contre la crise débutée en 2007-2008, le niveau d’endettement de l’économie chinoise est monté en flèche.

tiré de : [CADTM-INFO] UE, Afrique du Sud, dettes coloniales, privées...

Première partie : Un aperçu de la dette chinoise

Introduction

Les entreprises chinoises sont-elles surendettées ? Depuis que l’État a injecté des sommes colossales dans l’économie dans le cadre d’un plan de relance visant à lutter contre la crise débutée en 2007-2008, le niveau d’endettement de l’économie chinoise est monté en flèche.

La dette

totale de la Chine est supérieure à celle des États-Unis et l’on estimait en 2015 qu’elle était deux fois plus élevée que la dette moyenne des économies de marché émergentes, Chine exclue. Alimentée par le secteur de l’immobilier et le « shadow banking » (services bancaires parallèles, voir plus loin), la dette totale a plus que quadruplé depuis 2007, atteignant 317 % du PIB

chinois (Goldman Sachs, 2018). Au cours de l’histoire et à travers différents pays, on a pu constater qu’une croissance rapide de la dette précédait une crise financière (Minsky, 1986). Le défi auquel la Chine est aujourd’hui confrontée est donc de trouver un moyen de réduire son taux d’endettement sans nuire à la croissance économique.

Dans un pays donné, la dette totale non financière se compose de la dette publique, de la dette des ménages et de la dette des entreprises. Dans le cas de la Chine, il est compliqué d’évaluer la dette publique dans son ensemble : si des études ont permis d’estimer avec précision la dette du gouvernement central, les comptes des administrations locales sont plus flous. L’État n’est pas surendetté et bénéficie d’importantes réserves de devises étrangères. Mais depuis 2007, les administrations régionales ont multiplié les opérations financières peu sûres et ont souvent recours à des prêts de gré à gré
ou au « shadow banking ». Face aux emprunts anarchiques d’une région à l’autre, le pouvoir central s’efforce actuellement d’assainir les comptes des administrations locales. La présente analyse portera toutefois principalement sur la dette des entreprises chinoises.

La dette des entreprises représente actuellement plus des deux tiers de la dette totale, soit 170 % du PIB en 2015. C’est le double du poids de la dette des entreprises dans les économies avancées (85 %) et trois fois plus que dans les économies de marché émergentes, hors Chine (50 %) (Ma et Laurenceson, 2016).

La dette des entreprises comprend à la fois la dette des entreprises d’État et celle des entreprises purement privées. En Chine, elle est difficile à évaluer du fait même de la spécificité du capitalisme chinois. Après la mise en œuvre des politiques de réforme et d’ouverture engagées par Deng Xiaoping en 1978, un véritable secteur privé est apparu et a joué un rôle de plus en plus prépondérant dans la croissance chinoise. Les principaux moteurs de ce secteur privé sont l’immobilier et la construction. Cependant, malgré des politiques de réforme qui ont mené à une libéralisation accrue et à des vagues massives de privatisation (Aglietta et Bai, 2012), les entreprises d’État occupent encore une place déterminante dans l’économie chinoise. Elles représentent toujours une grande part du capital productif de la Chine et absorbent la grande majorité des investissements dans le monde des affaires (Chen, 2015). À cela s’ajoute qu’elles ont accumulé une dette de plus en plus lourde au cours des dix dernières années.

Comment expliquer que les entreprises d’État continuent de jouer un rôle important dans l’économie chinoise ? L’une des raisons tient au fait que les collectivités locales chinoises jouissent d’une grande autonomie et sont traditionnellement aux prises avec de hauts taux d’endettement. Cette combinaison de facteurs a conduit les collectivités locales à emprunter auprès des entreprises d’État locales et des entreprises privées qu’elles contrôlent pour consolider leurs comptes (Chen, 2015). Cela a contribué à rendre très floue la distinction entre le privé et le public en Chine et a débouché sur un endettement chaotique dans différentes régions.

Pour lutter contre le surendettement incontrôlé, le gouvernement chinois sévit désormais contre les prêts douteux et la corruption. La politique officielle de la banque centrale est maintenant de prêter beaucoup moins, ce qui a pour effet de mettre de nombreuses entreprises chinoises en difficulté. Certaines, comme Wanda, le fonds d’assurance Anbang, ou des groupes comme HNA et Fosun, ont commencé à emprunter à l’étranger.

La dette extérieure chinoise, jadis insignifiante, a connu une augmentation sans précédent depuis le plan de relance du gouvernement chinois après la crise débutée en 2007-2008. Cependant, l’expansion débridée des entreprises a été alimentée, dans le meilleur des cas, par une comptabilité douteuse et, dans le pire des cas, par des niveaux d’endettement insoutenables. Bien que le gouvernement chinois ait encouragé les grandes entreprises à investir à l’étranger au cours des dix dernières années, il cherche désormais à limiter les acquisitions de sociétés voraces. De plus, comme les marchés continentaux sont désormais bien plus liés aux investisseurs étrangers et ont de solides liens avec des entités étrangères par le biais des investissements directs, on peut se demander dans quelle mesure Beijing serait en mesure d’intervenir pour les stabiliser en cas de nouvelle crise financière ou bancaire.

Par le passé, la Chine avait pu assainir ses quatre plus grandes banques publiques et ses marchés nationaux. Mais maintenant qu’un nombre croissant de sociétés chinoises est coté à la Bourse de Hong Kong et exposé à la spéculation internationale, on peut se demander si de telles pratiques seraient encore efficaces ou même acceptables aux yeux des acteurs internationaux. Le gouvernement chinois pourrait-il encore avoir recours à des réglementations strictes et à des investissements massifs pour affronter une crise financière ? Sera-t-il capable de faire face à une crise de la dette ? Dans l’éventualité où les entreprises chinoises manqueraient massivement à leurs engagements, le gouvernement chinois tentera-t-il de rembourser les investisseurs étrangers ?

Ce sont là les questions auxquelles le présent document vise à répondre. Dans cette première partie, nous analyserons la composition de la dette chinoise et explorerons la frontière ténue qui sépare les véhicules de financement des collectivités locales (« Local Government Financing Vehicles », LGFV), les entreprises d’État et les entreprises privées en Chine. Cela nous amènera à étudier, dans une deuxième partie ultérieure, les origines de la confusion entre le public et le privé en examinant le socialisme de l’époque de Mao et les réformes de marché qui ont suivi, le régime économique chinois ayant structurellement encouragé le gonflement de la dette des entreprises. Dans la troisième partie, nous verrons les évolutions récentes de la dette et les problèmes dont les autorités centrales doivent tenter de venir à bout pour contrer le danger d’un grave incident de crédit. En conclusion, nous examinerons si la Chine se trouve à un moment charnière et quels sont les moyens dont elle dispose pour faire face à une éventuelle crise financière.

1. Débats autour de la croissance chinoise

Au cours des trente dernières années, la Chine s’est développée à une vitesse spectaculaire. Selon la Banque mondiale , la Chine a connu entre 1979 et 2010 un taux de croissance annuel de son PIB de 9,9 % en moyenne, et la taille de son économie a été multipliée par vingt (Loong-Yu, 2012). Aucun pays au monde n’avait encore maintenu des niveaux de croissance aussi élevés pendant autant d’années consécutives, et l’essor économique de la Chine est l’un des phénomènes les plus débattus du 20e siècle. Nombreux sont ceux qui ont tenté de déterminer les origines de la croissance chinoise et des analyses divergentes du système économique chinois ont fleuri. Néoclassiques, keynésiens et marxistes ont chacun leur propre vision du miracle chinois.

Pour les marxistes, la question de savoir si la Chine est devenue ou non un pays capitaliste fait débat (Loong-Yu, 2018). Certains auteurs font la distinction entre une économie de marché et un modèle capitaliste à part entière et ils estiment que la Chine n’a fait que mettre en place l’économie de marché. Michel Aglietta et Guo Bai (2012) affirment qu’en s’inscrivant dans un cadre théorique qui « assimile le capitalisme à l’économie de marché », la Chine apparaît comme « une sorte de non-conformiste ». Ils soulignent que le pouvoir central exerce un strict contrôle sur la finance, ce qui est incompatible avec le capitalisme. De son côté, Michael Roberts soutient que pour que la Chine soit considérée comme capitaliste, il faudrait que le secteur capitaliste de l’économie soit plus important que le secteur public planifié. Selon lui, ce point de basculement n’a pas encore été atteint en Chine, où « le secteur public et l’investissement public, à travers la dictature du parti unique, ont toujours la mainmise sur les décisions en matière d’investissement, d’emploi et de production » et « le secteur privé, même s’il est en expansion, reste sous cette coupe » (Roberts, 2018).

Tout en admettant que l’économie chinoise reste très spécifique, avec une prédominance du rôle de l’État, nous choisissons de qualifier la Chine de capitaliste. Nous renvoyons les lecteurs à la définition du capitalisme donnée par Tom Bottomore dans son Dictionnaire de la pensée marxiste :

1. la production est destinée à la vente plutôt qu’à l’usage propre de nombreux producteurs,

2. l’émergence du marché du travail,

3. la médiation prédominante voire généralisée des échanges par le recours à la monnaie, ce qui confère également un rôle systémique aux banques et aux intermédiaires financiers,

4. le capitaliste ou son mandataire contrôle le processus de production (travail),

5. le recours général à la monnaie et au crédit permet d’utiliser les ressources de tiers pour l’accumulation de capitaux,

6. concurrence des capitaux entre eux.

Il nous semble que la Chine respecte chacune de ces six conditions.

La revue The Economist (2012) qualifie le système chinois de « capitalisme d’État ». Au Loong-yu (2012) va plus loin en le désignant sous la dénomination de « capitalisme bureaucratique », terme qui souligne « le rôle central de la bureaucratie, non seulement dans le processus de transformation d’un État autrefois profondément ennemi du capitalisme en un État résolument capitaliste, mais aussi dans son propre enrichissement, en alliant la puissance coercitive à la puissance de l’argent ».

Cependant, dire que la Chine est capitaliste ne signifie pas pour autant que nous devons nous rallier à l’analyse néoclassique du développement de la Chine. Selon les économistes néoclassiques, deux raisons principales expliquent la croissance spectaculaire de l’économie chinoise au cours des vingt dernières années : l’existence d’une vaste réserve de main-d’œuvre excédentaire et le développement des structures de marché depuis 1978. Ce vaste réservoir de main-d’œuvre excédentaire a entraîné un exode rural de grande ampleur dans les années 1990, qui ont vu 250 millions de travailleurs chinois quitter les campagnes à la recherche de meilleurs salaires dans les villes.

Cette surabondance de main-d’œuvre a donné à la Chine un avantage comparatif pour les exportations à forte intensité de main-d’œuvre, notamment celles tributaires d’une main-d’œuvre non qualifiée. D’après les économistes néoclassiques, lorsque le puits de main-d’œuvre excédentaire s’est tari, l’avantage comparatif de la Chine se serait alors reporté sur la technologie et les biens à forte intensité capitalistique, ce qui serait allé de pair, en le provoquant, avec un ralentissement de la croissance. Les néoclassiques voient en outre une deuxième explication à la croissance de la Chine pendant ces dernières décennies : le développement des structures de marché par Deng Xiaoping après 1978 et la privatisation d’entreprises d’État.

Cependant, l’analyse néoclassique est à la fois unilatérale et déterministe. La raréfaction des excédents de main-d’œuvre et le passage à un modèle basé sur une production de technologies et à forte intensité capitalistique ne conduisent pas systématiquement à une augmentation des salaires, et ce parce que la répression de l’État participe aussi au maintien des salaires à un faible niveau. Ensuite, malgré des privatisations massives et l’essor des marchés intérieurs, l’intervention de l’État et le secteur public conservent un rôle déterminant dans la structuration de l’économie de la Chine.

En effet, la croissance exponentielle de l’économie chinoise n’est pas seulement due à sa main-d’œuvre bon marché, mais aussi à des plans d’investissement intelligents et cohérents de l’État. Le secteur public en Chine a soutenu le développement économique et la protection sociale [1] en dépit des « réformes et ouvertures » graduelles, et il a également stimulé la consommation. Le développement de la Chine ne s’est pas seulement appuyé sur ses exportations exceptionnelles, mais aussi sur ses propres marchés. Même si les marchés nationaux n’ont pas été au centre de la politique gouvernementale pendant de nombreuses années, du fait même de la taille du pays, les marchés intérieurs de la Chine jouent un rôle important dans son économie. L’équilibre relatif de la Chine entre les exportations et la consommation intérieure est l’une des équations complexes que les autorités centrales tentent de résoudre en prônant un rééquilibrage de l’économie chinoise au profit de la consommation intérieure.

L’intervention de l’État, quant à elle, s’est traduite par un taux d’investissement public très élevé (« chaque année, le rapport de l’investissement public au PIB est d’environ 16 % en Chine, contre 3-4 % aux États-Unis et au Royaume-Uni » [Roberts, 2017]), qui fut le principal moteur de croissance pendant des décennies et a contribué au développement du secteur privé national. Le taux intérieur élevé de la Chine a attiré des centaines d’entreprises étrangères [2]. Mais ce modèle de croissance a engendré d’importantes contradictions — en favorisant l’investissement et le secteur privé, l’État chinois a subi une perte de contrôle relative sur un système de planification auparavant très centralisé. De plus, comme cela se produit généralement dans une économie où les capitaux rivalisent entre eux pour faire des profits, la désorganisation et la profusion des investissements ont entraîné une surcapacité, notamment dans l’industrie lourde, et donc un endettement extrême dans les secteurs public et privé. Ce document se propose d’analyser la dette issue du modèle de croissance de la Chine. L’endettement est-il devenu excessif, en particulier celui du secteur privé ? La dette chinoise pourrait-elle conduire à une nouvelle crise économique ?

En résumé, le présent rapport adopte une perspective d’économie politique dans laquelle les facteurs économiques sont indissociables du développement historique, des conflits sociaux, de la politique et de l’intervention publique. Comme nous le verrons dans la section suivante consacrée à la composition de la dette nationale, en Chine, les collectivités locales, les entreprises d’État et le secteur privé se heurtent à des défis très particuliers en raison de la manière dont le communisme chinois a évolué, avant et après l’introduction des mécanismes du marché. Nous traiterons de cette évolution du régime économique chinois sous Mao Zedong, Deng Xiaoping et les dirigeants suivants dans une prochaine partie de ce rapport. Cette rétrospective nous permettra ensuite de comprendre les causes récentes de l’endettement excessif des entreprises, ainsi que la manière dont les entreprises chinoises et les instruments financiers chinois exportent cette dette à l’étranger.

2. La dette chinoise : l’offre et la demande

Contrairement à d’autres pays capitalistes, l’offre de crédit dans l’économie chinoise est toujours largement entre les mains de l’État, qui contrôle la banque centrale chinoise – la Banque populaire de Chine (BPC) –, ainsi que les grandes banques publiques. Les marchés boursiers se développent, mais ils jouent encore un rôle secondaire dans l’offre de crédit proposée aux entreprises et aux ménages.

Le système de crédit chinois est donc fortement orienté vers les banques. Si l’on additionne tous les crédits consentis par la banque centrale, les grandes banques, les banques moyennes et les petites banques, cela représente 194 300 milliards de renminbis [3]. De l’autre côté, la dette totale de la Chine s’élevait en 2017 à 262 100 milliards de renminbis, dette financière incluse. Autrement dit, le crédit bancaire représente plus des deux tiers du crédit total disponible en Chine.

Les banques régionales peuvent être cotées en bourse. Lorsque le gouvernement central leur a permis pour la première fois d’émettre des actions, elles se sont précipitées sur les marchés boursiers pour obtenir plus de fonds. Les banques régionales ont accumulé un nombre considérable de prêts non performants (prêts en souffrance depuis plus de 90 jours) parce qu’elles sont obligées de prêter à des entreprises d’État locales – en fait, elles ont tellement de prêts non performants que les banques nationales ne leur accordent plus de prêts. Le 11 mai 2018, la China Zheshang Bank s’est adressée aux banques nationales pour obtenir de l’argent afin d’émettre « 3 milliards de yuans (470 millions de dollars) en certificats de dépôt. Elle n’a obtenu que 700 millions de yuans et des poussières » (Cho, 2018).

Cela explique pourquoi les banques régionales, de même que les entreprises et les autres instruments de financement, se tournent de plus en plus vers le « shadow banking ». Les prêts du « shadow banking » sont des crédits qui ne sont pas octroyés par le secteur bancaire officiel, mais par des filiales de gestion de fonds, des sociétés de valeurs mobilières, des trusts, et sous forme de prêts informels et de microfinancements. Ces institutions forment un secteur bancaire « de l’ombre » (« shadow ») ou parallèle, parce qu’elles ne sont pas soumises à la réglementation du secteur bancaire, en particulier aux règles prudentielles qui imposent un taux maximum de prêts sur dépôts et des exigences minimales de fonds propres [4]. Par conséquent, le secteur parallèle est en mesure de consentir des crédits supplémentaires aux sociétés non financières qui sont déjà endettées, mais au prix de risques accrus de faillite si les emprunteurs ne sont pas en mesure de les rembourser. Pire encore, nombre de ces établissements bancaires parallèles sont des filiales de banques officielles. Ces dernières sont autorisées par les autorités à prêter de l’argent à leurs filiales de gestion de fonds, ainsi qu’à comptabiliser ces prêts comme des investissements. Sur le papier, les banques chinoises respectent les règles prudentielles qui s’appliquent aux prêts, mais leurs placements dans des sociétés de gestion de fonds les exposent à des risques bien plus élevés.

Au total, en 2017, le secteur bancaire officiel a accordé 132 400 milliards de renminbis de prêts, soit 50,6 % du total des crédits à l’économie ; les marchés financiers (financement par émissions d’obligations et de titres) et les prêts de la Banque populaire de Chine ont fourni 89 700 milliards de renminbis (34,2 % du total) ; et le « shadow banking », 39 900 milliards de renminbis (15,2 % du total). Le poids du « shadow banking » peut sembler modeste, mais son lien avec le système bancaire officiel et le fait qu’il soit beaucoup moins contrôlé rendent la situation potentiellement dangereuse. Des sociétés filiales de gestion de fonds ont été créées en 2012, et les autorités les ont laissées se développer rapidement entre 2012 et 2016 dans le but de stimuler le crédit. En 2017, la croissance s’est légèrement ralentie, les autorités ayant pris conscience des risques financiers accumulés et tenté de resserrer la réglementation. Néanmoins, les opérations bancaires parallèles demeurent une source de préoccupation, et nous consacrerons une partie de ce rapport à leur examen.

En ce qui concerne la demande de crédit, la dette d’un pays peut être divisée en trois branches : la dette publique, la dette des ménages et la dette des entreprises. Selon le rapport de Goldman Sachs (2018), le niveau global de la dette chinoise s’élevait à 317 % du PIB à la fin de l’année 2017 [5]. Le graphique n° 1 montre que ce niveau d’endettement est extrêmement élevé, puisqu’il a doublé par rapport à l’année 2000, où il était à environ 150 %. Il est beaucoup plus haut que le niveau moyen d’endettement des pays en développement et il se rapproche de celui des pays développés (Wolf, 2018).

Graphique n° 1 : La dette de la Chine dans une perspective internationale .
Source : Martin Wolff, « China’s debt threat : time to rein in the lending boom », [La menace de la dette chinoise : l’heure de mettre un frein à l’explosion du crédit ] Financial Times, 25 juillet 2018, https://www.ft.com/content/0c7ecae2-8cfb-11e8-bb8f-a6a2f7bca546
Légende du graphique :

Après la crise, l’endettement de la Chine a rejoint le niveau d’endettement des pays les plus riches.

Dette en pourcentage du PIB]

En faisant abstraction du secteur financier, la dette chinoise est estimée à 282 % du PIB [6]. Elle se compose de la dette publique totale (87,2 %), de la dette des ménages (56,6 % du PIB) et de la dette des entreprises non financières (138 %) (calculs de l’auteur sur la base du rapport de Goldman Sachs, 2018, p. 4).

La dette publique totale de la Chine (87,2 %) se situe à un niveau peu élevé par rapport à celle d’autres pays. Elle est au niveau de celle de la zone euro (86,7 %) et inférieure à celle des États-Unis (99 %) et du Japon (212 %) [7]. Mais il convient d’examiner de plus près sa répartition. Elle est constituée de la dette de l’administration centrale (32,4 %), de la dette des collectivités locales (17,8 %) et de celle des instruments de financement des collectivités locales (LGFV) (37 %). Comme nous allons le voir plus loin, cette dernière est opaque, dans une large mesure soumise à aucune restriction, et elle réunit de nombreuses contradictions à régler par le gouvernement central. La dette des ménages chinois (56,6 %) se situe elle aussi au même niveau que celle de la zone euro (58 %) ou du Japon (57,4 %) et bien en deçà de celles d’autres pays émergents de l’Asie (Malaisie 67,2 %, Thaïlande 68,2 %, Corée du Sud 94,8 %) ou des États-Unis (78,7 %) [8], où elle est désormais préoccupante.

Pourtant, l’endettement des ménages chinois a progressé rapidement en partant d’un niveau très faible (environ 10 % en 2006), augmentant de 20 % par an entre 2015 et 2017, principalement à destination de la consommation plutôt que de l’investissement des ménages. Il s’agit là d’une tendance inquiétante pour l’avenir, car cela peut éventuellement engendrer de nouvelles bulles immobilières (Hancock et Xueqiao, 2018). Le poids de la dette non financière des entreprises (138 % du PIB) est élevé, et la situation est encore plus grave lorsque l’on inclut la part du crédit des LGFV aux entreprises (175 %). Ce chiffre est bien supérieur aux données comparables aux États-Unis (78 %), au Japon (103 %), dans la zone euro (101 %), en Corée du Sud (98 %), en Malaisie (67,2 %) ou en Thaïlande (48 %).

Pourquoi la dette des entreprises est-elle si considérable ? Examinons la composition de la dette des entreprises chinoises pour avoir une première explication. Zhou Xiaochuan, qui a été gouverneur de la banque centrale de Chine de 2008 à 2018 et est considéré comme un réformateur libéral, donnait quelques éclaircissements en 2017 :

• « On peut se demander pourquoi le secteur des entreprises avait un taux d’endettement aussi élevé et pourquoi les institutions financières, en particulier les banques commerciales, étaient disposées à leur prêter autant. L’une des raisons, comme l’ont fait remarquer de nombreux économistes, est qu’en Chine, les collectivités locales se sont lourdement endettées par l’intermédiaire de diverses plateformes de financement. Ces emprunts ont été inclus dans les statistiques de la dette des entreprises. Ainsi, la dette des entreprises a été surestimée. »

2.1. La dette des collectivités locales

Ainsi, pour comprendre comment les entreprises chinoises ont systématiquement accumulé autant de dettes, il faut comprendre la manière dont la croissance fonctionne à l’échelle locale. Les administrations régionales chinoises sont contraintes d’emprunter des sommes importantes chaque année : bien qu’elles soient compétentes pour la plupart des missions publiques (écoles, hôpitaux, transports, etc.), elles n’ont pour ainsi dire aucun pouvoir fiscal. Le système de taxation est fortement centralisé, et les collectivités régionales ne reçoivent qu’une infime partie des impôts perçus sur leur territoire (Aglietta et Bai, 2012). On comble le fossé entre les dépenses nécessaires et les recettes disponibles par le recours à l’emprunt. Il va de soi que ce fonctionnement est préjudiciable aux intérêts de la population chinoise, puisque les collectivités locales doivent déployer des efforts considérables pour trouver les fonds nécessaires au financement des services publics de base.

De quels moyens les collectivités locales disposent-elles pour emprunter ? Les régions ont été contraintes de s’appuyer sur plusieurs mécanismes pour consolider leurs comptes, tels que les produits des ventes de terrains, les droits de mutation foncière, qui sont restés à la disposition des administrations locales malgré diverses réformes [9], ainsi que la création des LGFV.

Ces sociétés-écrans sont contrôlées par des fonctionnaires locaux et empruntent lourdement auprès des banques centrales ou d’autres sociétés. De nombreux LGFV ont été créés en 2007 par les administrations régionales pour attirer une partie de l’argent injecté dans les entreprises d’État dans le cadre du plan de relance du gouvernement central. L’ambiguïté du statut juridique des LGFV et de la nature de leurs transferts aux collectivités locales « a rendu impossible l’estimation de la véritable dette publique de la Chine, même si les estimations oscillent entre 5 000 et 7 000 milliards de dollars » (Chen, 2015). Selon nos calculs, cela équivaut à une fourchette de 142 % à 200 % du PIB de la période, en comparaison des 50 % amassés par le gouvernement central.

Il est important de comprendre le processus de l’endettement local. En Chine, les collectivités locales ont de facto le monopole du foncier. Les ventes de terrains, taxes incluses, représentent la moitié de leur budget. Ces revenus sont utilisés pour garantir encore plus de prêts, et ces prêts servent à leur tour à financer la construction d’autoroutes, de voies ferrées, de réseaux électriques et d’autres projets d’infrastructure. Parce qu’ils créent beaucoup d’emplois, ces projets génèrent une forte légitimité politique tant vis-à-vis de la population locale que des autorités centrales, gagnées à la cause d’une croissance forte et d’un taux d’emploi élevé. Ce processus d’endettement régional est quasi opaque et favorise à la fois la spéculation et la corruption. Les transactions et les investissements douteux se sont tellement généralisés que les autorités centrales ont senti que la situation leur avait échappé.

C’est la raison pour laquelle Beijing a récemment mis en place des politiques visant à accroître la transparence dans les administrations régionales. Les collectivités locales comptent de plus en plus sur les obligations municipales pour emprunter (Goldman Sachs, 2018). Ces obligations sont budgétisées (alors que les dettes des LGFV sont hors comptabilité) et aident le gouvernement central à contrôler et à organiser les dépenses des collectivités territoriales.

À la suite des réformes engagées par le gouvernement central, la progression de la dette des LGFV s’est ralentie, bien qu’une part conséquente de la dette chinoise – 30 700 milliards de renminbis – soit toujours détenue par ces derniers. La dette des LGFV n’a augmenté que de 5,9 % en 2017, contre 13 % entre 2015 et 2016.

2.2. Dette des entreprises d’État

Comme l’a fait remarquer Zhou Xiaochuan, la dette des collectivités locales représente une part importante du chiffre global de la dette brute des entreprises de 175 %. Toutefois, même sans tenir compte de la part des LGFV, la dette des entreprises non financières se situait toujours à 138 % du PIB en 2011 (Goldman Sachs, 2018). Cette dette des entreprises non financières a considérablement augmenté au cours des dix dernières années. La dette des entreprises chinoises représente environ deux tiers de la dette non financière totale de la Chine, « contre un tiers pour la moyenne des économies avancées et 43 % pour la moyenne des économies de marché émergentes, hors Chine » (Ma et Laurenceson, 2016). Dire que l’endettement des entreprises est excessif est un euphémisme.

Au total, les entreprises d’État comptaient pour plus de la moitié de la dette totale des entreprises, soit 72 % du PIB en 2017 (Fonds monétaire international , 2017). Elles étaient également à l’origine de la plus grosse part de l’augmentation de la dette des entreprises sur la période 2008-2016. Par ailleurs, nombre de ces entreprises d’État n’ont pas réussi à s’adapter aux nouveaux mécanismes du marché. Incapables de réaliser des bénéfices, d’investir dans la recherche et le développement, de créer de nouveaux produits, elles sont devenues progressivement obsolètes. Elles n’en demeurent pas moins des sources importantes d’emplois et sont cruciales pour les économies régionales, ce qui explique que les collectivités locales les aient artificiellement maintenues en vie (Lau, 2018). Les médias grand public et les économistes néoclassiques qualifient ces entreprises en difficulté d’« entreprises zombies ». Le terme est même devenu quasi-officiel, étant désormais utilisé par les responsables politiques et les institutions publiques.

Le Conseil des affaires de l’État de la République populaire de Chine caractérise les « zombies » non viables comme des entreprises qui subissent des pertes pendant trois années consécutives, qui ne parviennent pas à respecter les normes environnementales ou technologiques, qui ne sont pas conformes aux politiques industrielles nationales, et qui sont fortement tributaires du soutien gouvernemental ou bancaire pour survivre. Dongbei Special Steel en est un exemple (Xin, 2018). Cette gigantesque entreprise, implantée dans la province du Liaoning, située dans la « ceinture de la rouille » au nord-est du pays, a fait défaut pas moins de dix fois depuis 2016 et accumulé plus de 9,5 milliards d’euros de dettes. De son côté, Shengyang Machine Tool subit des pertes chaque année depuis 2013 et a dû contracter un prêt de 78 millions de dollars auprès de la Bank of Shengjing, le plus important bailleur de fonds régional dans la province du Liaoning (Wildau et Jia, 2018).

Pour les économistes néoclassiques, ces entreprises devraient être liquidées parce qu’elles ne font pas de profits. Les garanties implicites et la volonté du gouvernement de soutenir la croissance incitent ces entreprises à investir de façon excessive au détriment de la rentabilité. Cela les conduirait à un endettement élevé et à une faible capacité de remboursement. Évidemment, ces entreprises étant publiques, on est en droit de se demander pourquoi la rentabilité et le service de la dette devraient être au cœur de leurs préoccupations.

En réalité, ces entreprises n’ont pas été conçues ni programmées pour faire des profits dans une économie capitaliste. Mais elles jouent parfois un rôle important dans l’action sociale au niveau local – Dongbei Special Steel gérait un hôpital et une école (Leplâtre, 2017). Et elles constituent des gisements d’emplois vitaux dans les régions de la ceinture de la rouille en Chine, permettant à beaucoup de gagner leur vie. Cela ne signifie pas pour autant que ces entreprises soient irréprochables. Elles produisent des biens nocifs pour l’environnement et entraînent une surconsommation d’énergie – le charbon, par exemple. D’autres produits sont obsolètes. Comme le font remarquer les employés de Shengyang Machine Tool, « plus personne n’utilise de tours d’usinage. Nous sommes voués à disparaître » (Wildau et Jia, 2018). On devrait en effet laisser un grand nombre de ces entreprises mourir de leur belle mort. Mais il faut proposer aux salariés des aides publiques et des emplois de substitution décents.

La part de ces « entreprises zombies » dans l’endettement total des entreprises est passée à 15 % du passif industriel total en 2016, le niveau le plus élevé depuis 2009 (Lam, Schipke, Tan Y. et Tan Z., 2017). Cela met en lumière la responsabilité du plan de relance de 2007 du gouvernement central, qui a encouragé les entreprises d’État à s’endetter davantage pour relancer l’économie. À l’époque, les entreprises d’État, y compris les zombies, ont été le principal instrument utilisé pour relever le taux d’investissement, qui a atteint des niveaux records (48 % du PIB), et pour maintenir à flot l’économie. Cette injection massive de crédits a été efficace à court terme. Bien que frappée de plein fouet par un effondrement des exportations au niveau mondial, la Chine a été l’un des pays les moins touchés par la dernière crise mondiale et s’est rapidement rétablie pour retrouver une croissance à deux chiffres. Mais en systématisant les injections de crédits, les autorités centrales ont exacerbé la surdépendance du pays au crédit. Ce problème n’a fait que s’aggraver au cours des années qui ont suivi.

Mais ce n’est pas tout : tous ces crédits obtenus à bon marché n’ont pas été utilisés pour financer des investissements. Une partie a souvent été prêtée à nouveau par des entreprises d’État et des LGFV à des taux plus élevés, alimentant ainsi la spéculation et une augmentation des prêts non productifs dans l’ensemble du système bancaire (Handley, 2017). Si cet endettement massif ne s’est pas immédiatement transformé en un problème grave, c’est parce que les entreprises d’État ont également effectué de nombreux dépôts d’entreprises, ce qui a entraîné un niveau d’endettement net bien inférieur au chiffre global de la dette brute des entreprises. Alors que « la dette brute des entreprises s’est envolée de 98 % du PIB en 2008 à 170 % en 2015, la dette nette des entreprises est passée de 46 % du PIB à un peu moins de 100 % » (Ma et Laurenceson, 2016). Depuis quelques années, toutefois, la diminution des bénéfices des sociétés s’est traduite par une baisse des dépôts des sociétés, de sorte que l’endettement net des entreprises est en hausse.

2.3. Dette du secteur privé

Les entreprises strictement privées représentent quant à elles un tiers de la dette totale des entreprises. Le secteur privé en Chine est très dynamique. Il se compose principalement de petites et moyennes entreprises (PME), qui sont le moteur de la croissance dans les pays développés comme dans les pays en développement (Banque mondiale, 2011). En Chine, les PME représentaient environ 65 % du PIB et 80 % des offres d’emplois en 2010 (Chen, Ding et Wu, 2014). Elles constituent la grande majorité des entreprises privées chinoises et participent également à l’endettement. Ainsi, le terme « secteur privé » a un sens différent en Chine de celui qui a cours dans les pays avancés, où il désigne souvent grandes entreprises et multinationales.

Comme la dette des entreprises d’État, celle du secteur privé provient de prêts bancaires, d’émissions obligataires et d’activités de financement parallèle. L’endettement du secteur privé est également excessif (Nikkei Asian Review, 2018). Les entreprises endettées sont exposées au risque de baisse du prix des actifs et de hausse des taux d’intérêt. En d’autres termes, les fluctuations du marché, un ralentissement de la croissance ou un durcissement de la réglementation gouvernementale peuvent déclencher une faillite, comme cela est déjà arrivé à maintes reprises.

Il est inquiétant de constater que les entreprises privées chinoises concluent souvent des accords informels avec leurs cocontractants pour garantir des prêts (Handley, 2017). Cette situation a engendré une chaîne d’endettement dans l’ensemble du secteur privé chinois, si bien que les entreprises sont de plus en plus exposées à la dette. Si une société fortement endettée devait faire défaut, elle entraînerait très probablement d’autres sociétés dans sa chute.

Même si les entreprises privées ne détiennent qu’une petite partie de la dette des entreprises, on observe depuis la crise financière une brusque augmentation de l’endettement dans les secteurs de la construction et de l’immobilier, suffisante pour faire craindre une crise financière (Ma et Laurenceson, 2016). La construction et l’immobilier connaissent des bulles cycliques qui les rendent particulièrement volatiles et fragiles (Koss, 2018).

Il est donc important d’étudier les variations des tendances d’emprunt d’un secteur à l’autre, et pas seulement selon le type de propriété (en opposant entreprises d’État et sociétés privées). Une analyse sectorielle révèle que la structure de l’endettement des entreprises chinoises ne se résume pas à une histoire d’entreprises zombies dans le secteur des industries lourdes confrontées à une crise de surcapacité et tributaires du goutte-à-goutte de banques publiques.

Sur le plan sectoriel, les activités liées à l’immobilier et à la construction ont été au centre d’un boom du crédit, tandis que d’autres branches ont connu un certain désendettement. En ce qui concerne le secteur de l’immobilier, qui est le principal responsable du surendettement des entreprises chinoises, les entreprises d’État ont réduit leur endettement alors que les promoteurs privés ont accumulé davantage de dettes.

2.4. Dernières évolutions de la dette chinoise

Le gouvernement central reconnaît que son plan de relance de 2007 a entraîné des difficultés sérieuses pour l’économie chinoise et il a pris des mesures pour encourager le désendettement. Mais il lui faut trouver un équilibre entre le durcissement de la réglementation et l’impératif de croissance. Qui plus est, les évolutions mondiales sont aujourd’hui défavorables au modèle de croissance chinois : non seulement les pays importent moins que par le passé en raison du ralentissement économique, mais certains pays, comme les États-Unis, ont fait le choix de mesures protectionnistes importantes. Le président étatsunien Donald Trump a d’abord indiqué que les États-Unis prélèveraient des droits de douane de 25 % sur des importations chinoises d’une valeur de 50 milliards de dollars.

À la suite de mesures de rétorsion de la part de la Chine, il a alors annoncé que des droits de douane de 10 % appliqués à la Chine toucheraient 200 milliards de dollars supplémentaires de produits chinois (Office of the United States Trade Representative, 2018). Pour le moment, des droits de douane ont effectivement été perçus sur des marchandises d’une valeur de 68 milliards de dollars, et la mise en œuvre des autres tarifs douaniers annoncés ne manquera pas de se faire (Hancock, 2018). Tous ces aléas pèsent sur la monnaie et les marchés chinois, qui ont subi plusieurs baisses au cours de l’été 2018. Ces conditions peu propices expliquent pourquoi le gouvernement chinois est contraint de faire des allers-retours sur les mesures de désendettement.

Pour contourner les politiques de réduction de la dette, les entreprises chinoises ont commencé à emprunter à l’étranger, ce qui a entraîné un accroissement de la dette libellée en devises étrangères. Il est vrai que la dette extérieure de la Chine, tant publique que privée, reste très faible au regard des normes mondiales, puisqu’elle n’atteint que 13 % du PIB . Mais la dette émise à l’étranger s’est considérablement accrue depuis le tassement de l’essor du crédit en Chine. À mesure que les autorités centrales ont tenté de réglementer le crédit, les entreprises ont emprunté à l’étranger. Cette question sera examinée plus en détail dans une partie ultérieure du présent rapport.

Pour conclure ce rapide panorama de la dette chinoise, nous observerons que les responsables politiques chinois ont montré leur détermination à endiguer les dérives de la croissance du crédit ces dernières années. Un certain nombre de réformes du système de crédit ont été introduites à partir de 2016, notamment des mesures macroprudentielles pour le secteur bancaire et des lignes directrices réglementaires visant les activités bancaires parallèles. Cela s’est traduit par un ralentissement significatif de la progression de la dette (Goldman Sachs, 2018).

Dans la partie suivante de cette analyse, nous examinerons les origines historiques de la dette chinoise. Nous expliquerons pourquoi les entreprises d’État sont si importantes pour l’économie chinoise, nous nous intéresserons au développement du système privé et nous décrirons les liens privilégiés qui unissent les collectivités locales aux banques régionales et aux entreprises d’État et leur trop forte dépendance aux ventes immobilières et foncières. Ces données sont essentielles pour comprendre les récentes évolutions qui ont influé sur la dette chinoise, telles que le boom du crédit immobilier, les opérations bancaires parallèles et les prêts étrangers, que nous détaillerons dans une troisième partie à venir.

Traduit de l’anglais par Hélène Bertrand.

Bibliographie :

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Notes

[1] « Au cours de cette réforme, les logements sociaux attribués gratuitement aux populations urbaines avant 1994 ont été vendus à leurs occupants à des prix très avantageux. Comme la plupart des familles de personnes travaillant dans les entreprises d’État bénéficiaient d’un logement social, cette réforme a permis de transférer en une seule fois des biens publics à différentes familles et d’accroître ainsi le patrimoine de l’ensemble des salariés des entreprises d’État. » — (Aglietta et Bai, 2012)
« La marche vers l’assurance maladie universelle en Chine est sans égale. » — source : Banque mondiale : The long march to universal coverage : lessons from China

[2] « Les investisseurs étant attirés par les perspectives d’investissement de ce pays, par sa taille même et la croissance de son marché intérieur, la Chine a reçu environ 20 % de tous les investissements directs étrangers qui sont allés aux pays en développement sur les dix dernières années, et plus de 100 milliards de dollars en 2008. » — (Banque mondiale, 2010)

[3] Tous les chiffres cités dans cette partie du rapport sont repris de Goldman Sachs (2018) sauf indication contraire.

[4] Selon la définition de la Banque populaire de Chine, le système bancaire parallèle englobe « tous les instruments financiers qui remplissent des fonctions d’intermédiation financière généralement assurées par les banques (telles que la liquidité, les échéances, la transformation du risque de crédit) tout en allégeant le poids de la réglementation bancaire ou en la contournant. »

[5] Comprendre le secteur financier en Chine est un exercice complexe en raison des spécificités de l’économie chinoise et de l’opacité entretenue par les autorités. Le rapport de Goldman Sachs est très récent (2 février 2018) et très détaillé ; il dresse la liste des créanciers et des emprunteurs, ainsi que des tendances récentes dans le secteur bancaire parallèle et dans le reste de l’économie chinoise. Il se fonde sur de nombreuses sources, émet des hypothèses pour déterminer l’ampleur de la dette tant publique que privée, et ces hypothèses sont susceptibles, comme toujours, de faire l’objet de critiques. Le FMI (2018, p. 48) publie d’autres estimations, qui donnent à peu près le même ordre de grandeur.

[6] Le Fonds monétaire international (2018, p. 48) estime la dette non financière à 253 %du PIB et la Banque des règlements internationaux (BRI) à 255 %. Ces estimations inférieures s’expliquent par l’utilisation de sources, de dates et de méthodologies différentes pour évaluer la dette de l’administration centrale, celle des instruments de financement des collectivités locales (LGFV), et les parts de cette dernière qui échoient au gouvernement ou aux entreprises. En ce qui concerne l’endettement des entreprises et des ménages, les chiffres sont du même ordre de grandeur. Dans l’ensemble, les différences ne modifient pas de façon significative les conclusions de notre rapport.

[7] Source : BRI, base de données sur le crédit total, https://www.bis.org/statistics/credit/ra.htm, consultée le 24 août 2018. Tous les chiffres se rapportent à décembre 2017.

[8] Source : BRI, base de données sur le crédit total, op cit.

[9] Notamment la réforme fiscale de 1994 — « La Chine créa un système fiscal unitaire avec deux administrations fiscales. L’une a été placée sous le contrôle direct du gouvernement central. Cette administration fiscale nationale a la responsabilité de la collecte des impôts centraux et des impôts partagés. La seconde, contrôlée par les gouvernements locaux, collecte les impôts locaux, les impôts sur les sociétés et les impôts sur le revenu. » Dans ce système, le revenu fiscal est tellement centralisé que les régions ne reçoivent que très peu de recettes fiscales (Aglietta et Bai, 2012). « En conséquence, les recettes du gouvernement central ont bondi dans les années qui ont suivi 1994, tandis que les administrations locales ont vu leur part des recettes passer de 78 % en 1993 à 45 % en 2002 » (Sanderson et Forsythe, 2012).

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