Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Argentine

Xénophobie au 21ième siècle. Le vieux truc de l’ennemi imaginaire

Introduction, notes et traduction : Jean-Jacques Roy | tiré de Rebelión

Introduction :

Marcelo F. Rodriguez, dans cet article publié par la revue Rebelion, fait la critique des politiques de « recentrage » qui sont au coeur du programme du gouvernement Macri, en Argentine. L’auteur souligne que le projet dont se fait les propagandistes l’union de la droite sous le logo « Cambiemos » n’est nul autre chose « qu’un authentique programme de répression qui permettrait au gouvernement d’approfondir ses objectifs de « recentrage ». L’étape promise étant celle de « réformes durables » : réformes des normes du travail, réformes fiscales et des pensions et… l’abandon de la souveraineté nationale. Au cours des deux dernières années du gouvernement « Cambiemos », on peut observer comment ce discours englobe aussi bien les politiques de la sphère publique que celles en rapport au quotidien dans la sphère privée. »

C’est là l’idée générale déjà connu pour quiconque suit de près l’actualité politique en Argentine depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Macri. L’intérêt particulier de ce texte du sociologue Marcelo Rodriguez, c’est qu’il porte particulièrement notre attention sur l’idéologie et les moyens utilisés par la droite argentine pour asseoir la domination du capitalisme en crise et, du coup, celle de la classe dominante la plus réactionnaire, celle sur laquelle repose la coalition « Cambiemos ». L’auteur souligne, comment dès le début du mandat Macri, la copule réactionnaire a fait sien le discours xénophobe pour les concrétiser dans politiques de dénigrement dirigées contre les immigrants en provenance de la Boliviens, du Paraguay et du Pérou. Et au coeur de sa critique, Rodriguez attire notre attention sur le sens politique de la violente répression dirigée contre les peuples autochtones qui tentent de résister à l’expropriation de leurs territoires ancestraux, au coeur de la Patagonie argentine.


En février 2017, dans un article intitulé « No Pasaran » ( Xenofobia siglo XXI), on analysait de quelle façon la droite argentine, un an avant les élections présidentielle, essayait déjà d’attirer l’attention sur un supposé « problème de l’immigration ». Reprenant à son compte les discours néofascistes qui pullulent en Europe ainsi que les positions xénophobes de Donald Trump aux Etats Unis, la droite s’attaque à l’immigration comme si celle-ci constituait l’une des plus grandes difficultés qu’affronterait le pays.

Dans cet article, nous disions. « Cette campagne est montée sur deux axes :
(1) Elle présente les immigrants comme des « voleurs » de postes de travail des argentins.
(2) Et elle les associe au crime organisé, complice du « narcotrafico », un des commerces, parmi les plus importants, qui alimentent le système. Ce discours est au diapason de celui l’impérialisme qui, prétextant la guerre au « narcotrafico », justifie sa présence et son intervention dans la région ».

Du haut de sa tribune, le sénateur Miguel Pichetto déclarait : « Arrêtons de faire les imbéciles. Le problème est que nous jouons le rôle d’assistant social de la Bolivie et d’appuie à la délinquance du Pérou ». Pour sa part, la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich affirmait « Ici, arrivent des citoyens du Paraguay ou du Pérou qui finissent par s’entretuer pour le contrôle des drogues. L’augmentation des étrangers, impliqués aux activités criminelles du commerce des drogues, est devenue une préoccupation pour notre pays. »

Comptant sur l’appui du « Frente Renovador » et de certains secteurs du PJ et s’appuyant sur cette propagande. le président Mauricio Macri a signé un décret qui a endurci les critères pour immigrer dans notre pays.

Un an plus tard, la droite continue d’appliquer son plan. Cependant, cette année, elle a ajouté un nouvel ennemi à stigmatiser et à persécuter : le peuple Mapuche. Les mêmes propagandistes des politiques discriminatoires pour les immigrants argumentent et justifient la discrimination et la répression contre le peuple mapuche.

Pichetto, cette année, se fait le promoteur des politiques répressives gouvernementales au sein du Sénat. Il s’est empressé de criminaliser les Mapuches, les rendant responsables de la disparition de Santiago Maldonado [1] ! Selon ce sénateur, les mapuches auraient des accointances avec des groupes préconisant la violence, affirmant qu’au Sud (de l’Argentine) il y avait beaucoup d’adeptes aux « Monteneros » et de groupes « pro-insurrectionnels » ayant des affinités avec « Sendero Luminoso ». Après avoir créé ce montage, Pichetto n’a pas hésité à faire appel à la « réconciliation » (du gouvernement) avec l’Armée afin que celle-ci intervienne en Pentagonie pour y apporter une présence « dissuasive ».

Dans les faits, il s’agit d’une intervention répressive, sous la direction de Patricia Bullrich, Ces forces, dites de sécurité, exercent une répression continuelle contre le peuple mapuche et déjà elles sont responsables de la mort de Santiago Maldonado et de Rafael Nahuel, de multiples arrestations et d’un nombre considérables de blessés, comme c’est encore le cas avec la répression contre les travailleurs de la santé à Neuquén.

Il est de plus en plus évident que ce n’est pas un hasard que l’une des premières mesures répressives du gouvernement a consisté à persécuter l’organisation Tupac Amaru et de mettre et de maintenir en prison Milagro Sala. Cette dernière a bien raison de dire : « Ils (les autorités) ne peuvent supporter qu’une femme, qui en plus d’être noire est indienne, ait réussis à construire des milliers de foyer ».

En opposition au projet « Patria Grande », mis en marche au cours des dernières années en Amérique Latine et les Caraibes,qui pour combattre l’exclusion visait l’intégration, le gouvernement Macri ramène le projet réactionnaire d’inventer « l’Autre » comme étant un ennemi.

Cette représentation de « l’Autre » comme étant un ennemi ou une menace - aussi bien les immigrants que les peuples autochtones - s’alimente de l’histoire politique impérialiste et perpétue jusqu’à nos jours la conquête sanglante de l’Amérique. Par cette idéologie, le système dominant veut justifier et normaliser l’exploitation et la domination de vastes régions de la planète. Et ainsi le capitalisme, tout en invoquant constamment la libre circulation des capitaux, s’ingénie à poser toutes sortes d’obstacles à la circulation des personnes lorsque celles-ci ne sont pas utiles comme esclaves ou comme main d’oeuvre bon marché.

C’est à partir de cette logique de conquête que le capitalisme cherche à se « libérer » de ceux qui le dérangent et incidemment des peuples autochtones dont les territoires sont riches en ressources naturelles [2] et qui, dans une perspective de domination, représente une grande valeur géostratégique. En effet, la militarisation de ces territoires s’ajoute à plus de 80 autres bases militaires établies en Amérique Latine et les Caraïbes. Elles sont instituées sous le vocable de « assistance » militaire, comme c’est le cas avec le projet « Cormoran » approuvé récemment par le Sénat argentin. Ce programme autorise des troupes nord américaines d’entrer sur le territoire national pour venir y faire des exercices militaires. Cette autorisation implique notamment que les troupes nord américaines peuvent entrer par la mer ou par les airs jusqu’à la Patagonie argentine.

Il s’agit donc là d’un authentique programme de répression qui permettrait au gouvernement d’approfondir ses objectifs de « recentrage ». L’étape promise étant celle de « réformes durables » : réformes des normes du travail, réformes fiscales et des pensions et… l’abandon de la souveraineté nationale.

Au cours des deux dernières années du gouvernement « Cambiemos », on peut observer comment ce discours englobe aussi bien les politiques de la sphère publique que celles en rapport au quotidien dans la sphère privée. On voit s’introduire des termes comme « méritocratie » ou « entreprenariat », autant de concepts porteurs des valeurs individualistes et anti-solidaires qui servent à normaliser les inégalités sociales de plus en plus accentuées. Inégalités qui, en plus de condamner de grands secteurs de la population à la marginalité les rend « invisibles » en les excluant définitivement du système.

Tout au long de l’histoire « l’Autre » a toujours été présenté comme une menace et on s’est servi de ce vocable pour le stigmatiser comme un être inférieur, un sauvage, un incivil. Sous cette menace, l’autre doit s’adapter au besoins de l’expansion occidentale capitaliste et, s’il ose montrer de la résistance à ce modelage, très vite il sera accusé d’ennemi des valeurs hégémoniques : il sera éliminé physiquement et son territoire sera conquis.

Au coeur de la profonde crise de la civilisation capitaliste, la discrimination et la violence, teintées de xénophobie, apparaissent chaque fois davantage comme des valeurs constitutives du capitalisme néo-colonial. Ce sont ces valeurs qu’essaie d’implanter l’administration du gouvernement Macri avec tout l’appui de la droite nationale et internationale en abandonnant les politiques d’intégration de la souveraineté des régions.

Comme on le signalait dans l’article précédent, ci-haut mentionné, il est de plus en plus urgent de faire face à ces politiques et de rétablir des liens de solidarités entre les peuples et de remettre à l’ordre du jour « No Pasaran »

Marcelo F. Rodríguez.
Sociologue. Directeur de CEFMA
Rebelión ha publicado este artículo con el permiso del autor mediante una licencia de Creative Commons, respetando su libertad para publicarlo en otras fuentes.


[1- Notes du traducteur, concernant la disparition de Santiago Maldonado extrait de wikipedia :
Conférence de presse conjointe réunissant le 4 août 2017 la Commission provinciale de la Mémoire de Chubut, Germán Maldonado, frère de Santiago, et plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, et lors de laquelle fut dénoncée la disparition forcée de Santiago Maldonado. Le 1er août 2017 vers midi, la Gendarmerie nationale fit irruption, par la force et sans mandat judiciaire, dans la communauté « Pu Lof en Résistance » de Cushamen. Les forces de sécurité brisèrent la palissade à l’aide d’un canon à eau, après quoi un nombre indéterminé de gendarmes armés pénétrèrent sur le terrain et entreprirent de disperser les habitants présents par des tirs de balles en caoutchouc et de grenaille de plomb, selon les dires des plaignants, et d’incendier des objets appartenant à la communauté. Quelques-uns de ceux présents dans le campement prirent alors la fuite en direction du río Chubut ― situé à 350 mètres de la palissade d’entrée ― et d’un bois non loin du campement.

Les plaignants ont indiqué que se trouvait également sur les lieux le jeune routard Santiago Maldonado, qui devant l’assaut des gendarmes s’enfuit dans les fourrés et, incapable de nager, a dû se cacher en deçà du fleuve Chubut. Des témoins directs, dont la déposition a été enregistrée par le parquet, ont relaté qu’« une seconde plus tard, entre les tirs et les agressions, ils l’avaient perdu de vue et ont alors entendu un gendarme dire tout haut "on en tient un", puis les ont vus s’approcher d’une camionnette de la gendarmerie et en ouvrir la face arrière, pendant que plusieurs effectifs entouraient les portières pour qu’on ne puisse pas voir ». La plainte déposée soutient que Maldonado a été pris en détention et embarqué dans un véhicule appartenant aux forces de sécurité.

[2- Le groupe Benetton possède 900000 hectares en Argentine, et approximativement 300000 en Patagonie. Il est donc au centre du conflit qui l’oppose au Mapuche. Notes du traducteur et extraits de Wikipedia :
La communauté « Pu Lof en Resistencia » occupant des terres acquises par le groupe Benetton, mais revendiquées par elle au titre de terres ancestrales.

Fin juin 2016, des effectifs du Groupe spécial d’opérations policières (Grupo Especial de Operaciones Policiales, GEOP), la Garde d’infanterie de la Police provinciale, et l’Unité d’Abigeato (anti-vol de bétail) firent violemment irruption sur les terrains occupés par la communauté « Pu Lof en Resistencia », en alléguant être à la recherche de bétail dérobé appartenant à Benetton. Lors de cette opération de police, qui fit plusieurs blessés parmi les membres de la communauté et s’accompagna de sept mises en détention, les policiers mirent la main sur 242 cartouches de la variété dite « anti-émeute ».

En septembre 2016, des membres du lof bloquèrent le passage du train touristique La Trochita[35], et par la suite se multiplieront les coupures de route, en particulier de la vieille route nationale 40 (RN1S40). Le gouvernement fédéral riposta en dépêchant sur place une succession de détachements de la Gendarmerie nationale, qui vinrent se poster à plusieurs reprises aux alentours du campement mapuche.

En décembre 2016, la Cour d’appel fédérale de Comodoro Rivadavia rejeta une demande d’habeas corpus préventif que le groupe mapuche avait introduite dans la perspective qu’une opération répressive pût être décidée à son encontre par la Gendarmerie nationale.

Un mois plus tard, les 10 et 11 janvier 2017, la communauté de Cushamen eut à subir un violent assaut des forces de la Gendarmerie nationale et de la Police provinciale de Chubut. Les forces de sécurité firent feu en direction des autochtones présents, entre lesquels se trouvaient des femmes et des enfants, détruisirent leurs abris et emmenèrent en détention plusieurs membres de la communauté.

Cette répression déclencha un scandale de portée nationale et les membres du lof se plaignirent de ce que le gouvernement provincial les qualifiait de « terroristes » et de « danger », et que l’évacuation forcée — pourtant interdite par la loi 26.160 — avait été requise de façon informelle par le groupe Benetton. Le gouverneur Mario Das Neves se déroba à ces accusations et imputa la responsabilité de la répression au juge fédéral d’Esquel, Guido Otranto[39]. Depuis lors, la surveillance des activités de la communauté est restée du ressort exclusif de la Gendarmerie nationale, tandis que la Police provinciale se tenait à la marge.

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