Introduction
La pandémie a mis en lumière le triste sort de beaucoup de personnes âgées. Le projecteur a été placé sur celles qui sont hébergées dans les CHSLDs notamment mais elles n’ont pas été les seules à être éprouvées. Et pour entrevoir un avenir meilleur il faut porter la réflexion au-delà de ces situations, élargir notre regard, notre analyse.
Dans ce billet je vais traiter de trois éléments que je considère fondamentaux de par mon expérience professionnelle et de par ma formation qui m’a menée à un « presque doctorat » en travail social en gérontologie. En plus je suis vieille maintenant.
1- Ne pas mettre toutes les personnes âgées dans le même paquet.
2- Il ne faut pas remettre à la famille toutes les responsabilités.
3- Sortir des solutions uniques et uniformes.
Le plus souvent quand on parle des personnes âgées on ne fait aucune distinction comme si seul l’âge suffisait à les désigner. Et comme la plupart du temps on parle en fait des personnes âgées dans le besoin, que ce soit matériellement, socialement ou physiquement cela donne de cette population une image assez négative.
Toutes les personnes âgées ne sont pas en grand besoin cela ne concerne qu’une infime minorité qui est en besoin d’aide active dans des institutions ou à la maison. La vaste majorité vit à domicile sans aide particulière. Est-ce que les « snow birds » ne sont pas des personnes âgées ? Les autres se contentent du peu d’aide qui existe dans les services publics et bien des familles assument des tâches en supplément de celles de leurs foyers propres.
En France, on désigne « personnes âgées dépendantes », celles qui sont hébergées dans l’équivalent de nos CHSLDs. Est-ce que le terme serait approprié ici ? C’est à voir mais il faut impérativement trouver moyen de bien désigner de qui on parle et à qui s’adresse les politiques mises en place, (ou à mettre en place) spécifiquement pour ces personnes. Les gouvernements n’ont cessé de souligner le coût de la prise en charge des personnes âgées dépendantes ; sans faire de distinction, on introduit dans la population l’idée que toutes les personnes de ce groupe sont en demande de services lourds et coûtent les yeux de la tête. Comme il est clair que cette population est en augmentation, la peur s’installe chez beaucoup.
2- Il existe une idée reçue qui veut que ce soit aux enfants de prendre soin de leurs parents âgés et que ce n’est que parce qu’ils ne prennent pas leurs responsabilités que l’État doit y suppléer.
Ce concept fait fi de réalités criantes. Premièrement, est-ce que toutes les personnes âgées veulent que ce soit leurs enfants qui comblent leurs besoins ? Mon expérience m’a montré que beaucoup sont très mal à l’aise dans cette situation, surtout quand vient le temps des soins intimes.
Deuxièmement, cela repose aussi sur l’idée que les rapports sont harmonieux dans les familles. Pourtant on y trouve toutes sortes de situations allant jusqu’au rejet réciproque et à des rapports d’exploitation de toutes sortes. Ce n’est pas parce que les parents vieillissent que les conflits antérieurs sont liquidés, au contraire.
Toutes les familles n’ont pas les capacités physiques et les connaissances pour assumer l’ensemble de ce que peut requérir l’aide à donner à leurs parents dépendants. Il y a un niveau de services requis, selon la détérioration de la personne, pour lequel il faut des professionnels. J’ai souvent vu des familles s’épuiser et se culpabiliser dans des situations qui les dépassaient et ne pas trouver l’aide dont elles avaient besoin en quantité ou en spécificité. Ce n’est pas d’être reconnu.e comme « proche aidant.e » qui règlera cette situation. Il faut impérativement, dans chaque cas, une entente entre les familles et les services publics sur le partage des tâches sans pour autant qu’il soit imposé aux familles.
La société doit assumer que l’État a un devoir envers ses citoyens.nes âgés.es en besoin d’aide de quelque niveau que ce soit et que ce n’est pas par défaut. Nous avons tous et toutes, d’une manière ou d’une autre, contribué à l’essor de notre société, nous devons pouvoir compter sur elle quand vient le temps d’être soutenu dans la dernières partie de sa vie.
4- J’ai travaillé suffisamment longtemps dans les services sociaux notamment aux personnes âgées, pour avoir pu constater que les gouvernements successifs ont toujours mis en place des programmes peu diversifiés et uniformes. Je me rappelle des tous débuts des politiques d’hébergement qui visaient les personnes âgées autonomes dans ce qu’on appelait « Centres d’accueil ». Les hôpitaux étaient censés accueillir les malades et évidemment les familles étaient présumées s’occuper de ceux et celles qui ne correspondaient à aucune des deux définitions préalables.
La réalité s’est imposée et les caractérisations également. On a ajusté les Centres d’accueil pour y installer les personnes en perte d’autonomie plus ou moins importante. Au fur à mesure, les clientèles les plus éprouvées ont reçu la priorité et les grilles d’évaluation des incapacités sont apparues. Comme le disait un sociologue français, il a fallu faire entrer les vies dans des grilles. Je vous laisse imaginer la rigidité. Des personnes psychologiquement en mauvaise condition, socialement plutôt isolées ont dû continuer à vivre à domicile parce qu’autrement la grille démontrait qu’elles étaient encore capables de se préparer à manger, de voir à leur hygiène et minimalement à leur ménage.
Les services à domicile se sont mis en place dans les CLSCs. Au début, ce sont les auxiliaires familiales qui ont été affectées à ces tâches. Ce fut la meilleure époque pour ce qui est de la qualité des services. Les auxiliaires assumaient toutes les tâches que la personne ne pouvait accomplir et qui ne pouvait compter sur de l’aide de la famille à la hauteur des besoins. Elles passaient de longues périodes avec la personne en besoin d’aide pour assumer tout le travail à faire. Elles (j’utilise le féminin parce que la vaste majorité de ce personnel était des femmes) créaient des liens affectifs forts avec les personnes et même avec des membres des familles qui complétaient le travail, par exemple les courses. Même si souvent ce n’était pas encore suffisant, la vie à domicile était tolérable pour un certain temps.
Toutefois, les budgets n’étaient pas à la hauteur de la demande et pire, les politiques ont évolué de telle façon que cette qualité de services a pour ainsi dire disparu. Ne sont plus pris en charge par les programmes des CLSCs que les personnes les plus pauvres et les plus dépendantes. Les tâches ont été découpées en commençant par les travaux dis lourds (lavage des vitres à l’extérieur, déneigement, etc.etc.) qui ont été totalement évacués. Puis les travaux ménagers ont été attribués selon les capacités de payer des personnes en besoin pour ensuite être « communautarisés » c’est-à-dire dévolus à des entreprises de l’économie sociale qui appliquent des tarifs déterminés par le ministère. Mon expérience personnelle et de personnes de mon entourage avec ce genre d’organisation démontre que ce n’est pas facile : difficile d’avoir toujours la même personne qui donne le service pour ne pas dire que c’est presque impossible et il y a beaucoup de rupture de services pour toutes sortes de raisons et le temps impartit à la personne qui donne le service est assez restreint. Elle doit faire le ménage dans plusieurs foyers au cours de sa journée. Et même avec la subvention du gouvernement accordée selon le niveau de revenu, le tarif peut être un handicap pour beaucoup de personnes. (Il faut comprendre que ces organismes n’offrent pas de conditions de travail très intéressantes et que donc le roulement de personnel y est important). Les CLSCs dispensent les services infirmiers et ceux d’autres professionnels.les de la santé.
Les personnes en perte d’autonomie à domicile se retrouvent donc avec de l’aide morcelée dispensée principalement par des personnes détachées les unes des autres. Au pire, cela exige la tenue d’un agenda complexe pour lequel les personnes moins autonomes doivent avoir de l’aide.
Il est clair que les services de soutien à domicile doivent augmenter et en proportion des besoins. Il est bien démontré maintenant que la plupart des personnes âgées veulent vivre chez-elle le plus longtemps possible. Mais ça ne doit pas être la seule solution. La solution principale sans doute, mais pas la seule. Parce que dans ce cas, ce serait l’enfermement à domicile avec ce que cela peut vouloir dire d’isolement, de manque de stimulation sociale et cognitive qui mène à des pertes de capacités importantes souvent en peu de temps.
C’est sans doute beaucoup demander à la bureaucratie que de pondre des programmes ajustés aux besoins des personnes une à une mais il faut en passer par là. Sinon, la dernière partie vie d’une vaste partie de la population aura la même allure qu’elle a eue et a encore malheureusement.
Alors, notre indignation n’aura été qu’un coup d’épée dans l’eau.
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