C’est une abomination !
Il n’y a pas d’autres mots pour décrire ce que vivent aujourd’hui des dizaines de milliers de femmes et de jeunes filles en République démocratique du Congo (RDC).
Victimes de viols souvent en chaîne, blessées au plus profond de leur être, sans ressource pour la plupart, contaminées par des maladies sexuellement transmissibles - parfois mortelles, comme le SIDA - laissées sans soins médicaux, mises au ban de leur société qui les rejette, répudiées par leur mari,... Plus de 40.000 femmes et jeunes filles de RDC tentent aujourd’hui de survivre, victimes une deuxième fois de l’indifférence de leur gouvernement et de la communauté internationale..
Imagine-t-on ce que peuvent endurer les victimes croisent leurs violeurs, errant impunément et les narguant, certains qu’on ne les inquiétera pas ?
Le manque de ressources de ce pays dévasté par des conflits qui menacent de se rallumer en permanence n’explique pas tout. L’infrastructure sanitaire, déjà dans un état déplorable avant la guerre, est aujourd’hui quasiment détruite. Mais il est clair aussi qu’il y a un manque flagrant de volonté politique de reconnaître l’ampleur du phénomène, et d’apporter les remèdes nécessaires.
Les auteurs de violences sexuelles - que l’on recense dans tous les camps - jouissent d’une impunité presque parfaite. De leur côté, par peur des représailles, peu de victimes osent porter plainte ; quand elles s’y essaient, elles en paient le prix fort. Nombre de militants qui dénoncent ces situations, au péril de leur vie, sont souvent contraints à chercher refuge ailleurs. Les organisations locales qui s’occupent des victimes sont quant à elles menacées et doivent être protégées.
Pendant plus d’un an, nos chercheurs ont mené des recherches auprès des victimes, des militants locaux des droits humains et des organisations humanitaires locales. Tous s’accordent à dire que s’il s’agit d’instaurer des priorités, la plus essentielle d’entre elles est l’accès aux soins de santé. L’Est du pays est le plus démuni et le plus gravement touché aussi.
Le coût humain de la guerre est effroyable. On estime que moins de 30% des Congolais ont accès aux soins de santé les plus élémentaires. Plus d’un million d’enfants âgés de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë et un enfant congolais sur cinq ne dépasse pas l’âge de cinq ans. La situation est souvent plus grave à l’intérieur du pays où, d’évidence, le manque de personnel médical et de matériel adéquat se fait le plus durement ressentir. Dans de nombreux endroits, des hôpitaux locaux et des centres de soins ont été détruits ou pillés.
L’effondrement du secteur de santé a entraîné la réapparition de maladies qui avaient été quasiment éradiquées. Il existe désormais en RDC l’une des plus grandes variétés au monde de maladies infectieuses, y compris la polio, des fièvres hémorragiques, la vérole, la varicelle, la rougeole, la méningite, la bronchite, la lèpre et le... VIH/SIDA !
La quasi-impossibilité pour les victimes de violence sexuelle de recevoir des soins médicaux adaptés pour traiter les maladies et les blessures résultant du viol (souvent assorti d’autres tortures) représente une négation supplémentaire de leurs droits.
Amnesty demande instamment au gouvernement de transition de la RDC et à la communauté internationale de mettre en place un plan d’urgence et de s’atteler à la reconstruction du système de santé et de la justice.
Je vous le confesse, les témoignages recueillis par nos chercheurs sont parmi les plus difficiles qu’il m’ait été donné de lire tout au long de mon engagement à Amnesty. Il n’y a plus aucune limite dans la terrible escalade de l’horreur.
Comment rester insensible à la détresse de ces dizaines de milliers de femmes, littéralement déchirées.
Je sais que votre participation, tout comme la mienne, - aussi minime soit-elle - fera la différence. Nous avons promis à ces victimes, et aux organisations locales qui tentent de leur venir en aide, de dénoncer publiquement la catastrophe qui se déroule là-bas. Nous avons besoin de vous pour faire pression sur les gouvernements afin que les ressources disponibles (et elles existent) permettent aux victimes de recouvrer leur droit à la santé. Votre soutien est nécessaire pour que la justice internationale puisse faire son travail et punir les auteurs de ces atrocités. Toute aide financière de votre part nous permettra de continuer le combat, de respecter nos promesses aux victimes, et d’épargner la vie des survivantes. Il n’y a pas de fatalité. Plus nous serons nombreux à nous mobiliser, plus le sort de ces laissés-pour-compte sera au cœur des préoccupations de la communauté internationale. L’aide humanitaire urgente est bien sûr nécessaire. Mais elle devra se répéter sans cesse tant que des mesures à long terme ne seront pas prises. En soutenant Amnesty, vous militez pour la mise en place de conditions durables au respect des droits humains au Congo. Ensemble, brisons le silence !
Merci de votre indéfectible et généreux soutien
Vincent Forest Président.
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Toutes les forces armées impliquées dans le conflit en RDC ont commis des viols et des actes de violences sexuelles, y compris les forces armées gouvernementales de la RDC, du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda. Ces viols sont perpétrés parce que les forces qui les commettent bénéficient d’une impunité quasi absolue. Les auteurs de viols ne risquent que rarement des sanctions judiciaires ou disciplinaires. De nombreux combattants semblent considérer le viol comme un « butin » de guerre. Les violences sexuelles sont aussi généralement accompagnées par la destruction systématique des moyens de subsistance économique des victimes dont les biens sont pillés et les maisons incendiées.
Le viol : une arme de guerre
La superstition et le fétichisme constituent une autre motivation chez certains combattants qui semblent croire que le fait d’avoir des relations sexuelles avec un enfant pré-pubère ou une femme ménopausée les immunisera contre des maladies, notamment le VIH/sida, les guérira s’ils ont déjà contracté le VIH, les protègera contre des blessures ou la mort durant le combat ou encore les renforcera par d’autres moyens. Au-delà des motivations individuelles, le viol semble avoir été fréquemment utilisé en RDC comme une stratégie délibérée de guerre. Ces actes ont été perpétrés au moins dans certains cas avec l’encouragement ou sur l’ordre de commandants militaires.
En ayant recours à la violence sexuelle, les groupes armés ont cherché à déstabiliser les forces qu’ils combattaient en terrorisant et humiliant les hommes, les femmes et les enfants de la communauté à laquelle, croyaient-ils, leurs adversaires appartenaient. Le viol est également utilisé à titre de représailles contre des personnes, des familles ou des communautés. Cela a parfois conduit les groupes armés à commettre des exactions, notamment des viols, contre des membres de leur propre communauté. Les auteurs de ces viols ont également cherché à attaquer les valeurs fondamentales et la structure sociale de la communauté notamment en humiliant et en rabaissant au maximum la victime et les témoins de ces actes.
De nombreux cas font état du viol d’une mère et de ses filles perpétré devant leur famille, de viols de masse, de viols en public ou de victimes contraintes d’avoir des relations sexuelles avec des membres de leur famille. Des brutalités et des cruautés inimaginables accompagnent souvent ces viols. Dans certains cas et dans certaines régions de la RDC, la violence sexuelle a une dimension clairement ethnique et les combattants choisissent sciemment leurs victimes au sein d’un groupe ethnique « ennemi ». Les combattants commettent également des viols afin de s’assurer, par la peur et l’intimidation, le contrôle des populations vivant sur le territoire qu’ils cherchent à occuper. Leur objectif majeur est de contrôler ou de maintenir leur contrôle sur des territoires qui sont riches en ressources naturelles telles que le diamant, l’or et le coltan
« cela n’a aucune importance » : un auteur de viol
Toutes les couches de la population dans l’est de la RDC sont touchées par la violence sexuelle. Les victimes sont issues de tous les groupes ethniques, de tous les niveaux sociaux, de tous les groupes d’âge, et de zones aussi bien urbaines que rurales. Dans certaines régions, les viols d’hommes et de jeunes garçons sont fréquents.
Les femmes et les jeunes filles sont attaquées sur les routes, dans les champs ou chez elles. Des enfants se trouvant sur le chemin de l’école ainsi que des familles allant à l’église ont été victimes d’agressions. Dans de nombreuses régions, les femmes et les jeunes filles ne peuvent marcher seules ou même en groupe de peur d’être attaquées et souvent elles ont renoncé à se rendre au marché ou à aller chercher de l’eau. Si d’autres membres de la famille protestent ou tentent de protéger les femmes, ils sont tués ou passés à tabac. Le viol est également souvent accompagné du pillage des biens du foyer ou des biens que les femmes transportaient. Après les avoir violées, les combattants forcent parfois les victimes à transporter les biens pillés.
L’immense population des personnes déplacées constitue un autre groupe à risques. En effet, ces personnes sont forcées de vivre dans des camps de fortune ou des maisons vides ou sont condamnées à vivre dans la forêt, sans-abri, sans eau, nourriture ou vêtements. Ne bénéficiant d’aucune sécurité, elles sont fréquemment victimes d’agressions sexuelles. L’éclatement généralisé des structures familiales à l’est de la RDC qui a été provoqué par le conflit armé a rendu de plus en plus d’enfants vulnérables à des attaques.
Blessures physiques et psychiques
De nombreuses victimes de viol souffrent de prolapsus utérins (la descente de l’utérus dans le vagin, ou au-delà), de fistules vésico-vaginales ou recto vaginales et d’autres blessures affectant le système reproducteur ou le rectum, qui s’accompagnent souvent de saignements ou de suintements internes ou externes. Les fistules provoquent l’incontinence urinaire et fécale, difficile à dissimuler à l’entourage, ce qui augmente le sentiment de détresse de la victime. D’autres blessures, telles que la fracture du pelvis, qui survient lorsque le viol s’accompagne de violences extrêmes, sont assez répandues. Dans de nombreux cas, la vie sexuelle des victimes est affectée à long terme.
Celles-ci peuvent devenir stériles ou avoir des difficultés à avoir des relations sexuelles normales pour des raisons aussi bien physiques que psychologiques. Les menstruations peuvent durer plus longtemps et être accompagnées de graves douleurs et même disparaître. La reconstruction chirurgicale des organes sexuels en particulier peut nécessiter plusieurs opérations plus ou moins coûteuses. Cependant, dans les circonstances actuelles en RDC, peu de femmes ont accès à des soins dignes de ce nom, en raison du non fonctionnement des centres de soins et des hôpitaux qui manquent d’équipement, de médicaments, et de personnel médical compétent.
Dans tout le pays, seuls deux hôpitaux gérés ou fortement soutenus par des ONG humanitaires internationales ont actuellement la capacité et les compétences pour soigner les victimes de viol, et ils ne peuvent traiter qu’une infime partie de celles qui en ont besoin. Il arrive que les femmes qui tombent enceintes à la suite d’un viol meurent en couches, à la suite de complications qui pourraient facilement être évitées si des soins adéquats leur étaient dispensés. Le taux de mortalité infantile et celui des mères en RDC sont parmi les plus élevés au monde. Les conséquences psychologiques pour les victimes de violence sexuelle sont nombreuses : troubles émotionnels tels que la dépression, syndrome de stress post-traumatique, choc, sentiments intenses de terreur, de rage, de honte, perte de l’estime de soi, sentiment de culpabilité, pertes de mémoire, cauchemars ou flashbacks de l’agression pendant la journée.
Ces troubles se manifestent par des symptômes physiques comme des maux de tête, des nausées, des douleurs au ventre, des rougeurs, des dysfonctionnements sexuels, des insomnies ou de la fatigue. Plusieurs de ces symptômes peuvent se manifester simultanément. Les sentiments de peur, de colère, et d’anxiété peuvent s’exprimer par des pleurs, des rires, ou une grande agitation ; chez certaines femmes, ils peuvent s’exprimer par de l’indifférence ou de l’apathie. Ces effets ont tendance à durer pendant des années. En RDC, le soutien et les traitements thérapeutiques sont quasiment inexistants, exception faite du soutien psychologique donné de manière informelle par des associations de femmes congolaises qui luttent contre le viol et d’un très petit nombre de psychologues d’ONG internationales. Les problèmes de santé mentale des victimes sont en outre aggravés par la peur d’être répudiées par leur mari ou rejetées par leur famille ou leur communauté. La peur d’avoir contracté le virus du sida ou d’autres IST, ou encore de tomber enceinte contre leur gré intensifie encore le traumatisme.