À la même époque, les États-Unis jouaient le même jeu en Afghanistan en appuyant les factions islamiques qui combattaient le régime prosoviétique. Bin Laden, entre autres, était introduit au plus haut niveau au sein du dispositif américain qui passait par l’Arabie saoudite et le Pakistan. La logique perverse était, « l’ennemi de mon ennemi est mon ami »… En Afghanistan, les factions islamiques surarmées ont mis à terre l’armée soviétique et plus tard cet État tout entier au grand plaisir de Washington.
En Palestine, grâce à ce stratagème, les Israéliens ont beaucoup nui à l’élan du mouvement national dans les territoires occupés, alors sous l’influence de courants démocratiques et de gauche. Ceux-ci avaient beau proposer aux Israéliens un compromis fort acceptable, soit de permettre la création d’un État palestinien sur 28 % du territoire historique de la Palestine), on les a envoyé promener comme des malpropres. Aux États-Unis et parmi les larbins canadiens, Abdel Shafi et d’autres comme Mustafa Barghouti de Ramallah et Faiçal Husseini de Jérusalem étaient des pestiférés. On ne devait pas les approcher… Je travaillais avec un petit ONG à Montréal, le Centre d’études arabes pour le développement (CEAD). On n’avait pratiquement pas le droit de rencontrer des fonctionnaires chargés du dossier à Ottawa.
À la même époque, Washington, Ottawa et les autres avaient un autre allié dans la personne de Saddam Hussein, le tueur de Bagdad. Quand il a envahi l’Iran et massacré des Arabes et des Kurdes, on l’a présenté comme un rempart contre le radicalisme iranien. Des milliers de civils ont été bombardés au gaz, souvent achetés en bel argent comptant des marchands de la mort nord-américains et européens. Par la suite, le cher Saddam s’est pensé plus important qu’il ne l’était et a envahi le Koweit. Les copains saoudiens de cette pétromonarchie ont appelé les USA au secours qui ont alors refoulé l’Irak en déployant des centaines de milliers de soldats dans une opération appuyée par le Canada. Lorsqu’on s’est opposés à cette guerre à Montréal, les « autorités » nous ont traités de suppôts de Saddam.
Après cette guerre, les États-Unis ont concocté avec leurs larbins israéliens un soi-disant accord de paix, qui a été finalement endossé par Yasser Arafat, contre l’avis de la plupart des leaders palestiniens. Cet accord était en fait un outil de pacification, qui menait les Palestiniens à accepter l’occupation quitte à changer quelques formes. Cela ne pouvait pas marcher. Nous l’avons dit, mais personne n’était intéressé à Ottawa. Après tout, nous étions des « radicaux » contre la paix.
Au tournant des années 2000, les signes d’opposition populaire devenaient flagrants en Irak et en Syrie pendant que la Palestine commençait à tomber en morceaux à la suite des attaques israéliennes, notamment à Gaza. De peine et de misère, nous avons amené à Ottawa des représentants des mouvements démocratiques syriens et irakiens qui se battaient pour la démocratie, mais qui refusaient d’être des relais de la politique américaine. On nous a écoutés poliment, mais pas plus. À la même époque commençait la « guerre sans fin » à la suite des attaques sur New York et Washington perpétrées par les anciens « alliés » de Washington. Cette fois ci, comme nous étions des centaines de milliers, nous avons empêché le gouvernement canadien d’endosser la guerre qui en plus d’être stupide était illégale dans le contexte de la légalité internationale. Stephen Harper alors dans l’opposition avait alors traité Jean Chrétien de « lâche ».
À partir de 2006, la politique canadienne sous Harper est devenue plus transparente. L’ennemi « arabo-musulman » est désigné, contre la « civilisation occidentale » et son rempart dans la région, Israël. La guerre est effectivement sans fin.
Aujourd’hui, l’Empire américain tergiverse. Le projet délirant de Bush n’a plus la cote. On cherche dans d’autres directions, notamment en sous-contractant la guerre à des « alliés » locaux et en fragmentant les États : c’est ainsi que présentement il y a trois Irak, au moins 4 Afghanistan, 3 Palestine et qui sait combien de Syrie. Le but est simple : créer une situation où tout le monde est contre tout le monde.
Depuis quelques temps, les États-Unis et leurs larbins canadiens se retrouvent avec des milices sectaires qui ont déjà commencé à tuer des centaines d’Irakiens, sous le couvert de la lutte contre l’« État islamique ». Les « terroristes » d’hier, les combattants kurdes du PKK, sont devenus d’authentiques « combattants de la liberté ». En Syrie, les ennemis de l’État islamique, y compris la branche locale d’Al-Qaida (Al Nosra), sont plus ou moins discrètement armés par d’autres « alliés » des États-Unis comme le Qatar et la Turquie.
Ce serait à mourir de rire si cette bouffonnerie ne produisait pas un massacre d’une ampleur inédite, qui ne fait que commencer d’ailleurs.
À Ottawa, il n’y a pas deux députés et même ministres qui s’intéressent à cette tragédie. Ils ne savent pas la différence entre l’État islamique et Al Nosra. Ils ne savent pas qui sont les kurdes. Ils se foutent allègrement des nombreux groupes armées qui essaiment en Syrie, y compris ceux qui n’ont rien à voir avec les factions islamistes. Il est probable qu’ils pensent que les Iraniens parlent arabe et que Jérusalem a été construite sous les ordres de Dieu. Une poignée de fonctionnaires et de spécialistes du SCRS eux connaissent la situation, mais on ne leur demande pas leur avis. On s’apprête ainsi à endosser une présence militaire canadienne prolongée dans la région.
Quel est donc le but de cette « montée au front » de Harper ? La principale raison à vrai dire est domestique. La « lutte contre le terrorisme » est devenue le mot de passe pour justifier la ligne dure, la politique du gros bâton, non seulement contre des « islamistes radicaux » canadiens (une poignée d’excités amateurs selon moi), mais contre les libertés qui permettaient aux mouvements dissidents de prendre la parole, de s’opposer à la folie de la guerre fin, et probablement aussi au délire pétrolier des Conservateurs. Le virage que le Canada doit prendre, Harper ne s’en est jamais caché : construire une forteresse du néoconservatisme et du militarisme. Avec l’État islamique, on a une « occasion » en or de faire peur au monde et de justifier les nouvelles opérations militaires qui se dessinent, tout en imposant les législations liberticides au nom de la sécurité dite nationale. Les Irakiens, les Syries, les Palestiniens, les Iraniens ne comptent pas dans cette équation.
Je termine en disant que tout cela se fait en bonne partie parce que les grands médias acceptent de jouer la « game ». Malheureusement, il ne s’agit pas seulement ici des médias-poubelles qui sans gêne et sans reproche crachent leur venin et leurs mensonges à toute heure du jour. Hier soir à Radio-Canada, j’ai calculé que les 12 premières minutes étaient consacrées à la « lutte contre le terrorisme », ce qui incluait les Tartuffe qui ont creusé un trou à Toronto (!), le message vidéo du pathétique personnage qui a tiré sur un soldat à Ottawa en passant par Adil Charkaoui et quoi d’autres encore ! La semaine prochaine à la Chambre des communes, on utilisera tout cela pour diminuer les libertés et pour préparer la prochaine élection fédérale…