De la « catho-laïque » loi 21 au capitulard et tordu projet de loi 96
La loi 21 interdit le port des signes religieux par le personnel enseignant et certaines autres personnes en position d’autorité. Dans le contexte politique réellement existant, elle cible le droit au travail des femmes voilées sous prétexte de laïcité. Si elle promouvait réellement la laïcité, cette loi aurait supprimé les généreuses subventions aux écoles privées religieuses dont celles catholiques sont de loin les plus nombreuses et elle aurait mis fin aux privilèges fiscaux des organisations religieuses qui bénéficient surtout à l’Église catholique. Enfin sa réglementation ne tolérerait plus la présence des crucifix dans les édifices des systèmes hospitalier et scolaire. C’est à se demander si la CAQ n’a pas surtout offert un cadeau à sa base catholique sous forme de « catho-laïcité ». La grande majorité de la militance Solidaire a rejeté en congrès la loi 21 malgré les hésitations de la députation plus préoccupée de la conquête électorale des banlieues et régions francophones. En a résulté une absence organisée du parti aux manifestations contre cette loi appelées par les organisations minoritaires.
Le projet de loi 96 prétend renforcer certains aspects de la loi 101 édulcorée chemin faisant par la Cour suprême du Canada. Elle le fait en embrouillant encore plus le byzantinisme de la loi 101 empêtrée dans sa reconnaissance comme étant des droit des privilèges linguistiques de la plus riche et historiquement conquérante minorité anglophone de souche. Cette reconnaissance, intériorisée par la gauche radicale et même marxiste, non seulement justifie l’existence mais aussi cristallise le développement plus avancé des systèmes anglophones d’enseignement et de santé tout comme de ses riches municipalités du West Island qui ont instrumentalisé les Libéraux provinciaux pour rejeter la fusion une île-une ville. On est loin de la grande manifestation du McGill français de 1969.
Cette capitulation intériorisée par le projet de loi 96 donne des résultats souvent abracadabrants comme de renforcer le caractère élitiste des cégeps anglophones par une politique de quotas ou d’imposer un examen de français aux allophones fréquentant le cégep anglais mais non aux anglophones de souche. Aux niveaux primaire et secondaire, les anglophones continueront à jouir du libre choix de la langue d’enseignement mais non les francophones et allophones. En résulte qu’au niveau scolaire les anglophones jouissent d’un soi-disant droit de choisir leur langue d’enseignement et d’un élitisme sans contrainte
Les francophones se rattrapent-ils au niveau de la langue de travail ? Peut-on vraiment croire que la CAQ acquise à la loi de compétitivité capitaliste fera du zèle pour que les moyennes entreprises (25 à 49 employés) s’appliquent une couteuse francisation ou ne trouve pas des prétextes pour faire des embauches bilingues ? Tout au plus les entreprises consentiront-elles à la semi-francisation de façade et laisseront quelques zélés francophones tenter de laborieusement, sous les sarcasmes des grands médias anglophones, prouver une discrimination à l’embauche ou de ne pas avoir été servis en français dans un commerce.
La langue, un rapport social, est un droit collectif national, et non un droit individuel
Ces privilèges linguistiques du conquérant de 1760 sont garantis par la Constitution du Canada sous prétexte que la langue, par définition un rapport social, est un droit individuel alors qu’elle est un droit national collectif. C’est là le secret bien gardé de la constitution du Canada et de sa charte des droits bien adaptées à l’idéologie individualiste néolibérale : elles ignorent les droits collectifs nationaux tout comme ceux sociaux. Ce n’est pas un hasard que cette charte, que l’Assemblée nationale a unanimement rejetée et qu’elle n’a toujours pas acceptée, ait été proclamée au même moment qu’émergeait le néolibéralisme mondial et quelques années avant l’entente de libre-échange entre le Canada et les ÉU.
Le problème avec les conséquences en est non pas le bilinguisme généralisé de Montréal, ce qui est une richesse culturelle et un atout économique, mais que la minorité anglophone, sauf exceptions, s’y identifie comme le bastion avancé de la majorité conquérante. Le PDG d’Air Canada vivant à Montréal depuis 14 ans sans daigner s’abaisser à apprendre le français en cristallise toute l’arrogance tout comme le gouvernement du Canada qui embauche des agents d’immigration unilingues anglais pour son agence de Montréal. Comme quoi l’unilinguisme du Premier ministre du Nouveau-Brunswick et l’affaire du bilinguisme des juges de la Cour suprême n’étaient qu’une annonce de l’offensive chauvine anti-Québec cherchant à isoler Montréal du restant du Québec. Le moindre correctif dont on s’attendrait du gouvernement fédéral, comme le demande Québec solidaire, serait de soumettre les entreprises sous sa juridiction, dont Air Canada, à la loi 101 tel quelle sera amendée par la futur loi 96 tout alambiquée soit-elle.
L’égalité formelle ne corrige pas les inégalités réelles léguées par l’histoire
Considérant la conception abstraite de l’égalité du gouvernement fédéral, les nations autochtones, acadiennes et les minorités franco-canadiennes auraient-elles droit à leurs systèmes scolaire et même de santé ? Historiquement, ces peuples et minorités résident et vivent sur leurs territoires nationaux même si comme pour le peuple québécois leurs territoires ont été conquis militairement. Comme peuples et minorités opprimés au point que leurs langues sont en déclin et même souvent en perdition, il leur est légitime de demander et d’obtenir des écoles dans leurs langues même hors leurs territoires nationaux souvent quittés pour des raisons économiques liées à leur oppression. Mal accueillis dans les hôpitaux, leur demande de cliniques et d’un hôpital est légitime.
Pourquoi pas la « minorité » anglophone québécoise ? Parce qu’elle est un bastion avancée de la majorité hors son territoire national et que l’anglais omniprésent n’est nullement menacé par leur insertion dans le système scolaire dans une autre langue quitte à ce qu’une portion de leurs cours leur soient adaptée pendant que la majorité apprend l’anglais dont elle ne saurait se passer comme langue de communication internationale. Il en va des inégalités entre les nations et les nationalités comme de celles entre les femmes et les hommes lesquelles requièrent une politique de discrimination positive.
Entre la loi 21 et le projet de loi 96, non pas une commune mesure mais une nette opposition
Le débat inextricable et insoluble qui s’ensuit pour arrêter l’attirance des allophones et des francophones vers le système anglophone cache le véritable but du projet de loi caquiste soit d’amender à la Don Quichotte la constitution canadienne en y affirmant que le Québec est une nation et que le français y est la langue commune et officielle. Avant les élection, tous les partis du parlement fédéral ont fait semblant d’acquiescer à cet amendement sauf l’ex-ministre autochtone de la Colombie britannique qui avait auparavant tenté de ruiner un fleuron de Québec Inc. plus corrompu que les autres. Aurait-elle été si inflexible envers une entreprise hors Québec ? Pour compliquer encore l’affaire, cet amendement provoque l’ire de l’Assemblée des Premières nations du Québec et Labrador car elle envoie sous le tapis leurs langues maternelles en fort déclin et pour plusieurs nations marginalise l’anglais comme leur langue d’usage imposé par la loi fédérale des Indiens.
La réalité est qu’il y a une opposition nette, et non pas une commune mesure comme le suggère la question du débat anglais, entre une loi 21 effectivement islamophobe et sexiste et un projet de loi 96 qui défend la réalité constitutionnelle de la nation québécoise et de sa langue, même si c’est d’une façon électoraliste et opportuniste, tout en tentant à la mode caquiste, donc en ignorant les langues autochtones, de renforcer la loi 101 contre la prédominance envahissante de l’anglais qui est non seulement la langue de la majorité dominante mais aussi la lingua franca mondiale de l’économie globale néolibérale et de l’internet et des réseaux sociaux (en contraste avec l’affaiblissement du français comme langue mondiale).
Le correctif Solidaire est d’amender le projet de loi pour renforcer le français comme langue de travail — plus d’entreprises couvertes, renforcement de l’apprentissage en entreprise, langue numérique — et de proposer une loi parallèle sur les langues autochtones. Étant donné le fort identitarisme de la CAQ clashant avec son affairisme, ne faudrait-il pas tant s’opposer au projet de loi 96 jusqu’à l’obtention d’une garantie pour les langues autochtones que d’avoir le culot de réclamer la francisation mur à mur des systèmes scolaire et de santé tout comme de la langue de travail sous supervision des syndicats et des organisations populaires quitte à prévoir une généreuse période de transition ?
La théorie du settler colonialism fait disparaître le peuple québécois et la langue française
Le point aveugle sur l’inadéquation entre la loi 21 et le projet de loi 96 tant du côté majoritaire canadien-anglais que québécois, mais d’un point de vue opposé, cache aux uns et aux autres la dialectique entre la défense de l’opprimée et le chauvinisme de l’oppresseur qui coince en sandwich le peuple québécois. Chez la gauche canadienne-anglaise, la prévalente lecture contemporaine de l’histoire du Canada est basée sur la théorie du settler colonialism. Celle-ci conduit à amalgamer le peuple québécois au peuple canadien-anglais comme un peuple « blanc » mais qui refuse, contrairement à lui, de reconnaître son racisme systémique malgré la tuerie de la mosquée de Québec, le profilage antinoir de la police de Montréal, de Repentigny et de Val-d’Or, et le racisme envers les autochtones dans les hôpitaux mise en évidence par la mort de l’atikamekw Joyce Echaquan et le rapport Viens.
Ce racisme québécois inhérent, qui trouve son pendant au Canada anglais et encore plus aux ÉU, proviendrait de son histoire semi-féodale et surtout de la mainmise idéologique et même politique de l’Église catholique jusqu’à historiquement tout récemment ce qui expliquerait la faiblesse des ses institutions démocratiques qui ne sont d’ailleurs pas suis generis mais celles britanniques. Comme si la démocratie parlementaire, une victoire des luttes populaires s’étendant sur deux siècles, était inhérente au capitalisme comme le prétend l’idéologie néolibérale alors que le capitalisme ne cherche qu’à la restreindre et à la réprimer.
Cette théorie du settler colonialism rencontre aussi l’assentiment de la grande majorité de la gauche québécoise non-francophone conditionnées par les grands médias anglophones et du buzz des réseaux sociaux. Plus crucialement, elle pénètre une bonne partie de la jeunesse progressiste francophone qui n’a pas connu les luttes nationales du dernier demi-siècle achevées avec la défaite référendaire de 1995 et closes avec la dite loi fédérale de la clarté de l’an 2000. À Montréal, contrairement aux manifestations syndicales et populaires (logement, pauvreté…) se déroulant essentiellement en français, celles anti-racistes sont soit carrément bilingues et même, particulièrement pour celles autochtones, à prédominance anglaise. Quant aux manifestations climatiques, elles naviguent entre les deux.
Tourner le fer dans la plaie d’un Québec meurtri pour cacher un incontournable capitalisme
Pour paraphraser le célèbre sociologue canadien Marshall McLuan, « the language is the message ». Peu importe la véracité du discours, non seulement le message ne passe-t-il pas ou mal mais il heurte frontalement la sensibilité nationale québécoise quand il lui est adressé en anglais. (Même le discours de Greta Thunberg n’aurait-il pas pu être traduit lors de sa prestation ?) On comprendra que quand on y ajoute que Montréal est un territoire autochtone non-conquis, alors que la souveraineté du peuple québécois n’y est même pas assurée, la coupe déborde. Quand l’anglophone direction du club de hockey Les Canadiens de Montréal, dont l’adulation unit tant francophones qu’anglophones, affirme vouloir reconnaître publiquement ce fait avant chaque match, le peuple québécois comprend très bien que c’est là un message fédéraliste que lui adresse la majoritairement anglophone classe d’affaires montréalaise, fer de lance de l’axe Toronto-Ottawa passé maître dans l’art de diviser pour régner. C’est une triste affaire que plusieurs personnalités autochtones de la région de Montréal se prête, consciemment ou non, à ce jeu mesquin.
La dynamique de la popularité de la théorie du settler colonialism combinée au profond recul de la lutte nationale québécoise cause de profonds dégâts à la lutte du peuple québécois pour sa libération nationale et son émancipation sociale. Par ricochet cette dynamique affaiblit la lutte du peuple travailleur de l’État canadien, allié avec ses nombreux peuples opprimés, pour le renversement du capitalisme trônant à Wellington Street et régnant sur Bay Street. La théorie du settler colonialism détrône la centralité du capitalisme dont la colonisation est certes un aspect historique crucial et dont l’idéologie divisive perdure sous la forme du racisme et du Quebec bashing car le peuple québécois a connu lui aussi une catastrophique conquête. Ce colonialisme a souvent été compris par la gauche comme ayant seulement une dimension historique comme s’il ne se perpétuait pas dans le Canada et le Québec contemporains. Cette prise de conscience exige une décolonisation de l’esprit, des comportements et du discours ce qui amène à une réorientation de l’action militante.
Le recul de la lutte nationale québécoise n’a pas lessivé le nationalisme dont la source est l’oppression nationale inhérente à la construction historique de l’État canadien que ce soit tant vis-à-vis la nation québécoise que vis-à-vis celles autochtones et acadienne sans compter ses effets délétères sur les minorités nationales particulièrement celles racisées mais aussi celles francophones. Ce recul a dévoyé et ratatiné le nationalisme de l’opprimé en identitarisme frileux, rappelant l’ère duplessiste, sur le dos des nationalités minoritaires dont celle arabo-musulmane, extensible à souhait, est le bouc émissaire succédant à l’antisémitisme toujours bien vivant sur fond de racisme antinoir et anti-autochtone.
La division identitaire du peuple et des peuples va-t-elle l’emporter sur celle en classes sociales ?
Le piètre état de la lutte sociale au Québec est souligné par l’échec du Front commun du secteur public qui ne s’est pas constitué pour la première fois depuis les années 1960 et il est rappelé à chaque sondage par la relative popularité, particulièrement chez les francophones, de l’identitaire CAQ et dernièrement par la montée rapide de l’ouvertement anti-immigrant parti Conservateur du Québec (PCQ), une scission droitiste de la CAQ. Quant à la lutte autochtone, elle ne s’est pas relevée de la défaite des Wetʼsuwetʼen de Colombie britannique et de celle des Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse. Le faible appui de ces luttes au sein de la population non-autochtone partout au Canada a d’ailleurs démontré le succès des divisions nationales alimentées par le Quebec bashing. En résulte la stagnation de la scène politique canadienne que les résultats de la dernière élection canadienne ont démontrée, en particulier ceux du NPD, malgré une croissance marginale, notamment par rapport au grand espoir de 2011 appuyé sur la percée québécoise.
Cette division identitaire québécoise et canadienne n’a rien d’original par rapport à ce qui se passe ailleurs dans le monde. À droite montent les partis fascisants et d’extrême-droite ce qui pousse à droite ceux de centre-droit et de centre-gauche. L’absence prolongée de victorieuse riposte syndicale et populaire de grande ampleur depuis une génération a laissé place à gauche à une riposte démocratique contre le racisme, la xénophobie et le sexisme dont le mouvement Black Lives Matter aux ÉU et au Canada est le porte-étendard. Cette riposte est qualifiée de divisive « wokisme » par la droite dont le premier ministre du Québec qui a utilisé ce qualificatif envers Québec solidaire. Il y a un noyau de vérité dans cette critique en ce sens que faute de convergence des ensembles opprimés entre eux et surtout de ceux-ci avec la masse prolétarienne exploitée en semi-dormance, cette riposte peut virer au sectarisme contre la majorité populaire pour la plus grande joie du capitalisme ce que consolide théoriquement la théorie de settler colonialism remplaçant la cible commune capitaliste par le peuple « blanc ».
Après la torpeur de la pandémie restée menaçante, la lutte sociale repart par la porte climatique
Pour se tirer de cette fausse piste menant à un cul-de-sac stratégique, la critique est nécessaire mais non suffisante, surtout sans alternative, car elle joue alors le jeu de la droite. D’autant plus que sur ce terrain les prises de position principielles sont soit complexes soit nettement à contre-courant de la vision identitaire de la société qui masque celle de classe quoique le mouvement Occupy ait popularisé l’opposition du 1% avec le 99%. Les existentielles crises du climat et de la biodiversité combinées à celles sociales des inégalités croissantes et de la pauvreté sont la porte de sortie à condition de ne pas les utiliser comme fuite en avant. La grande masse populaire des gens racisés et non-racisés, autochtones et non-autochtones, francophones, anglophones et allophones, femmes et hommes s’opposent ou tout au moins sont sceptiques à propos des politiques affairistes des gouvernements sur ces enjeux.
Les actuelles mobilisations populaires au Québec se font sur ces enjeux comme les manifestations sur le climat de Fridays for the future du 24 septembre qui ont rassemblé de quinze à vingt mille personnes avec une grève de plus de cent mille personnes aux études malgré les effets démobilisateurs de la pandémie. Le contraste avec l’échec de la manifestation du Front syndical pour le climat du 6 novembre, à peine mille personnes à Montréal, en était d’autant plus frappant. Pas moyen de faire autrement que de constater l’ineptie de la bureaucratie syndicale incapable non seulement d’organiser une grève climat prévue mondialement mais même pas une nombreuse manifestation climat où il y a deux ans se regroupaient un demi-million de personnes. Le sens que bureaucrates donnent à la « transition juste » c’est faire semblant de mener la lutte climatique pour mieux la freiner des deux pieds.
Heureusement que le mouvement syndical peut compter sur les grèves des travailleuses de garderies qui les rassemblent sur plusieurs journées par milliers ou centaines avec grèves concomitantes malgré d’importantes concessions salariales du gouvernement mais impliquant un réactionnaire rallongement de la semaine de travail à 40 heures. Comme quoi les travailleuses du secteur public n’ont pas dit leur dernier mot. Comme aux ÉU, les travailleurs et travailleuses du secteur privé relèvent la tête particulièrement ceux et celles essentielles comme chez les entreprises alimentaire Exceldor et Olymel dont la grève largement gagnante a défrayé les manchettes sur plusieurs semaines sans capituler au chantage des grands éleveurs porcins appuyés par la CAQ. À la fin octobre, le ministère du Travail dénombrait plus de 2 600 grévistes dont les travailleuses d’un hôtel Hilton et les ambulanciers sans compter les arrêts sporadiques des travailleuses de garderies.
L’annonce d’un saut qualitatif anticapitaliste émergeant de la lutte climatique
Plus important encore est peut-être l’annonce d’un saut qualitatif anticapitaliste émergeant de la lutte climatique. Un des principaux organisateurs de la grande manifestation climat du demi-million de personnes à Montréal avec Greta Thunberg de septembre 2019 « propose de relancer la lutte pour le climat sur de toutes nouvelles bases, en nommant et en confrontant directement les responsables de la catastrophe en cours, soit les dirigeants des grandes corporations accrochés à leurs privilèges. Il faut amorcer la décroissance maintenant, dit-il, et cela ne peut se faire sans combattre le capitalisme, un système fondé sur une croissance infinie, injuste et mortifère ». François Geffroy, encore méconnu dans le mouvement écologiste malgré qu’il soit un co-fondateur de l’organisation « La planète s’invite au parlement » « jette un regard critique sur cette manifestation : ‘’On n’osait même pas dire qu’on était contre les politiciens au pouvoir. On les invitait à marcher avec nous. On était totalement incapables de nommer un adversaire. On était là parce qu’on aimait la planète.’’ Cette manifestation illustre notre peur de combattre les responsables de la catastrophe climatique » (André Noël,Il est temps de nommer les adversaires dans la lutte pour le climat, Pivot, 1/11/21).
Il faut approfondir le débat courageusement amorcé. Bien qu’il faille arrêter net et diminuer radicalement la consommation scandaleuse des billionnaires et autres multimillionnaires si ce n’est des couches moyennes supérieures et permettre l’augmentation de celle de la majorité mondiale la plus pauvre comme le dit François Geffroy, il s’agit moins d’un transfert que surtout et à la fois d’une mutation de cette consommation. La production manufacturière et celle en amont tout comme l’agro-industrie, sous le contrôle très majoritairement des transnationales car moelle épinière du profit, est à réduire drastiquement sinon à supprimer complètement. Le moyen en est l’élimination de l’habitation unifamiliale et en rangée, de l’auto solo, des produits animaliers, de l’obsolescence programmée, de la mode, de l’hypertrophie communicationnelle (5G) et commerciale dont la publicité. Par contre, il faut une augmentation draconienne des services à la population, ceux déjà publics à parfaire comme ceux qui doivent le devenir en particulier les stratégiques secteurs de la finance, du transport et de l’énergie mais aussi l’habitation dans le cadre d’un aménagent du territoire maximisant le transport actif et les trajets courts. L’écoféministe prendre soin des gens des services publics nécessite essentiellement de l’énergie humaine et tisse une société solidaire qui se substitue au centuple comme générateur de bien-être à la société énergivore et carnivore de la consommation de masse.
La voie stratégique anticapitaliste passe-t-elle par l’État écosocialiste, par l’indépendance ?
Les adversaires qu’il faut nommer sont certainement les Bezos et Laliberté tout comme les transnationales Apple et Disney qui ne veulent même pas du toussoteux Green New Deal de Biden. En fait le rejet du capitalisme, ou son dépassement comme le dit le programme Solidaire à dépoussiérer sur ce point, c’est davantage que le rejet de « l’ensemble des corporations multinationales. » François Geffroy, fort à propos, parle « de renouer avec l’idéal de la démocratie économique, qui a été à la base du projet socialiste » mais les gouvernements et leurs partis politiques, en un mot l’État, restent le point aveugle de son analyse du moins dans l’entrevue citée malgré la perche tendue de l’intervieweur. François Geffroy semble prôner l’expropriation des moyens de production lesquels mènent au « capitalisme barbare auquel on a été confrontés aux lendemains de la révolution industrielle » mais où est la stratégie qui ne peut faire autrement que de passer par le renversement de l’État capitaliste ? Est-ce possible par seulement les élections conformément à la pratique Solidaire ? Sa militance mouvementiste suggère autre chose mais quoi ? Quel rôle accorde-t-il aux partis politiques de gauche en général, à Québec solidaire en particulier ? Faut-il passer par un état (éco-)socialiste ?
François Geffroy ignore l’enjeu de l’indépendance dont il semble que plus ça va plus personne ne veut sauf quelques vieilles barbes du PQ et quelques zélotes « purzédurs » dans Québec solidaire. La politique réellement existante Solidaire est déconnectée de sa stratégie vers l’indépendance par la voie de l’Assemblée constituante lors du premier mandat. La priorité Solidaire est certes la lutte climatique ce dont le parti rabat les oreilles du grand public mais il prône une cible de réduction des GES de moins de 45% pour 2030 par rapport à 2010 soit moins que le minimum vital demandé par le GIEC et à peine égale à celle d’Ottawa pro pétrole bitumineux et pro gaz de fracking ,et sans plan d’action pour atteindre cette cible insuffisante. Sauf pour le rejet du tunnel de dix milliards $ entre Québec et Lévis sous le Saint-Laurent dit « troisième lien », enjeu clivant dont la députation fait ses choux gras, la politique climatique Solidaire ne se démarque pas de celle tout électrique la CAQ. Celle-ci est axée sur le marché du carbone ; sur le train aérien REM pour le grand Montréal qui réduit à peine les GES, accroît les tarifs et favorise l’étalement urbain ; sur la subvention généreuse des autos solos électriques qui substituent une nouvel extractivisme minier à l’ancien des hydrocarbures ; et sur le soutien étatique des entreprises de la grappe électricité du capitalisme vert. Nul besoin alors de l’indépendance pour se déconnecter du l’axe finance-pétrole Toronto-Calgary et non plus pour rejeter la main lourde de la Cour suprême qui étouffe la lutte pour faire du français la langue commune car les réformes Solidaires se moulent aux constitutionnels pouvoirs provinciaux.
La convergence pour le climat, la biodiversité, l’antiaustérité, l’antiracisme et… le français
Il n’en reste pas moins que le grand rassemblement du demi-million avec Greta Thunberg, une passé par le filtre de la réflexion du confinement pandémique, aboutit à poser dans le débat public la nécessité anticapitaliste qui ainsi sort de la confidentialité des cercles de gauche. Cet approfondissement de la réflexion renforcera-t-elle théoriquement la convergence « justice climatique – justice sociale » qui anime la résurgence postpandémique du combat climatique ? La lutte anti-austérité du prendre soin des gens, renouvelée par le choc pandémique et générant comme on l’a dit d’impeccables emplois écologiques, participe au prendre soin de la terre-mère des peuples autochtones. Il faut leur accorder le droit de veto sur la coupe forestière et le développement minier sur leurs terres ancestrales tel qu’exigé par la Déclaration des nations unies sur les droits des peuples autochtones (Marie-Laure Josselin, Coupes forestières, le ras-le-bol des Atikamekw, Radio-Canada, 3/11/21). La CAQ refuse un moratoire sur les coupes et une mine de graphique à la nation atikamekw. Et Québec solidaire le veut-il lui qui a refusé d’appuyer les Anishinabés voulant un moratoire sur la chasse à l’orignal ?
Comme dans le combat final pour la survie de l’humanité, la lutte climatique s’entremêle à la lutte pour la biodiversité. Cette dernière fait écho à la lutte antiraciste pour la diversité ethnoculturelle de l’espèce humaine dont la langue est partie prenante. La langue n’est pas qu’un moyen technique de communication comme l’est le simple English de Wikipédia. Elle est porteuse par son vocabulaire, par sa syntaxe, par ses tournures de phrase, par ses expressions qui soutiennent une littérature, un cinéma, un réseau social, une ambiance urbaine d’une vision du monde qui aide à le faire voir autrement que celle véhiculée par l’anglosphère dominante. L’apprentissage des langues est une richesse à condition qu’il ne soit pas prétexte à tuer la langue maternelle.
L’accueil des personnes réfugiées fuyant la misère néolibérale et la terreur des guerres qu’enveniment les extrêmes climatiques enrichit et dynamise culturellement et économiquement les peuples vieillissants et souvent sclérosés des vieux pays impérialistes. Tentés par le repli identitaire allant jusqu’à réclamer des programmes sociaux pour les seuls natifs fermant à double tour leurs frontières nationales, ces peuples s’agrippant à des vieux récits dominateurs ou à de réels économies de guerre permanente qui les ruinent au profit du 1% s’exposent ainsi au populisme fascisant des sauveurs suprêmes.
Le chemin est tracé. Reste à le prendre.
Marc Bonhomme, 7 novembre 2021
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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