Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Trudeau, un visage à deux faces

Pour remporter ses élections, Trudeau a réussi à faire croire qu’il saurait répondre aux attentes sociales de différents secteurs de la population. Une fois au pouvoir, il s’est rendu aux desiderata de la classe dominante et tel était le vrai plan de match. Trudeau a su saisir, mieux que le NPD, les attentes, les penchants et les exaspérations de ces électeurs et électrices potentiels. Il a élaboré un message de campagne qui était le plus susceptible de s’attirer le maximum de votants.

Pour répondre aux sensibilités environnementalistes, Trudeau s’est fabriqué une image de passionné de la nature et de supporter de la lutte aux changements climatiques. Cela lui a permis de laisser dans l’ombre le fait qu’il n’a pris aucun engagement sur les énergies fossiles. Il a laissé à Mulcair l’odieux de refuser clairement et explicitement de s’engager à ce niveau.

Pour répondre aux revendications des femmes, il a insisté sur le fait qu’il allait accorder la parité aux femmes dans son futur cabinet…

Pour répondre aux sensibilités autochtones et aux progressistes qui les soutiennent, il s’est présenté comme un grand ami des Premières nations, avec participation aux cérémonies de ces dernières en promettant de rompre avec les politiques odieuses du gouvernement Harper envers elles.

Pour s’assurer le soutien des directions syndicales, il a promis d’abroger les lois antisyndicales du gouvernement Harper.

Pour offrir une perspective aux démocrates qui dénonçaient depuis longtemps le caractère antidémocratique du mode de scrutin uninominal qui permet à une minorité de représenter majoritairement le corps électoral dans les comtés comme au niveau national, il a promis, et en a fait un thème central de son élection, la réforme de ce mode de scrutin. Dans la même logique démocratique, il dénonçait les politiques sécuritaires d’Harper (loi C-51) et il promettait la légalisation de la marijuana.

C’est ainsi qu’il a réuni à réussi à additionner des parts de marché électoral et de faire du Parti libéral une coalition politiquement majoritaire. Cette stratégie électorale est maintenant fort répandue dans nos pays de démocratie restreinte. . [1]

Affirmer que le PLC a tourné à gauche comme cela a souvent été répété, c’est confondre une orientation politique, avec un florilège de thèmes électoraux confectionnés sur mesure pour répondre à des sensibilités particulières présentes dans l’électorat. Il s’agissait de présenter son côté givré caractérisé par un certain modernisme culturel et de rester dans l’ombre.

  • La réalité de ses intentions sur la politique politique énergétique (en partie du moins, car Daniel Gagnier, coprésident du comité de campagne nationale de Trudeau lié au lobby du pétrole a dû démissionner) ;
  • Son refus de remettre en question l’actuelle redistribution des richesses ;
  • ses engagements envers l’industrie militaire ;
  • ses engagements envers le libre-échange et les multinationales ;
  • sa volonté de faire assumer par le Canada le rôle d’associé junior accommodant envers le gouvernement américain ;
  • son mépris de la réalité de la nation québécoise et de ses revendications

Le masque électoral n’a pas tardé à craquer de toute part.

Le masque électoral tient encore, mais il se décompose à mesure que les politiques réelles de ce gouvernement se révèlent.

Le gouvernement Trudeau a accordé son soutien à la construction de pipelines. Il a soutenu la construction du pipeline Kinder Morgan qui aboutira dans le port de Vancouver où 400 pétroliers pourront être chargés pour exporter le pétrole albertain vers le marché asiatique. Il a défendu la rénovation de la canalisation 3 d’Enbridge faisant le lien entre l’Alberta et l’État américain du Wisconsin. Il a accordé un accueil enthousiaste à la décision du président Donald Trump de soutenir la construction de Keystone XL. Il a soutenu contre une très large opposition de la population du Québec le projet de construction du pipeline d’Energie Est. En fait, ces pipelines permettront la croissance de la production du pétrole des sables bitumineux de 40% d’ici 2025.. Et c’est le même gouvernement qui, à Paris, signe des accords -non contraignant, il faut le dire- sur la réduction des émissions des gaz à effet de serre pour limiter la hausse du réchauffement climatique. Il n’est donc pas étonnant que le premier ministre Trudeau ait été invité par les grandes pétrolières qui lui ont accordé un prix de « leadership mondial dans le domaine énergétique » en mars 2017.

Le gouvernement Trudeau n’a rien a réclamé aux mieux nantis qui en 2016 ont envoyé pas moins de 272 G$ dans des paradis fiscaux. [2] leur permettant de sauver chaque année des dizaines de milliards en impôts. Pour soigner leur image, encore « les libéraux avaient appuyé une motion du NPD visant à s’attaquer aux paradis fiscaux, à resserrer les règles pour les sociétés fictives et à mettre fin aux ententes actuelles de pardon sans pénalité pour les individus soupçonnés d’évasion fiscale. » Malheureusement, le budget 2017 ne présentait aucune stratégie concrète pour s’attaquer aux paradis fiscaux. » [3]

Au niveau des engagements militaires, comme l’écrit Pierre Jasmin, le gouvernement Trudeau « a décidé de plaire à Donald Trump en augmentant le budget militaire de 70% en neuf ans, de 18,9 milliards à 32 milliards de dollars en 2026, excluant les coûts d’opérations éventuelles. Nous portons le deuil des programmes sociaux sacrifiés pour financer une telle priorité honteuse ! » [4] Ces priorités budgétaires n’ont jamais été présentées en campagne électorale. Ce sont les entreprises de production de matériel militaire et la hiérarchie militaire qui doivent aujourd’hui se frotter les mains. Et ce seront les programmes sociaux ou les nations autochtones qui en paieront le prix, elles qui font face à une crise des services essentiels.

Le gouvernement Trudeau a abandonné sa promesse cent fois répétée de réformer le mode de scrutin. Après un vaste processus de consultation d’un comité multipartite qui avait confirmé la volonté de réformer le mode de scrutin inique qui prévaut dans l’État canadien, Trudeau a décidé de jeter à la poubelle sa promesse électorale. Comme le déclarait Alexandre Boulerice, député du NPD : « À partir du moment où les libéraux gagnent avec 39 % du vote, qu’ils obtiennent 55 % des sièges et 100 % du pouvoir, ils ne voient plus la nécessité de changer un système électoral qui les a avantagés. M. Trudeau manque de respect envers les gens, mine la confiance à l’égard de nos institutions et rehausse le cynisme en politique ». [5]

Trudeau démocrate, où ça ? Quand ça ? En effet, le mépris affiché pour le Québec est un exemple du peu de cas que ce premier ministre fait des droits démocratiques. Même la proposition d’une ouverture des discussions de la place du Québec dans le Canada faite par un fédéraliste inconditionnel comme Philippe Couillard n’a fait l’objet d’aucune considération de sa part. Ce fut un rejet méprisant. La proposition n’a mérité ni commentaire ni lecture. S’il a des milliards à consacrer à l’armement, le premier ministre n’avait pas assez d’argent pour se rendre aux demandes des provinces en matière de santé. Ici aussi, un fédéralisme centralisateur marqué du sceau des décisions unilatérales a été la marque de commerce du gouvernement Trudeau.

Si le gouvernement Trudeau s’est rendu aux demandes syndicales d’abolir la loi C-525 qui obligeait les syndicats à tenir des votes secrets pour la syndicalisation et la loi C-337 qui obligeait à divulguer des renseignements financiers sur toutes dépenses supérieures à 3 000$, le gouvernement n’a opéré aucun virage progressiste réel et a continué à mettre de l’avant des politiques néolibérales. Son ministre des finances, Bill Morneau, [6] a déclaré que les Canadiens allaient devoir s’habituer à la précarité. Suite à des pressions patronales, il a déposé un projet de loi qui permettra de faciliter le passage à des régimes à cotisations déterminées qui détérioreront les conditions de retraite des travailleurs et des travailleuses du Canada. Son projet de loi d’une banque des infrastructures, qui serait dominé par le secteur privé, sera un instrument de privatisation des infrastructures payées par l’argent public.

En finir avec la politique spectacle

Si le gouvernement Trudeau peut agir sans en payer, jusqu’ici, le prix politique, c’est qu’il peut utiliser le Parti conservateur comme un repoussoir. Les directions syndicales voient encore dans le gouvernement libéral un moindre mal qui a permis au mouvement syndical de soustraire aux attaques du gouvernement conservateur. Ce pragmatisme à courte vue ne les prépare nullement à faire face aux attaques que le bloc politique bourgeois, encore particulièrement solide, mène actuellement. Le NPD, pour sa part, ne tire pas les leçons du cul-de-sac où conduisent le social-libéralisme ou des politiques d’adaptation au néolibéralisme. Sans une rupture radicale face à de telles politiques, il risque de s’enfoncer dans l’insignifiance politique. L’expérience de Corbyn en Grande-Bretagne ne semble pas les avoir beaucoup inspirés jusqu’à maintenant.

Trudeau a réussi à faire croire qu’il saurait répondre aux attentes de ces mouvements. Aujourd’hui, il faut bien constater que c’est aux attentes de plus riches et des plus cupides qu’il répond avec empressement. Il reste que le masque électoral de Trudeau va continuer à se décomposer, et que les mouvements sociaux (syndical, féministe, populaire, écologiste…) sont appelés à organiser une résistance dans la rue pour bloquer les politiques néolibérales, antiécologistes et antidémocratiques du gouvernement libéral. Et c’est ce travail de résistance qui parviendra à faire tomber son masque...


[1Voir l’article de Pierre Rimbert, Dans les cuisines du marché électoral, Le Monde diplomatique, mai 2017

[3idem

[6Ce dernier a été reçu par l’ultra-secret club Bilderberg réunissant plus de 131 super-puissants de la finance et de la politique, à Chantilly, en Virginie, du 1er au 4 juin pour parler principalement de la présidence de Donald Trump. Il était accompagné de Michael Sabia, président de la Caisse de dépôt et placement. Voir : www.journaldemontreal.com/.../bill-morneau-et-michael-sabia-a-une-rencontre-secret...

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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