De l’occupation de l’État à son utilisation pour son propre compte
Durant cette période, rien n’est joué et au sein du pouvoir, c’est la période des débats entre ceux qui veulent approfondir le processus de la révolution bolivarienne et ceux qui veulent tenter de pactiser avec l’opposition. Il ne s’agit pas seulement de débats politiques mais d’un début de cristallisation d’intérêts matériels.
Une partie du « bolivarisme » profite directement de la redistribution des cartes et notamment de leur place au sein des institutions et des entreprises publiques. Vers le milieu des années 2000, le débat commence à être lancé sur la question des privilèges accumulés grâce aux fonctions assumées au sein de l’appareil d’État. La question de savoir qui, de la « bolibourgeoisie » ou du courant des « bolivariens révolutionnaires », va gagner, devient centrale et cristallise l’apparition d’un chavisme de gauche, ou chavisme critique.
Si apparemment, rien n’est joué entre ces deux courants, la bascule aura lieu après deux évènements, l’échec du référendum constitutionnel de 2007 et la crise bancaire de 2008. Le premier va être interprété par Chávez comme un désaveu de sa politique et va accélérer sa volonté de concentrer le pouvoir au sein de l’exécutif.
Il n’aura de cesse de tenter de prendre le contrôle des organisations sociales, jusqu’à la scission organisée au sein de l’Unete (principale centrale syndicale, créée après le coup d’état de 2002 en soutien au retour de Chávez) pour créer une nouvelle confédération totalement inféodée au pouvoir, la CBST (Central Bolivariana Socialista de Trabajadores). Désormais, la radicalité de la phraséologie révolutionnaire est inversement proportionnelle à la réalité des politiques menées.
Le deuxième évènement est la crise bancaire de 2008. Alors que Chávez aurait pu choisir de profiter de cette crise pour imposer un système bancaire public, contrôlé par le pays, il a fait le choix de renflouer les banques en faillite et de laisser les autres continuer à spéculer. Désor-mais, la crise financière va s’aggraver, ouvrant la porte à une politique monétaire favorisant la spéculation avec la création de taux de change multiples.
Ces deux évènements constituent le point de bascule du régime. Entre 2009 et 2014, la plupart des dirigeants critiques, qui cherchent à alerter le gouvernement sur la corruption au sein du pouvoir ou proposent un changement de cap au niveau économique et social, sont écartés. Ces évènements ne sont pas réductibles à des problèmes de personne, mais ils traduisent la victoire du courant représentant la « bolibourgeoisie » ou la « caste corrompue » suivant les interprétations.
Quelle que soit la dénomination, cette victoire repose sur des intérêts matériels. Nous retrouvons le courant regroupé autour de Diosdado Cabello, ennemi juré de la gauche chaviste, qui s’appuie sur l’appareil militaire.
Nous avons aussi tous les dirigeants des entreprises publiques, qui se sont largement affrontés aux salariés, comme à la SIDOR, à CANTV (Compañía Anónima Nacional Teléfonos de Vene-zuela), à PDVSA ou à la Corporación Venezolana de Guayana. La corruption, marqueur fort des économies de rente, permet aussi à tout un personnel politique d’investir dans les secteurs les plus rentables : spéculation financière, mines, etc… Ce personnel politique a les mêmes intérêts que les quelques patrons qui soutiennent le régime depuis 1998, et participe directement au pillage de l’économie.
Signe de ce virage, le nouveau discours d’entrepreneurs très puissants qui se sont convertis en chavistes pragmatiques. C’est le cas par exemple de Gustavo Cisneros, magnat de la presse et une des principales fortunes du continent, qui après avoir soutenu le coup d’état de 2002, décida d’afficher sa nouvelle neutralité politique après 2007. Autre signe politique en direction du patro-nat, la constitution en février 2009 de la Confederación de Empresarios Socialistas de Venezue-la, qui est censée regrouper les patrons d’entreprises proches du pouvoir, bien que son importance soit restée très limitée.
Mais avec l’élection de Maduro, le phénomène de participation active des cercles du pouvoir dans l’économie va prendre une autre ampleur, en particulier quand le nouveau président décide d’accélérer la pénétration de l’économie vénézuélienne par les militaires. On est passé d’une stratégie de recherche de soutien au sein du patronat existant, qui est resté minoritaire, à celle de création ex-nihilo d’un nouveau patronat. (Résumé voir lien)
Patrick Guillaudat 29 mai 201
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