Tiré de AfrikArabia.
Après 10 ans d’interdiction, le documentaire « L’affaire Chebeya, un crime d’Etat » de Thierry Michel, sera enfin visible à la télévision en République démocratique du Congo (RDC). La chaîne francophone TV5MONDE diffusera le film lundi 1er mars à 22h50 (heure de Kinshasa), précédé d’une interview du réalisateur à 18h50, invité de Patrick Simonin. Une première en forme de revanche pour Thierry, qui avait été expulsé en 2012 du Congo et s’était vu attaqué en justice par l’un des principaux suspects, le général John Numbi. Un procès gagné devant les tribunaux belges.
Mensonges et dissimulations
Le documentaire de Thierry Michel, diffusé dans les salles de cinéma en 2012, démontait par le menu le simulacre de procès qui avait suivi le double assassinat du militant des droits de l’homme, Floribert Chebeya et de son chauffeur, Fidèle Bazana. Entre mensonges, dissimulations et intimidations, le procès devant une cour militaire s’était soldé par plusieurs condamnations lourdes de cinq policiers, les exécutants. Mais le commanditaire présumé du double meurtre, le chef de la police, John Numbi, avec lequel Floribert Chebeya avait rendez-vous, n’avait comparu qu’en tant que simple témoin.
Une justice sous contrôle
Le procès, incroyablement filmé par Thierry Michel, qui assiste à toutes les audiences, laisse un goût d’inachevé… Et c’est peu dire. « On voit bien que l’auditorat militaire avait une ligne rouge qu’il ne pouvait pas franchir. Les militaires faisaient pourtant leur boulot assez correctement, nous confie le réalisateur. Ils ont fait des recherches, des reconstitutions, sont allés sur les lieux. Le procureur militaire avait même conclu que Chebeya avait bien été étouffé avec des sacs plastiques. Je n’incriminerais pas les juges mais plutôt le système. » C’est une justice sous contrôle du pouvoir sans partage de Joseph Kabila que nous dévoile, tout en finesse, le documentaire de Thierry Michel.
Un appareil d’Etat complice
En 2012, Thierry Michel révèle un témoin clé de l’affaire Chebeya : Paul Mwilambwe. Chargé du protocole à l’inspection générale de la police de John Numbi, le policier est témoin du double assassinat à travers les écrans de ses caméras de vidéosurveillance. Paul Mwilambwe se confie alors à Thierry Michel. « Paul Mwilambwe dit tout dans mon interview. Il raconte comment il s’échappe pour se livrer à la justice militaire et comment dans le bureau du général Ponde, l’auditeur militaire, ce dernier téléphone à Joseph Kabila puis au général Numbi et lui passe même le combiné téléphonique ! On voit que dans cette affaire, tout l’appareil d’Etat est complice. Et tous ces coups de téléphones sont facilement vérifiables. »
« On ne peut pas rester dans l’impunité »
En janvier 2021, deux autres policiers qui ont participé aux assassinats sortent de l’ombre et décident de parler – voir notre article. Pour Thierry Michel, qui a réalisé des interviews filmées saisissantes d’Hergil Ilunga et Alain Kayeye Longwa, ces nouveaux témoignages viennent recouper ceux de Paul Mwilambwe, mais surtout « ils ne font qu’amplifier l’affaire ». « Je ne peux imaginer qu’après ces révélations la justice congolaise se mette à nouveau la tête dans le sable, insiste Thierry Michel. Ils vont devoir pour une décision. On ne peut pas rester dans l’impunité. Ce serait un très mauvais signal par rapport à la lutte contre l’impunité que défend le prix Nobel Denis Mukwege. » Après ces nouveaux témoignages, qui valident notamment le possible lieu d’inhumation de Fidèle Bazana, déjà révélé par Paul Mwilambwe à Thierry Michel, les avocats des familles Chebeya et Bazana demandent la réouverture d’un procès et l’arrestation de John Numbi.
« Tshisekedi au pied du mur »
Le contexte politique semble favorable pour relancer l’affaire Chebeya avec l’arrivée à la présidence de Félix Tshisekedi et sa volonté de « déboulonner le système Kabila ». Pour Thierry Michel, « Félix Tshisekedi est au pied du mur. Evidemment il y a la séparation des pouvoirs, mais L’auditorat militaire ne peut pas ne rien faire. » La majorité des protagonistes sont désormais en prison, comme Daniel Mukalay, Christian Ngoy et Jacques Mugabo, ou en exil comme Paul Mwilambwe, Hergile Ilunga et Alain Kayeye Longwa. Reste à savoir si John Numbi, toujours dans sa ferme katangaise, pourra être entendu par la justice. « Il faut évaluer la force de résistance de John Numbi avec ses militaires aficionados, prévient Thierry Michel. On sait qu’il possède sa propre milice et bénéficie du soutien de Gédéon et des Bakata Katanga ». Mais pour le réalisateur, la justice finira par passer. Et de citer le prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege qui estimait « qu’il faut avoir le courage de révéler les auteurs des crimes pour éviter qu’ils continuent d’endeuiller cette région. » Désormais les auteurs sont connus.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
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