MICHEL ROGALSKI
Directeur de la revue Recherches internationales
La nouvelle, attendue, est tombée le 1er juin. Les États-Unis ont décidé de sortir de l’Accord de Paris sur le climat, six mois seulement après son entrée en vigueur. Les modalités n’en sont pas encore toutes connues, mais la décision est prise, bien qu’elle ne peut avoir d’effets immédiats. Trois Présidents avaient refusé de ratifier le Protocole de Kyoto (Bill Clinton, Bush Jr., Barack Obama) qui organisait la régulation climatique mondiale, signifiant au monde que le mode de vie américain n’était pas négociable. En signant, à la fin de son second mandat, l’Accord de Paris Barack Obama avait envoyé un signal fort au monde et semblait engager son pays dans un partenariat solide avec la Chine sur cette question, coopération qui fut décisive pour l’adoption de l’Accord. Conformément à ses engagements électoraux, Donald Trump revient brutalement sur cette trajectoire.
Deux options s’offrent à lui. Soit sortir de l’Accord de Paris, mais avec une prise d’effet seulement après le 4 novembre 2020, ce qui, compte-tenu de l’incertitude sur un second mandat, aurait peu d’effet juridique. Soit quitter le dispositif de la Convention-cadre des Nations unies adopté lors du Sommet de la terre en 1992 et se priver dès lors de toute influence sur les Conférences des parties annuelles. Mais le vrai problème n’est pas là. Il tient au fait que dans la pratique les États-Unis envoient un message fort au monde : ils ne tiendront pas les engagements de l’Accord de Paris, même s’il leur est impossible de le torpiller. Une telle annonce permettra aux pays qui avaient dissimulé leur réticence de s’enhardir, voire peut-être de se regrouper et miner de l’intérieur les efforts consensuels qui avaient été décidés.
En réalité Donald Trump n’a pas besoin d’attendre quatre années pour prendre des mesures dont les effets délétères sur le climat seront considérables. L’Accord adopté à Paris est une déclaration d’intention mais n’est assorti d’aucune mesure coercitive ou punitive. On est très loin par exemple du niveau de contrainte ou de sanctions du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP). Il repose sur la bonne volonté des cosignataires. Sans augmenter ses émissions de gaz à effet de serre, ce qui est le cas depuis plusieurs années, avec 14 % des émissions mondiales, les États-Unis se placent en deuxième position derrière la Chine. Les mesures les plus destructrices seront prises dans le domaine de la finance et impacteront de multiples structures dédiées au climat et qu’ils contribuent à faire vivre. Washington participe à hauteur de 25 % (15 millions de $) au budget de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC). Les États-Unis contribuent pour 40 % au budget de fonctionnement du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui assure un travail de veille scientifique et propose des préconisations aux gouvernements. Il joue un rôle central dans la bataille des idées et a énormément contribué à faire reculer les thèses climato-sceptiques. Si cette aide lui était retirée son avenir serait menacé. Mais surtout, c’est dans le domaine du financement des pays pauvres pour les aider à s’adapter aux effets du changement climatique que l’impact sera le plus fort. Prenant appui sur le principe de la « responsabilité commune mais différenciée » acté en 2009 par la Conférence de Copenhague et auquel les pays du Sud sont très attachés, il avait été décidé de créer un Fonds vert qui devait à l’horizon 2020 être alimenté à hauteur de cent milliards de $ par an. Si à cette date, lors de l’évaluation de l’Accord de Paris, cette somme n’était pas réunie, c’est la poursuite même de tout ce qui avait été envisagé qui pourrait être remise en cause. Cette question va devenir le point de friction central des rapports Nord-Sud qui au fil des décennies se sont quasiment réduits à cette seule question.
Donald Trump ne croît pas à la réalité du changement climatique. Il s’appuie au demeurant sur de larges courants de l’opinion publique américaine qui est très tranchée sur ce dossier. Il est persuadé que l’Accord de Paris est un outil de « redistribution massive de la richesse des États-Unis vers d’autres pays ». Tout comme le libre-commerce constitue à ses yeux une machine à piller son pays. La Chine aurait inventé le concept de changement climatique pour s’attaquer à la productivité des entreprises américaines. Il prétend être animé par la recherche d’une autonomie énergétique et n’hésite pas à relancer le charbon, développer gaz de schistes et pétrole, bref toutes les énergies fossiles et carbonées les plus dangereuses pour le climat. Seule la faiblesse du cours du baril de pétrole lui interdit d’aller plus loin dans ce domaine, en rendant l’exploitation des gaz de schistes insuffisamment rentables. L’Arabie saoudite, souhaitant garder ses parts de marché pétroliers fait tout pour ne pas trop relever le cours du baril rendant périlleux l’équilibre des finances publiques de quelques États (Russie, Venezuela, Algérie).
Avec les relations avec Cuba, le climat constitue l’un des rares points sur lesquels Donald Trump pouvait espérer ne pas connaître un désaveu intérieur dans son entreprise de démolition de pans entiers de la politique d’Obama. Mais la surprise est au rendez-vous. Depuis une vingtaine d’années des initiatives se multiplient et des réseaux d’acteurs se constituent pour agir dans le domaine de la résistance au changement climatique et apparaissent aujourd’hui comme des forces incontournables qui échappent à toute injonction gouvernementale. En effet, c’est au niveau des villes et des États – en coordination – que s’organise, en liaison avec un mouvement de citoyens très actif des actions concrètes en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre et à basculer vers les énergies renouvelables. La Californie – 6ème économie du monde -, les États de New York, de Washington et du Massachusetts ont annoncé leur intention de respecter, quelle que soit la politique nationale, les engagements de l’Accord de Paris, voire d’aller au-delà. La Californie a déjà instauré au niveau de son État une régulation par les quantités (« cap » et un marché « trade ») pour en garantir le fonctionnement. Le milliardaire et maire de New York, Michael Bloomberg, a pris la tête de cette contestation pro-climat en y associant des centaines d’entreprises parmi lesquelles des poids lourds de la high-tech, de nombreuses universités et organisations citoyennes.
L’affrontement ne fait que commencer et parcourra tout le mandat présidentiel.
En présentant la question climatique comme une invention chinoise destinée à nuire aux intérêts des États-Unis, Donald Trump a offert aux Chinois une occasion inespérée de profiter de la situation d’isolement dans laquelle il s’est plongé. Sa politique de repli est en total contraste avec les ambitions chinoises. Xi Jinping qui avait déjà pu s’afficher comme le défenseur du libre-commerce à la réunion de Davos, lance désormais la nouvelle « route de la soie » censée concerner tout à la fois l’Europe et l’Afrique en promouvant le concept de « gagnant-gagnant ». Le retrait américain du partenariat transpacifique (TPP), conçu par Obama pour isoler la Chine, permet à celle-ci de proposer aux pays de la région un projet concurrent beaucoup moins contraignant en matière de normes sociales ou environnementales. Le projet chinois (One Belt One Road, OBOR) profite du cadeau américain et annonce le grand retour de Pékin en Asie articulé autour de la sécurité de ses approvisionnements, d’une possibilité d’exportations de ses excédents et de l’appui d’une banque de développement d’une grande capacité financière, l’Asian Infrastructure Investment Bank – AIIB dans le but de concurrencer la Banque asiatique de développement et la Banque mondiale qui étaient déjà défiées par la « banque des BRICS » basée à Shanghai et à laquelle participent les Russes. Ainsi Trump, plongé dans ses démêlés avec la justice à propos de ses rapports avec la Russie, semble beaucoup plus avoir favorisé les intérêts de Pékin que de Moscou.
Nul doute que la décision-climat de Trump va empoisonner son mandat compte-tenu des oppositions organisées qu’elle suscite à travers le pays et qu’elle va contribuer largement au remodelage de l’économie mondiale en effaçant le fameux « pivot » asiatique de Barack Obama dans les décennies à venir.
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