Tout d’abord, la première moitié du texte de M. Pratte sert à amadouer le lecteur ou la lectrice. Il mentionne que l’industrie n’est pas tout à fait propre et qu’elle ne fait pas bonne figure au niveau des gaz à effet de serre. Une fois le lecteur accroché, il mentionne que l’impact des émissions de GES du bitume albertain n’est qu’une goutte dans l’océan des émissions mondiales. Soit. Mais n’est-ce pas la somme des émissions qui, justement, pose problème ? Aussi, recentrons les émissions dans le contexte canadien. Elle représentait 7% des émissions totales du Canada en 2010 selon l’institut Pembina. [1] Encore mieux, l’industrie contribue surement aux 70 tonnes de dioxyde de carbone par personne pour la province de l’Alberta en 2011 [2] alors que la moyenne canadienne est de 20,1 tonnes [3] et celle du Québec de 10 tonnes selon Environnement Canada. Bref, il suffit de gratter un peu pour constater que l’impact de l’exploitation des sables bitumineux est plus important que M. Pratte ne le laisse croire.
Aussi, M. Pratte critique les citoyens en montrant qu’il y a de nombreux pétroliers qui transportent du pétrole conventionnel sur le fleuve et que ces derniers sont tout aussi dangereux que ceux qui transportent du pétrole de l’Ouest. C’est, ma foi, presque vrai, tant les hydrocarbures et l’eau font mauvais mélange ; mais des études laissent croire que le « dilbit » ou le « railbit » se comportent de manière plus imprédictible encore. M. Pratte parle également du principe de précaution comme s’il était appliqué dans la pratique. On n’a qu’à se rappeler les évènements de Cacouna ou de Lac-Mégantic pour constater qu’il n’est pas véritablement appliqué et que ce sont des considérations d’entreprise qui priment sur les principes. M. Pratte va même jusqu’à inverser le principe de précaution en mentionnant que la recherche en ce domaine n’est pas concluante et ainsi qu’on ne peut définir le niveau de risque. Or, c’est justement l’inverse que le Principe 15 de la Déclaration de Rio de 1992 énonce : « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement [4]. » Pour soutenir son argument, il assimile principe de précaution et risque zéro. Quel amalgame !
Enfin, M. Pratte soulève que nous consommons de grandes quantités de pétrole depuis belle lurette. C’est justement là qu’il pointe l’arbre au lieu de regarder la forêt. Les manifestants ne sont pas naïfs au point de croire que l’opposition au transport du bitume albertain est une fin en soi. Il faut y voir un appel positif à une reconfiguration des politiques énergétiques pour faire place à plus d’énergies vertes. C’est à mon avis une revendication réaliste, mais complexe, pour faire face aux enjeux majeurs que le siècle présent nous présente aux niveaux social et environnemental. Et ce n’est pas une simple décarbonisation de l’économie à laquelle les citoyens aspirent mais une véritable réflexion sur notre lien à la nature. À la lumière de l’éditorial de M. Pratte, nous sommes en droit de se demander qui est simpliste et irréaliste.
Simon Gingras
Géographe