La cascade de dénonciations quant aux abus sexuels perpétrés par des hommes de grande notoriété peut laisser pantois. Elle est pourtant conséquente avec le fait que l’abus sexuel est d’abord et avant tout un abus de pouvoir.
On aurait tort de croire qu’il ne s’agit là que de quelques dérives individuelles. Ces abus sont perpétrés parce que les structures de pouvoir et les schémas sociaux le permettent. Il est question de sexisme dans le titre de ce billet parce que ce sont surtout les femmes qui en font les frais, mais il reste que c’est le statut d’inférieur qui place un individu dans la mire du prédateur sexuel, les femmes occupant la plupart du temps ce rôle (mais ce pourrait être un enfant, une prolétaire, un chômeur).
Les appels à ne plus accepter ces comportements sont sans doute sincères, mais le changement social ne se fera pas sans changement des relations de pouvoir. Il est impossible de ne pas faire le parallèle entre cette crise sociale et la crise économique de 2008, qui a vu tous les dirigeants des pays capitalistes promettre la main sur le cœur que le système serait refondé sur des bases plus humaines. Six mois plus tard, les requins croquaient de plus belle le menu fretin. Il y a de quoi être pessimiste pour la réforme des mœurs quand on sait qu’elle relève d’une renonciation aux privilèges accordés par le statut social apporté par le capital symbolique, mais aussi par le capital financier.
En 2008 également, les partenaires sociaux prétendaient qu’on assainirait le climat financier.
On peut s’émouvoir de la désolation des humoristes en réunion de crise, mais on n’oubliera pas que nombre d’entre eux gagnent leur vie à traiter les femmes de tous les noms. Les agresseurs perdent une partie de leur pouvoir, mais restent des millionnaires à l’abri des aléas de la vie. Ce sont leurs employéEs qui subissent les contrecoups en perdant leur source de revenus. En plus de risquer leur propre emploi, les victimes craignent d’en faire perdre à d’autres, réflexions éthiques absentes des personnes en situation de domination. Cela fait d’ailleurs partie des considérations qui se bousculent dans la tête des victimes si peu promptes à dénoncer, déjà qu’elles se sentent coupables de ce qui leur est arrivé.
Il faut voir l’acharnement de certains à s’étonner qu’on craigne de révéler ces crimes, la hargne avec laquelle on accuse les victimes parce qu’elles n’ont pas la superbe des agresseurs. Le système judiciaire et sa pratique ne sont absolument pas adaptés aux causes d’agression sexuelle, dans lesquelles les aspects des contraintes psychologiques liées au statut social et financier sont déterminantes et où la collecte des preuves est d’une difficulté souvent insurmontable.
Qui doute encore que la justice a deux vitesses ? celle des riches et celle des pauvres. Les plus fortunés se paient les meilleures firmes d’avocats, les mieux à même de performer devant des juges qui viennent rarement des classes défavorisées ou dominées et qui, de ce fait, comprennent fort mal les structures d’oppression, quand ils n’ont pas un préjugé favorable envers elles, ce qui s’est vu souvent dans l’Histoire, politique notamment. On rappellera par exemple que jusqu’aux années 70, les femmes n’avaient pas le droit de siéger comme jurées. Ce n’est pas un hasard si les plaintes qui iront le plus loin dans la procédure sont celles des personnes les mieux dotées à la foi en capital symbolique et en capital financier.
Les sans pouvoir ne sont pas près de crier victoire étant justement sans voix, dans un contexte où deux structures d’oppression font conjonction : le machisme et le capitalisme, d’où les tentatives désespérées, et parfois salutaires, de dénoncer en dehors des cadres officiels.
LAGACÉ, Francis
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