Rationalisation des conventions collectives en Santé
Lundi 21 août, sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première, le ministre de la Santé et des Services sociaux, monsieur Christian Dubé, a annoncé que l’intention du gouvernement Legault, dans le cadre de la présente négociation avec les salarié.e.s syndiqué.e.s, est de réduire le nombre de conventions collectives de son ministère « de 150 à 4 ». Il revient à la charge avec la même rengaine que nous entendons depuis la crise de 1982 : il demande aux organisations syndicales de faire preuve de « flexibilité » et de « souplesse ». De plus, pour sauver le réseau public de la santé, il est impératif, selon lui, de faire de la place à celles et ceux qui l’ont délaissé au cours des récentes années quitte à remettre en question un principe syndical aussi élémentaire que celui de l’application de la règle de l’ancienneté dans certaines situations conventionnées.
Un vent de panique à la veille de la rentrée scolaire
Depuis les deux dernières semaines, un vent de panique souffle sur le réseau public d’enseignement primaire et secondaire. Pendant que la Vérificatrice générale nous apprenait, au printemps dernier, que ce sont plus de 30 000 enseignant.e.s sur 110 000 qui ne sont pas légalement qualifié.e.s pour enseigner à ces deux niveaux[1], la pénurie d’enseignant.e.s s’élevait, le mardi 22 août, à plus de 8 000. Le ministre de l’Éducation, monsieur Bernard Drainville, a beau lancé des cris « À l’aide ! » et quoi encore, il ressemble à tout, sauf à un ministre qui gère une crise. Tout en adoptant un ton parfois dramatique, du même souffle, il a l’audace de nous dire qu’à la mi-septembre la situation sera résorbée et qu’il y aura bel et bien pour la présente rentrée scolaire, « un adulte par classe » dans les écoles publiques. Pour éviter que la situation se reproduise à perpétuité il demande aux enseignant.e.s permanent.e.s de laisser les classes de la maternelle aux nouvelles et aux nouveaux membres de la profession et il nous répète que les syndicats, en cette période de renouvellement de leur convention collective, doivent accepter de négocier avec une grande ouverture d’esprit les solutions supposément innovantes de son gouvernement à l’effet d’ajouter une ou un « aide à la classe ». Il demande, à l’instar de son collègue de la Santé, que les syndicats d’enseignant.e.s fassent preuve de souplesse quant au processus d’affectation et qu’ils acceptent une mesure présentement en expérimentation : « l’aide à la classe ».
Rencontre au sommet
Toujours lundi le 21 août, s’est tenue à Québec une rencontre au sommet entre le premier ministre du Québec, monsieur François Legault, la présidente du Conseil du trésor, madame Sonia Lebel et la présidente de la FIQ, madame Julie Bouchard. Peu de choses ont transpiré de cet échange d’une heure environ qui a eu lieu à la demande de la FIQ elle-même. La seule chose qui nous a été communiquée est à l’effet qu’apparemment le rythme des négociations est appelé à s’intensifier au cours des prochaines semaines. La ministre Lebel se dit prête à régler « le plus rapidement possible » mais pas question, précise-t-elle, d’ajouter « à court terme » des infirmiers et des infirmières dans le réseau (Radio-Canada, 2023, 25 août). Là aussi, il est surtout question de modifier certaines conditions de travail.
Synthèse
Nous sommes en pleine période de renouvellement des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic, la Coalition avenir Québec (CAQ) est au pouvoir depuis 2018, cela fait depuis cinq ans que ce gouvernement gère les réseaux de la santé et de l’éducation en nous disant qu’il a toujours la solution qui va résoudre les problèmes (par exemple, réduction des heures de formation pour les préposé.e.s aux bénéficiaires, projet de loi 15, abolition des Commissions scolaires, mentorat, appel à l’aide auprès des personnes retraité.e.s pour qu’elles reprennent du service en santé et en éducation, et nous en passons…) et pourtant, tout va toujours de mal en pis dans ces deux secteurs qui relèvent de la compétence exclusive du gouvernement du Québec. Nous allons et nous ne cessons d’errer d’une crise à l’autre. Que font les ministres durant ces moments troubles ? Ils envisagent d’abord des solutions qui visent à remettre en question les conditions de travail et de rémunération des salarié.e.s syndiqué.e.s et ensuite, ils se disent prêts à accorder à des catégories bien ciblées (« Équipe classe », « Équipe soins », « Équipe santé mentale ») une bonification dans l’échelle ou des primes salariales (primes qui ont parfois un caractère provisoire).
Bref, pour imposer leur vision des choses, les membres de l’équipe ministérielle du gouvernement Legault laissent les services à la population se détériorer en nous disant qu’il n’existe pas de « solutions magiques » et que la clé du succès de leur entreprise passe par la mise en place de mesures visant diverses « souplesses » ou « flexibilités » dans les conventions collectives du personnel syndiqué. Tout se passe comme si les membres du gouvernement Legault conçoivent le moment actuel comme une simple période de turbulence à gérer. Le premier ministre Legault compte sur les talents de certains ministres qui ont des habiletés sur le plan de la communication (pensons entre autres au ministre Christian Dubé) ou il doit faire avec un ministre qui en a beaucoup perdu depuis son retour en politique sur le plan de la communication verbale (pensons au ministre aux déclarations controversées, monsieur Bernard Drainville). Qu’ils soient talentueux ou non les Dubé, Drainville et Legault lui-même, en grands illusionnistes et à l’unisson, nous disent ceci : « Nous travaillons très fort pour régler les problèmes » ; « Nos équipes sont à pied d’œuvre jour et nuit » ; « Nous ne sommes pas des magiciens »…
Pour sa part, le ministre Drainville, soit le lendemain même de son appel « À l’aide ! », y est allé d’une déclaration additionnelle assez surprenante pour quelqu’un qui doit avoir en tête la qualité de l’enseignement. Il a notamment déclaré ceci : « Ne vous en faites pas, d’ici un mois tout sera revenu à la normale. Tous les postes seront comblés ». Que le ministre Drainville parvienne ou non à résorber en entier le manque d’enseignant.e.s à temps plein et à temps partiel dans les écoles publiques, là n’est pas le point central de la présente crise en enseignement. Cette fameuse crise se situe à un autre niveau qui a été identifié depuis longtemps par le Conseil supérieur de l’éducation et par la Vérificatrice générale le printemps dernier. Il s’agit du nombre d’enseignant.e.s non légalement qualifié.e.s dans les salles de classe. Et à ce sujet, en regard du personnel qualifié pour effectuer des tâches conventionnées en santé ou en éducation, il n’est pas question pour le gouvernement d’ajouter à court terme des ressources spécialisées et adéquatement qualifiées. C’est la présidente du Conseil du trésor qui l’a elle-même affirmé. Pour le ministre Drainville, il semble n’y avoir qu’une seule chose importante en tête : introduire un nouveau « narratif » plus positif sur l’école publique. Nouveau narratif susceptible d’encourager des étudiant.e.s universitaires à s’inscrire en sciences de l’éducation (option enseignement élémentaire ou secondaire). Pour ce qui est de l’amélioration des services aux citoyen.ne.s en santé et en éducation, les syndicats doivent accepter de négocier les mesures de souplesse que le gouvernement souhaite implanter. Tout se passe donc comme si, en ce moment, le gouvernement instrumentalise des éléments de la présente conjoncture en vue d’imposer ses solutions à la partie syndicale.
Trouver l’organisation syndicale qui va « franchir la ligne en premier »
Toujours sur les ondes d’ICI Première la ministre, Sonia Lebel a mentionné qu’elle entendait d’abord régler avec les syndicats sur le normatif avant de voir si elle peut bonifier ou non son offre monétaire qui prévoit, à ce moment-ci, un maigre 9 % d’augmentation salariale pour 5 ans. La ministre Lebel nous annonce donc qu’elle est à la recherche d’une organisation syndicale qui, comme l’a fait la FAE en 2022, va accepter son cadre monétaire (accompagné d’une clause remorque) pour ensuite l’imposer aux autres. Cette première entente de principe, inacceptable pour la majorité, sera probablement suivie d’une deuxième entente accompagnée d’un très petit pourcentage d’augmentation supplémentaire. Ce petit pourcentage « plus », qui a historiquement rarement dépassé un 1 % de l’offre initiale du gouvernement, n’ira pas plus haut que ce qui est prévu dans le cadre monétaire que le gouvernement garde secret.
Un bémol qui dépasse les capacités de la CAQ
Certes, une critique des systèmes de la santé et de l’éducation à partir des insuccès du gouvernement actuel sert bien la cause de tout parti de l’opposition ou autres adversaires. Il faut néanmoins reconnaître que le gouvernement caquiste a hérité d’une situation dont plusieurs partis prédécesseurs méritent une large part de responsabilité pour avoir aggravé le problème. Sans perdre notre temps à reconstituer le fil des coupures, restrictions, désengagements et libéralisations, une priorité mérite plutôt d’être accordée à quelques questions : comment se fait-il que les sommes investies en santé et en éducation ne cessent de croître, alors que l’on vise à les rationaliser ? Ou comment se fait-il que, malgré les sommes supplémentaires et toutes les manoeuvres de gestion économique, rien ne s’améliore ?
Les réponses se trouvent peut-être dans la manière dont l’idéologie préconisée par les gouvernements prédécesseurs et celui actuel considère les vocations destinées aux autres (bien-être, santé et éducation) et donc au bonheur de la société sur cette base assurément capitale. Au cours des dernières décennies s’est enclenché un processus de destruction des vocations à autrui dans les grandes institutions, afin de prioriser des carrières de financiers, d’hommes d’affaires et de gestionnaires. Autrement dit, le besoin de rendre productif en termes économiques ce qui moralement doit être de l’ordre de l’équité et de l’égalité a alors contribué à abêtir des vocations qui interpellaient des personnes prêtes à s’investir dans la tâche et confiantes d’être supportées à la hauteur de leur contribution à la société.
Désormais, non seulement ces personnes ne sont plus supportées suffisamment par l’État, mais se voient imposer des exigences supplémentaires et des contrôles de performance qui normalement devraient s’appliquer aux chaînes de montage qui caractérisent les usines ; et non à l’amélioration de la qualité des moyens devant servir au bien-être commun supposant justifier la réussite même de notre civilisation, c’est-à-dire atteindre à la fois le bien-être du corps et de l’esprit (en soin, en connaissance, en apprentissage, en expérience). Comment être en mesure d’aider autrui lorsque les personnes qui oeuvrent à ces vocations ont elles-mêmes des difficultés pour leur propre santé et bien-être ? Car une vocation ne se limite pas à mettre à profit des connaissances et une expertise pour recevoir un salaire, mais de pouvoir agir avec fierté dans une institution reconnue, c’est-à-dire un emblème de réussite d’une société en raison du bien-être fourni à la population. Il n’est pas question ici de profit, comme déjà dit, mais bien d’une volonté de bâtir un monde meilleur sur la base d’un équilibre corps/esprit, grâce au dévouement de personnes prêtes à remplir leur vocation (ce qui signifie plus qu’être simplement qualifié pour la tâche).
Au cours des décennies de châtiments imposés à la santé et à l’éducation par la force d’une mentalité économique, il y a donc eu un effritement des vocations de ces secteurs au point de générer une image négative amplifiée par les médias des conditions de travail perçues comme insoutenables, laissant ainsi des traces dans l’imaginaire des gens qui auraient peut-être souhaité en faire partie. Mais ce n’est pas en embauchant maintenant à « qui le veut » et en ouvrant ainsi grandes les portes de ces institutions que le problème se règlera. En effet, l’intrusion de l’idéologie économique continue sa progression et impose toujours un modèle de gestion qui ne colle pas avec une valeur de bien-être du corps et de l’esprit allant au-delà de la consommation et des calculs revenus/dépenses.
Reconnaissons tout de même que sans la pandémie, sans les inspections dans les écoles, sans les cris d’alerte des auditeur.trice.s dans le cas des CHSLD et des hôpitaux notamment, la réalité de la santé et de l’éducation aurait été plus dramatique ; puisque la CAQ s’inscrit également dans la vision néolibérale, tueuse des vocations jugées non productives mais pourtant indispensables à la société et au maintien de l’économie.
Que conclure
Il serait étonnant, très étonnant même, que dans un souci d’équité envers toutes et tous que le gouvernement Legault accorde à ses salarié.e.s syndiqué.e.s la même augmentation salariale que celle que les député.e.s se sont récemment voté.e.s, soit 30 %. La priorité du gouvernement Legault n’est ni de rémunérer ses 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s à la hauteur de la valeur de leur prestation de travail ni d’éliminer l’écart salarial qui les caractérise avec les autres salarié.e.s syndiqué.e.s des différents secteurs publics (fédéral, municipal, universités, etc.) ni non plus de leur accorder la pleine indexation salariale. La ministre Lebel prétend même que l’offre paramétrique actuelle de 9 % sur 5 ans est à la « hauteur de l’inflation ». Il n’y a que les député.e.s et ministres qui méritent, selon le premier ministre Legault, une augmentation substantielle ; pour ce qui est des autres, il faut les rémunérer selon la capacité de payer des contribuables. Rappelons ici que ce gouvernement a décidé de se priver de moyens financiers en baissant les impôts des particuliers. Dans les faits, le gouvernement Legault demande à ses salarié.e.s syndiqué.e.s d’en faire toujours plus avec moins… Nous verrons, au cours des prochaines semaines et des prochains mois, soit probablement au plus tard d’ici décembre, dans quel sens tournera la roue de l’histoire.
Dans le présent chaos quasiment programmé à l’avance par le gouvernement, l’équipe ministérielle du premier ministre Legault semble savoir vers quelles solutions elle veut voir « le tout » aboutir. Ne soyons pas dupes des stratégies de négociation de ce gouvernement d’orientation néolibérale anti-secteur public. Sa vision à ce sujet se limite à ceci : moins d’impôts pour les particuliers et des prestations de travail offertes par des employé.e.s de l’État à moindre coût.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
27 août 2023
14h30
yvan_perrier@hotmail.com
Références
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2005033/negociation-fiq-ministre-lebel-regler-rapidement?depuisRecherche=true. Consulté le 25 août 2023.
https://www.lafae.qc.ca/convention-collective?entente=nationale. Consulté le 26 août 2023.
https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications/rapport-annuel/203/vgq_mai2023_complet_web_VF.pdf. Consulté le 27 août 2023.
[1] « Il s’agit de plus de 30 000 enseignants, principalement des suppléants, qui ont travaillé l’équivalent de 8,3 % des jours totaux travaillés par l’ensemble des enseignants. En outre, plusieurs élèves subissent des changements d’enseignants répétés, ce qui nuit à leur réussite scolaire selon diverses études. » https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications/rapport-annuel/203/vgq_mai2023_complet_web_VF.pdf. Consulté le 27 août 2023.
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