Édition du 19 novembre 2024

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États-Unis

ENTRETIEN - Donald Trump face à la justice

« Le discours complotiste s’est ancré au sein du Parti républicain »

Alors que la campagne de ses rivaux, au premier rang desquels le gouverneur de Floride Ron DeSantis, patine, les ennuis judiciaires de Donald Trump lui permettent d’acquérir une stature de « martyr de la droite », analyse l’universitaire Tamara Boussac. Entretien.

24 août 2023 | tiré de mediapart.fr-quotidienne-20230824-191504&M_BT=733272004833] | Photo : Dans le public du rassemblement organisé par Donald Trump à Waco au Texas, le 25 mars 2023. © Photo Mark Peterson / REDUX / REA

Dans un article de la revue Hérodote consacré à « L’Amérique post-Trump », le journaliste spécialiste de QAnon Mike Rothschild faisait le constat que ce mouvement, convaincu de lutter aux côtés de Donald Trump contre un complot pédocriminel et sataniste, se confondait désormais avec le Parti républicain. Le discours complotiste, jusque-là réservé aux franges les plus extrêmes de cette formation politique, est désormais «  mainstream ».

« Le Parti républicain est maintenant, soulignait-il, une coalition de complotistes persuadés que les élections ont été volées et que Trump reviendra une fois qu’ils auront “réparé 2020”, mais également de militants anti-scientifiques recyclant les théories du complot classiques sur le gouvernement autoritaire s’attaquant aux patriotes épris de liberté – mais cette fois pour les vacciner de force plutôt que pour prendre leurs armes. »

Pour comprendre pourquoi et comment le GOP (Grand Old Party, grand vieux parti en français) s’est transformé, nous nous sommes entretenus avec une spécialiste du Parti républicain, Tamara Boussac, maîtresse de conférences en études nord-américaines à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et autrice du livre L’Affaire de Newburgh. Aux origines du nouveau conservatisme américain (à paraître le 31 août aux Presses de Sciences Po).

Mediapart : D’où vient le discours complotiste de Trump ?

Tamara Boussac : On peut certainement trouver des racines lointaines dans l’anticommunisme de la droite américaine, notamment dans les années 1950-1960. Mais à l’époque, ce type de discours était réservé à la frange la plus extrême. On a assisté à la banalisation du discours complotiste pendant la présidence de Barack Obama (2009-2017). Il vise directement la personnalité de ce dernier, qui est violemment rejeté par nombre de conservateurs. C’est l’époque où surgit la mouvance Tea Party.

Ce qui frappe désormais, c’est à quel point ce discours s’est banalisé et s’est ancré au sein du Parti républicain. N’oublions pas que Donald Trump s’est lancé en politique à ce moment-là, en mettant en doute le lieu de naissance d’Obama, affirmant qu’il n’était pas né aux États-Unis et ne pouvait donc pas être éligible. Ces fausses accusations étaient alors rejetées par une grande partie de l’appareil républicain.

Nous avons donc un discours qui était à la marge et se retrouve au centre. Au point de devenir un des éléments cruciaux de la campagne de Donald Trump ?

Oui, absolument. Ce discours s’est largement diffusé, et la manière virulente dont Trump et ses soutiens l’utilisent confère à l’ancien président un statut unique. Il n’est pas seulement le « faiseur de rois » au sein du Parti républicain ou le leader légitime, il acquiert un statut de martyr de la droite, celui que tout le monde cherche à faire tomber, l’élite de Washington, la justice, où règne, selon lui, la « gauche radicale »…

Nombre d’enquêtes d’opinion récentes soulignent à quel point ses soutiens communient en ce sens : il est la figure sacrificielle qui dénonce tous les maux de la société américaine, raison pour laquelle on cherche à le faire tomber. Certains journalistes évoquent même un rapport sectaire.

D’ailleurs, Donald Trump a organisé son premier meeting de campagne en mars dernier à Waco. C’est la ville texane où les forces fédérales avaient tenu, il y a trente ans, un siège d’une secte opposé à l’État fédéral qui s’était soldé par 86 morts. Un événement devenu, comme le souligne la BBC, un cri de ralliement pour l’extrême droite…

Ces derniers temps, de nombreux historiens s’intéressent à ces mouvements séparatistes blancs, en particulier à celui de Waco ou de Ruby Ridge en 1992. C’est un historique que l’on a mis en avant au moment de l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021. Des études montrent que ce type de mouvement gagne du terrain dans des régions rurales, le Montana ou le Dakota. Personnellement, je ne suis pas convaincue par la mise en avant du côté sectaire du Parti républicain ou par les explications psychologiques.

Mais en tout cas, il est certain que cette situation annonce de sérieuses difficultés pour les rivaux républicains de Donald Trump pour émerger politiquement dans le contexte de la primaire. Donald Trump impose son timing à ses concurrents, un timing calqué sur ses problèmes judiciaires.

Par ailleurs, ceux qu’on annonçait comme de sérieux dangers pour la mainmise de Trump sur le parti, comme Ron DeSantis, patinent. Leur campagne ne marche pas, et, de plus, les ennuis judiciaires les poussent à se ranger derrière lui et à lui manifester leur soutien, ce qui fait capoter leurs initiatives.

Comment peut-on expliquer le succès du discours complotiste de Trump ?

Comme je l’évoquais précédemment, on assiste à une banalisation de ce discours. Sous Obama, les arguments qui le sous-tendent étaient déjà utilisés par une partie des républicains, en particulier le mouvement du Tea Party. Le terrain était donc favorable à un discours de contre-vérités. Si on évoque beaucoup les réseaux sociaux, il ne faut pas oublier le rôle des médias conservateurs dans la propagation et la légitimation de ce discours, ne serait-ce que la télévision et certaines grandes chaînes nationales.

Dans les mois qui ont suivi le scrutin de novembre 2020, Fox News et ses éditorialistes phares ont relayé le mensonge sur le vol de l’élection, en étant parfaitement conscients qu’il s’agissait d’une fiction. Ce discours d’autorité a apporté une forme de légitimité au complotisme.

Enfin, et il s’agit là plus d’une intuition, la complexité du fonctionnement démocratique américain, notamment au niveau fédéral avec le collège électoral qui désigne le président, apparaît difficilement lisible pour certains électeurs. Peut-être que cette complexité facilite la propagation d’arguments fallacieux.

Vidéo : LES ÉTATS DÉSUNIS D’AMÉRIQUE : Le Parti républicain après Trump © Mediapart

Ce discours complotiste peut-il empêcher Trump d’être élu, car il rebuterait nombre d’électeurs et d’électrices modéré·es qui peuvent faire basculer l’élection ?

Il y a un an, Ron DeSantis se présentait comme la seule alternative crédible face à un Donald Trump de plus en plus fantasque et extrême. Au sortir des élections de mi-mandat de 2022, où les candidats trumpistes avaient subi des revers, il faisait figure de favori pour incarner une alternative crédible contre Biden et c’était la teneur de son propre discours. Mais en dépit de cet argument, sa campagne patine et Trump tire brillamment son épingle du jeu.

Finalement, cette marginalisation de Donald Trump chez les républicains, et plus largement à l’échelle nationale, n’a pour l’instant pas eu lieu. On pourrait donc se retrouver avec un nouveau duel serré entre Trump et Biden. Enfin, il y a aussi une question juridique. Le timing de l’élection 2024 est assez incertain. Les avocats de Trump vont essayer de repousser le plus possible la date des procès potentiels pour être sûrs qu’ils ne seront pas une entrave pour la carrière politique de Donald Trump.

François Bougon

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