Tiré de Afrique en lutte.
Un des éléments déclencheurs du retour de la Russie sur le continent africain en 2014, après plus de trente ans d’absence consécutifs à l’écroulement de l’Union soviétique, est l’adoption des sanctions par les USA, l’Union européenne, le Canada et le Japon suite à l’intervention armée de la Russie en Crimée. Ces sanctions visaient les institutions financières, les industries navales, pétrolières et d’armement. Les Russes se sont donc tournés vers le continent africain comme un moyen pour eux d’atténuer les effets de ces mesures. La présence de la Russie en Afrique s’articule autour de trois lignes de force.
D’abord les ventes d’armes, un tiers du matériel militaire en Afrique est fourni par la Russie. Ces exportations s’accompagnent le plus souvent de traités militaires. Ainsi vingt nouveaux accords ont été signés et près de la moitié des pays africains sont liés par un accord de ce type. Ensuite les investissements énergétiques qui concernent une dizaine de pays. Enfin les exportations de céréales, la Russie et l’Ukraine fournissent à l’Afrique les deux tiers de sa consommation. Les principaux pays acheteurs sont l’Égypte, le Soudan, le Kenya, la Tanzanie. C’est donc un commerce qui représente un avantage stratégique.
Des atouts peu recommandables
Même si comparé aux autres acteurs économiques en Afrique, la Russie a une place très relative, sa montée en puissance s’accompagne d’un narratif capable de séduire à la fois les dirigeants africains et les peuples.
Côté dirigeants, Vladimir Poutine a démontré en Syrie qu’il pouvait être un partenaire fiable. C’est-à-dire sans céder aux pressions des Occidentaux et sans être regardant sur les violations des droits humains. C’est donc un profil particulièrement intéressant pour les dictateurs africains. Côté peuple, la rhétorique avancée contre les puissances néocoloniales, l’impérialisme et la défense des souverainetés africaines font mouche, notamment parmi la population jeune excédée par l’arrogance des pays riches. D’autant que ce type de discours est accompagné par les médias comme RT ou Sputnik, certains médias locaux et par une présence massive sur les réseaux sociaux.
Le dernier exemple en date est l’arrestation de quatre militaires français de la Légion étrangère accusés à tort de vouloir attenter à la vie du président centrafricain Archange Touadéra, alors qu’ils faisaient partie de la garde rapprochée du chef de la mission onusienne la Minusca. Les réseaux sociaux mais aussi la Radio Lengo Songo, financée par Lobaye Invest, société minière liée à la compagnie russe de mercenaires Wagner, titrait concernant cette affaire sur son site : « Des mercenaires français accusés d’une tentative d’assassinat du président Touadéra ? Ce n’est pas étonnant ! »
En ce domaine le Kremlin n’est pas le seul à s’essayer dans la manipulation des réseaux sociaux. Facebook avait supprimé des dizaines de faux comptes gérés par l’armée française en Centrafrique, censés riposter aux agissements des Russes.
L’Afrique comme terrain de jeu
La nouvelle situation après l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes peut être vue par les dirigeants africains comme une aubaine. Les sanctions massives vont certainement pousser la Russie à augmenter ses investissements sur le continent, on pense notamment aux exportations de pétrole et de gaz. Si l’Union africaine a condamné l’opération militaire de Poutine et a appelé Moscou à « respecter le droit international, l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale de l’Ukraine », les pays africains risquent d’être fortement courtisés dans la bataille diplomatique qui s’ouvre.
Les dirigeants vont pouvoir jouer de l’opposition entre Russes et Occidentaux. Encore que la prudence soit de mise, car les pays africains qui vont soutenir ouvertement la Russie risquent eux aussi d’être mis rapidement au banc des nations occidentales. Dans tous les cas, il n’est pas dans l’intérêt des peuples d’Afrique de voir leur pays, leur continent comme un terrain de jeu des puissances impérialistes. Les Africains n’ont rien à attendre d’un Poutine, d’un Biden ou d’un Macron.
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