Il soutient également que les anciens responsables du RCD (parti de Ben Ali dissout il y a peu) contrôlent encore une bonne partie du pays. Il accuse enfin le gouvernement Essebsi d’être manipulé en sous-main par le clan Ben Ali, par l’intermédiaire notamment du général en chef de l’armée Ammar et de Kamel Eltaïef, ami intime de Ben Ali.
Des manifestations quasi-permanentes et en grande partie spontanées se sont déroulées du jeudi 5 mai au lundi 9 mai à Tunis et dans toutes les grandes villes du pays. La réponse du pouvoir à été une répression féroce accompagnée d’un couvre-feu d’abord dans les villes de province puis à Tunis. La police à tiré à balles réelles sur les manifestants à Tunis, faisant des dizaines de blessés, et, en plus d’un mort confirmé au moins cinq jeunes sont entre la vie et la mort. On attend toujours des nouvelles de leur situation. Un certain nombre de blessés se sont vus refusés à l’hôpital sur pression de la police.
Un gouvernement sous pression
Il s’agit d’une réaction inédite de la part de ce nouveau gouvernement provisoire, en place depuis le 27 février, suite au renversement de Mohammed Ghannouchi. Son comportement à provoqué des émeutes dans un certain nombre de quartiers populaires, à Tunis, Kasserine ou Sidi Bouzid. Lundi, à Tunis, un sit-in à été organisé par des juges et des avocats pour réclamer que le pouvoir s’explique dans cette affaire.
Ce même jour, à Nabeul, lors d’une manifestation la police a tué un membre du Parti du Travail Patriotique et Démocratique (PTPD).
Ces mardi et mercredi sont plus calmes, « mais c’est un calme inquiétant », juge Wassila Ayachi, une des coordinatrices régionales de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) à Benarous. Aujourd’hui, dans les cafés, dans la rue, de nombreuses arrestations arbitraires avaient encore lieues. Nous en sommes à plusieurs centaines depuis Jeudi dernier.
L’intervention télévisée dimanche soir de Beji Caid Essebsi, Premier ministre par intérim, suite aux quatre premiers jours de manifestations et d’émeutes ne peut avoir comme conséquence que d’augmenter les mécontentements. Le ton y est volontairement provocateur, la faute des violences de ces derniers jours est entièrement rejetée sur les déclarations de Farhat Rajhi. Sans que les réformes politiques ou sociales de l’Etat ne soient abordées, Essebsi ne s’excuse pas - « j’assume tout » - pour le niveau de répression de son gouvernement envers les manifestants, les habitants et les journalistes et se défend même de n’être pas aussi sanguinaire que ses homologues Libyens ou Syriens. Une curieuse manière de « pacifier » la situation. Concernant les affaires de corruption, « la justice fait son travail ». Concernant l’élection à la Constituante (prévue en Juillet), alors que le Haut Comité a acté un texte promulguant l’impossibilité pour les ex-responsables du RCD de se représenter, Essebsi assume la responsabilité de refuser cette possibilité, alors qu’il n’a aucune légitimité pour le faire.
La stratégie de la tension
Selon de nombreux militants de gauche, si le discours de Essebsi prend tant la forme d’une provocation, c’est qu’il fait partie d’une stratégie de tension exercée du haut de l’Etat. En témoignent les curieux incendies intervenus simultanément dans quatre prisons tunisiennes le 29 avril (desquelles des centaines de prisonniers se sont échappés), les ostentatoires dispositifs policiers sur tous les axes principaux, les attaques répétées des milices patronales ou du RCD à l’encontre des révolutionnaires… On en vient même à accuser certains jeunes des quartiers populaires d’être payés ou drogués par les ex-RCD, pour piller des magasins et créer le chaos. Il s’agit d’une hypothèse comme une autre. Toujours est-il que l’objectif du pouvoir paraît de plus en plus clair : marchander la liberté démocratique contre le retour à la sécurité.
Un militant nous explique : « Imaginez un ressort, détendu dans son état normal. Avec le climat produit des manifestations et des revendications sociales, il commence à se tendre. Alors, que fait le pouvoir ? Il essaie de le tendre jusqu’à la limite. Tous les partis n’ont pas intérêts à ce que ce ressort casse, alors le pouvoir impose ses choix. Assurer ce climat, mettre la main sur l’après élection et perpétuer le pouvoir en place. »
Des causes plus profondes
Il nous faut revenir sur les revendications des manifestants. Tout le monde, dans les médias et dans les déclarations publiques en Tunisie, s’accorde à dire que Farhat Rajhi est entièrement responsable du « désordre » et des « violences » qui ont éclatées ces derniers jours, et qu’il doit en répondre devant la justice. C’est une manière évidente de blanchir le vrai responsable de cette situation : l’ancien régime, qui se maintient par d’autres voies à travers notamment le gouvernement Essebsi. Ces déclarations, au mieux, constituaient la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Les raisons sont plus profondes, et trouvent leur origine dans la révolution qui a renversé le dictateur Zine Ben Ali, le 14 Janvier. Les manifestants, principalement issus des classes populaires (ouvriers, étudiants, jeunes « marginaux », chômeurs) demandent aujourd’hui la démission du gouvernement provisoire et l’accélération du processus révolutionnaire, notamment concernant les affaires sociales. Ils revendiquent aujourd’hui haut et fort de ne pas êtres les premiers oubliés de la Révolution. Ils savent qu’ils n’ont plus rien à perdre, puisqu’ils n’ont rien gagné, ou si peu ! Ils craignent enfin, à juste titre qu’Essebsi profite de sa position pour renforcer son pouvoir personnel, protéger ses amis et limiter les conséquences de la Révolution.
Chacun sait que même si il était issu de la révolution, ce qu’il n’est pas – rappelons qu’il fut Premier ministre de Bourguiba, dictateur en son temps -, même si il avait la volonté d’accéder aux revendications du peuple tunisien, il ne pourrait pas le faire dans le temps qu’il lui est imparti, avec la légitimité dont il dispose. Le problème, est justement qu’il se sert de son « mandat » pour freiner les acquis de la révolution, pour limiter au maximum la rupture d’avec l’ancien régime, auquel il est profondément lié.
A titre d’exemple, le traitement de faveur accordé à Imed Trabelsi, le neveu de Neila Ben Ali, qui a été condamné à deux ans de prison pour consommation de drogues alors que, trempé jusqu’au cou dans les affaires mafieuses, il a contribué à piller une grande partie des ressources du pays.
A titre d’exemple encore, le refus de faire appliquer les accords salariaux et les conventions collectives obtenues pendant ou avant la révolution de janvier. Le refus de faire aboutir des négociations sociales, de dissoudre la police politique qui existe toujours en Tunisie, les atermoiements et le flou autour des élections à la Constituante. On voit bien que, quelle que soit la véracité des propos de Farhat Rachi, cette dernière accusation ne pèse pas lourd face aux multiples fautes politiques dont Essebsi est responsable.
Nous ne sommes plus dans le cadre de rumeurs, basées sur des révélations contestables, ce n’est plus ça qui est en jeu, c’est la légitimité même de ce gouvernement. Les chefs d’accusations sont nombreux ! D’ailleurs, « une bonne partie des militants savaient déjà ce qui a été révélé », indique Filel, militant au Parti Communiste Ouvrier de Tunisie (PCOT).
Ce qui a entraîné une nouvelle fois les jeunes dans la rue, c’est avant tout la persistance d’un homme du passé, qui s’appuie comme ses prédécesseurs sur les institutions créées par Habib Bourguiba et Zine Ben Ali, c’est-à-dire sur la police, l’armée, le contrôle de l’information, le court-circuit des forces d’opposition populaires. Il ne s’agit pas d’un gouvernement « technocratique », qui se contenterait de gérer les affaires courantes et de préparer les élections.
La révolution n’est pas finie
Il faut enfin souligner un fait, qu’on fait semblant d’ignorer : la révolution n’est pas achevée. Elle est bien vivante. Que les mouvements de ces derniers jours constituent le début de la deuxième Révolution, d’une quatrième Casbah ou un mouvement de réaction face à l’offensive contre-révolutionnaire, les tunisiens ont encore les deux pieds dans le mouvement révolutionnaire, en marche depuis le 17 décembre, date de l’immolation de Mohammed Bouazizi à Sidi Bouzid. Ces manifestations vont à contre-pied de l’idée, fortement répandue, qui voudrait que la révolution se soit arrêtée lors de la chute de Zine Ben Ali, le 14 janvier. Nous serions alors dans une période de « transition démocratique » longue et paisible, dans laquelle le nouveau régime devrait travailler dans le calme pour mettre sur pied un nouveau système démocratique.
Non seulement le gouvernement transitoire n’est pas démocratique, mais nous nous dirigeons vers une situation où l’ancien régime pourrait se rétablir à l’issu des élections à la Constituante, prévues pour l’instant pour le 24 Juillet. Nous sommes au contraire dans un moment historique où les intérêts de la Révolution et des révolutionnaires vont à l’encontre du travail effectué par ceux qui s’en arroge le titre de représentants, le gouvernement de Caid Essebsi en tête.
Une vrai bataille se livre encore sur tous les plans, et dans toutes les villes de Tunisie, des grèves, des sit-in, des manifestations de jeunes, de chômeurs, d’étudiants, d’ouvriers continue à faire pression sur les syndicats, les partis politiques et le gouvernement transitoire pour qu’ils ne volent pas la victoire de la révolution, et que celle-ci puisse tenir ses nombreuses promesses. Parmi les résultats provisoires des récents mouvements, le premier ministre va annoncer la démission de quatre des ministres de l’actuel gouvernement. Est-ce un premier signe de faiblesse ?
L’UGTT, de son côté, est dans une phase de concertation importante pour définir sa stratégie envers la Constituante. Il s’agit d’une décision qui est attendue depuis longtemps par les syndicalistes en Tunisie, et par tous-tes ceux-celles qui espère que la centrale syndicale jouera un rôle actif aux coté des révolutionnaires.
RCD Dégage, Essebsi démission, vive la révolution !