Édition du 19 novembre 2024

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Premières Nations

Réponse de la Nation crie aux pensionnats autochtones

Sept actions pour les autorités gouvernementales et religieuses.

CHISASIBI, QC, le 14 juin 2021 - Ce matin, les dirigeants du gouvernement de la Nation crie, de la Nation crie de Chisasibi, du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James et du Conseil scolaire cri ont présenté leur position dans la lutte contre l’héritage des séquelles causées par l’expérience des pensionnats autochtones au Canada.

Les demandes de la Nation crie ont été mises à l’avant par les représentants des autorités cries au Québec, notamment le Grand Chef Dr Abel Bosum (Gouvernement de la Nation crie), la Chef Daisy House (Nation crie de Chisasibi), Bertie Wapachee (Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James) et Sarah Pashagumskum (Conseil scolaire cri). Ces demandes visent à ce que les gouvernements et les organisations soutiennent la guérison des profondes blessures causées par les politiques d’assimilation écrites ou systémiques qu’ils ont appuyées dans le passé ou qu’ils tolèrent encore aujourd’hui.

Les sept principales actions, détaillées plus bas, sont les suivantes :

Reconnaissance des réalités autochtones

 Reconnaître l’existence du génocide, du traumatisme intergénérationnel et du racisme systémique ;

 Entreprendre un examen pédagogique pour que plus personne n’ignore les importantes contributions des peuples autochtones, ainsi que les questions abordées ci-dessus ;

 Instaurer un musée des pensionnats autochtones à Montréal et à Québec.

Collaboration à la guérison

 À leur demande, aider les groupes locaux formés pour répondre aux besoins des anciens élèves, que ce soit par la recherche et la documentation des sites de pensionnats comme celui de l’île de Fort George ;

 Impliquer les gouvernements autochtones dans toute législation susceptible de créer des archives publiques des personnes autochtones disparues ou décédées, quel que soit le contexte.

Santé

 Prioriser les installations et ressources offrant des traitements locaux et traditionnels ;

 Investir dans le développement des capacités locales de soins de santé, en particulier les soins en santé mentale.

La crise actuelle requiert bien plus que les actions d’un groupe ou d’un autre et bien plus que des appels à l’action. Elle exige un engagement personnel et une prise de responsabilité à tous les paliers gouvernementaux. C’est pour cette raison que ce communiqué de presse est accompagné d’une correspondance personnelle visant à établir des programmes et des actions concrètes à :

 Justin Trudeau, Premier ministre du Canada

 François Legault, Premier ministre du Québec

 Marc Miller, Ministre des Services aux Autochtones

 Carolyn Bennett, Ministre des Relations Couronne-Autochtones

 David Lametti, Ministre de la Justice

 Christian Dubé, Ministre de la Santé et des Services sociaux

 Geneviève Guilbault, Ministre de la Sécurité publique

 Ian Lafrenière, Ministre responsable des Affaires autochtones

 Jean-François Roberge, Ministre de l’Éducation

 Simon Jolin-Barrette, Ministre de la Justice

 Valérie Plante, Mairesse de Montréal

 Régis Labeaume, Maire de Québec

 Présidents des ordres professionnels

 Dirigeants des Églises

 Perry Bellegarde, Assemblée des Premières Nations

 Ghislain Picard, Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador

Contexte supplémentaire appuyant chaque demande

Blessures laissées par les actes génocidaires

Plusieurs membres de la Nation crie sont toujours hantés par leur séjour dans les nombreux pensionnats autochtones du Canada. La récente découverte des restes de 215 enfants enfouis sur le site de Kamloops a fait resurgir la douleur et l’angoisse des survivants d’actes génocidaires par les églises et les gouvernements de l’époque. Il est impératif que les gens comprennent que cette douleur ne touche pas seulement les anciens élèves. Trop souvent, on oublie ou ignore la douleur des communautés où la voix de tous les enfants était étouffée 11 mois par an. L’angoisse ressentie par les parents et les communautés lorsque les enfants étaient enrôlés de force dans des écoles lointaines a laissé des traces indélébiles qui sont devenues incommensurables pour ceux dont les enfants ne sont jamais rentrés à la maison. Et même si votre enfant revenait à la maison, vous étiez entourés de familles brisées qui n’avaient pas eu votre chance — un rappel de l’horrible réalité que vous risquiez vous aussi de perdre votre enfant à jamais. Les souvenirs du soir où les enfants ont été emmenés de force sont encore frais à la mémoire des membres de la communauté, tout comme leurs pleurs qui commençaient dans une tente et se déferlaient en une vague douloureuse sur toute la communauté, alors que les parents et les grands-parents cherchaient à comprendre l’énorme perte qu’ils venaient de subir.

L’héritage des pensionnats autochtones est particulièrement cruel pour nos jeunes d’aujourd’hui. En dépit du fait que les enfants comprendraient mieux leurs parents s’ils connaissaient les actes de torture, de violence, d’abus sexuel et de survie qu’ils ont vécus dans le passé, ces derniers hésitent à en parler ouvertement, car ils désirent avant tout protéger leurs enfants de la laideur du monde. Nous souffrons donc en silence alors que nos jeunes subissent les conséquences sans savoir pourquoi. L’héritage douloureux des pensionnats autochtones ne s’arrêtera pas lorsque le dernier élève va mourir, car tel un cancer, il est profondément ancré dans le tissu social de nos communautés. Cet héritage peut être lié à la pandémie chronique de problèmes sociaux et de problèmes de santé dont souffrent aujourd’hui toutes les communautés indigènes. Conséquemment, il n’est pas étonnant que nous surreprésentions les populations carcérales, les populations pauvres ou les maladies chroniques associées à un esprit brisé.

Reconnaître les impacts

Nous savons que la découverte de Kamloops n’est pas un événement isolé et savons qu’il y aura d’autres moments difficiles. Nous savons que d’autres souvenirs terribles remonteront à la surface et qu’il y aura plus de culpabilité parmi les survivants, plus de colère et plus de désespoir. Si nous voulons faire plus que survivre, aucun de nous ne doit tourner le dos. Cela représente un défi colossal pour nos communautés, mais il faudra le relever progressivement en évitant de rouvrir les vieilles blessures et perpétuer uniquement la victimisation. Cette initiative doit être menée par les groupes communautaires, les gouvernements locaux ou les gouvernements des Premières Nations afin d’atteindre l’équilibre précaire entre la fin du silence et le respect de la dignité d’un membre de la communauté. Les gouvernements et les organisations ayant l’obligation constitutionnelle de soutenir tous les peuples autochtones ont un rôle important à jouer pour aller au-delà des pratiques actuelles de déni, d’évitement et de minimisation, et s’assurer que notre société reconnaisse que ces horribles actes de génocide forment notre histoire collective.

Pensionnats de Fort George

Il y a deux sites de pensionnats à Eeyou Istchee, à l’ancien emplacement de la communauté de Chisasibi sur l’île de Fort George. Pendant des années, d’anciens élèves et des groupes communautaires ont tenté de répondre aux besoins des survivants venus chercher du réconfort sur le site et parmi la communauté. Des rassemblements annuels ont commencé il y a cinq ans sur l’île de Fort George et, au cours des dernières années, les groupes ont lancé des demandes de soutien et de mesures concrètes pour répondre à ses besoins. À ce jour, aucun gouvernement n’a répondu à ce cri d’alarme — et quelle honte ! Dans les deux pensionnats de Fort George, il n’y avait pas que des élèves cris ou des élèves québécois. En effet, comme le système des pensionnats autochtones a été créé et mandaté dans l’unique but de dépouiller les enfants de leur identité, il n’est pas surprenant qu’il n’y ait pas de logique quant à l’origine des élèves et l’endroit où ils étaient envoyés. Les élèves cris d’Eeyou Istchee ont été envoyés dans tout le Canada, au même titre que les autochtones d’autres nations ont été envoyés à Fort George.

La Nation crie de Chisasibi et le gouvernement de la Nation crie ont l’intention d’entreprendre des actions pour rechercher et documenter les sites des pensionnats sur l’île de Fort George. Ces actions seront menées par des groupes locaux formés pour répondre aux besoins des anciens élèves. Le gouvernement local, le gouvernement de la Nation crie, les institutions régionales et les organismes tels que le corps de police Eenou Eeyou prêteront main-forte à ces efforts. Toutes les mesures prises sur place doivent être respectueuses des élèves qui ont franchi les portes des deux écoles, ainsi que de leurs familles et de leurs communautés. Alors que nous entamons ce processus douloureux, nous comptons sur la sagesse et l’accompagnement spirituel des aînés et des Conseils des aînés pour éviter de causer des préjudices additionnels. Selon la Nation crie et la communauté de Chisasibi, il s’agit d’une occasion parfaite pour établir la norme et démontrer comment ils aimeraient être traités lorsqu’ils visitent les pensionnats, d’un bout à l’autre du pays, où nos élèves ont souffert ou ont été arrachés à jamais de leurs communautés.

Santé et bien-être de la communauté

Depuis l’annonce de la découverte de Kamloops, la souffrance est palpable au sein de nos communautés. Alors que les restes de nos enfants sont retrouvés sur d’autres sites à travers le pays et que la possibilité que d’autres corps d’enfants innocents soient repérés dans notre propre communauté, les besoins croissants d’aide en services sociaux et en santé mentale nécessiteront des offres plus larges.

La Nation crie a la chance d’avoir renouvelé un accord sur les soins de santé avec le gouvernement du Québec le 7 octobre 2019, lequel contient des dispositions pour le développement de plus de services de soins en santé mentale, de ressources et d’infrastructures pour servir nos communautés. Malheureusement, la plupart des Premières Nations au Canada n’ont pas de tels accords et sont aujourd’hui laissées pour compte alors que les gouvernements provinciaux et fédéraux se disputent les territoires et se renvoient la responsabilité des séquelles causées par leurs prédécesseurs. C’est inacceptable. La Nation crie n’est pas sans savoir que tout ce qu’elle a en ce moment est un programme. Et bien qu’il s’agisse d’une première étape importante, tant que celui-ci ne sera pas accompagné de priorités et de mesures d’implantation concrètes, il demeurera inutile.

Le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James et le ministère de la Santé du Québec sont formellement tenus de veiller à ce que le programme établi soit constructif et efficace. Des établissements communautaires de traitement traditionnels en milieu naturel s’imposent de toute urgence. Ces établissements devront aller au-delà de leurs mandats étroitement définis en s’associant avec les institutions responsables de la justice, de la sécurité publique, du logement et de l’éducation, car le terrible héritage des pensionnats autochtones et la santé de nos communautés sont directement liés aux taux de criminalité et d’incarcération, à la protection des jeunes, aux maladies chroniques, aux conditions de logement et aux résultats scolaires médiocres. Bien que les efforts à court terme comme le recrutement de travailleurs sociaux ou de professionnels de la santé en santé mentale soient appréciés, des solutions à long terme nécessitent le renforcement des capacités locales pour résoudre les problèmes locaux.

Racisme systémique : Le courage de le nommer

La Nation crie est reconnaissante de l’énorme élan de soutien de ses voisins et amis qui ont été choqués par la découverte de Kamloops, parmi lesquels certains ont demandé ce qu’ils pouvaient faire pour aider. Le reste du Québec et du Canada doit cesser de nier que le racisme systémique — qui a permis la création des pensionnats autochtones — existe encore aujourd’hui. Il se trouve d’ailleurs dans les politiques, les hypothèses et les fondements de toutes les institutions gouvernementales. Nous ne devons pas détourner le regard. Pour que ce lugubre chapitre de notre passé ne se perpétue pas à l’avenir, nous devons y faire face et comprendre son impact sur le présent.

En dépit du fait que juin soit le mois national de l’histoire autochtone depuis 2009, plusieurs peuples indigènes et non indigènes à travers le pays ignorent totalement notre histoire ou même la désignation honorifique du mois de juin. C’est tout à fait déplorable.

La pédagogie comme pierre angulaire

Le processus de réconciliation, de guérison, de patience et de compréhension commence par l’éducation. Une révision des programmes scolaires s’impose pour que tous les Canadiens connaissent les importantes contributions des peuples autochtones, ainsi que les injustices et les génocides dont nous avons été victimes. Collectivement, nous ne devons plus compter sur les jeunes d’aujourd’hui pour assumer le leadership de demain, armés d’une meilleure compréhension de notre histoire et de nos blessures. Il incombe donc aux centres d’éducation des adultes, aux ordres professionnels ou aux ministères de l’Immigration de compléter toutes les formes de formation des adultes afin que l’éducation de tous nos peuples commence aujourd’hui.

Trop souvent, la géographie ou la nature très isolée de nos « réserves » est utilisée comme prétexte pour expliquer le manque d’interactions entre nos communautés et la raison pour laquelle nous sommes si ignorants des réalités des autres. Tout comme le Musée de l’Holocauste de Montréal veille à ce qu’un chapitre sombre de l’histoire mondiale ne soit ni oublié ni répété, un établissement similaire est nécessaire pour les pensionnats autochtones au Québec tout comme dans d’autres villes canadiennes.

Au cours des dernières années, des mesures importantes ont été prises pour présenter des excuses ou commencer à compenser les préjudices subis par les survivants des pensionnats autochtones. Plus récemment, le Québec a adopté le projet de loi 79, qui autorise la communication de renseignements ou de documents personnels aux familles d’enfants disparus ou décédés à la suite d’une entrée dans un établissement de soins de santé. La portée de la loi nécessite une adaptation, car les enfants qui ont été enlevés ne sont jamais retournés dans leur foyer pour des raisons autres que des soins médicaux. En fait, l’éducation était le prétexte le plus important pour l’enlèvement institutionnalisé d’enfants et son absence flagrante dans la loi est une indication claire qu’il faut aller plus loin. En outre, il est essentiel d’adapter toutes les mesures et tous les mécanismes d’exécution pour tenir compte de l’intérêt communautaire et des besoins de la société en général d’accéder à l’information. Rares sont les jeunes ou les membres de la communauté qui sont assez confiants pour contacter un représentant gouvernemental et lui demander de l’aide pour composer avec des événements douloureux relatifs à des gouvernements qu’ils ne considèrent pas comme les leurs. Des mécanismes seront nécessaires pour s’assurer que les gouvernements autochtones peuvent représenter et répondre aux besoins de leur propre peuple.

Accepter la responsabilité

Enfin, si l’on désire mettre un terme à la culture de déni caractérisant tous les aspects des relations avec les peuples autochtones, il est essentiel d’établir des archives publiques. Cet exercice très délicat exigera une étroite collaboration entre tous les paliers gouvernementaux afin que les individus touchés ne soient pas davantage lésés au nom de la fin du déni.

En ces temps difficiles et douloureux, les autochtones du pays ont besoin d’empathie de leurs voisins et de leurs amis. La culpabilité ne fera que fermer et durcir le cœur, alors que c’est son ouverture qui est nécessaire. La sympathie est éphémère ; elle n’aura que pour seul effet de perpétuer le rejet des peuples autochtones et les réalités du monde dans lequel nous vivons.

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