L’aide apportée au pays meurtri a « crée des problèmes dont on aura de plus en plus de mal à nous en sortir », explique Peck dans une interview accordée à AlterPresse. Elle amène des solutions rapides à des difficultés immédiates, mais elle casse tout le circuit économique local, poursuit-il. Alors que les marchandes étaient au bord des routes quelques jours après le sinistre, des tonnes de marchandises étaient déversées sur Port-au-Prince, dont l’occupation militaire était renforcée.
Les États-Unis avaient tout de suite déployé 10.000 marines sur le territoire haïtien et le Canada 2000 membres des Forces canadiennes (FC - Armée de terre, Marine et Force aérienne). Assistance mortelle aussi, dans la mesure où elle affaiblit l’État, ajoute le cinéaste. « Nous avons un ensemble d’intervenants, qui, de la puissance de leur argent, de la puissance de leur armée, prennent beaucoup de place dans les décisions qui, en fait, ne devraient concerner que l’Etat légitime, ses élus et ceux qui sont désignés à diriger le pays ».
Ainsi, au lendemain de la catastrophe, la machine de l’aide internationale a pris le pas sur les institutions haïtiennes, coupant court à l’ensemble de leurs activités initiales, selon le propos du film. On voit le président René Préval décrivant les relations entre Haïti, en tant qu’ « Etat faible », et la communauté internationale. Son premier ministre, Jean Max Bellerive, prenant la mesure de l’ « ingérence ».
Un peu l’envers du décor, où le président confirme les rumeurs qui circulaient à l’époque : en novembre 2010, le chef de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), Edmond Mulet, a bien voulu l’embarquer dans un avion pour lui faire laisser le pays. Et Préval de réclamer « des menottes », pour que tout le monde puisse constater le « kidnapping ».
Au cœur du film, la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), grosse machine codirigée par l’ancien président américain William Clinton et le premier ministre Bellerive.
Elle aurait pu être « un instrument formidable », note Peck. Mais, « dès le départ, on n’a pas joué le jeu de la transparence, le jeu du renforcement des institutions haïtiennes », déplore le cinéaste, qui rappelle que beaucoup de décisions étaient prises à l’insu des ministères, alors que les experts étaient englués dans « ce magma politico-humanitaire ».
Les pays donateurs avaient promis près de 10 milliards de dollars américains (US $ 1.00 = 44.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes). Le montant versé pour des programmes d’assistance est de $6,43 milliards, dont la majeure partie n’est pas restée dans le pays.
ASSISTANCE MORTELLE - extraits du film de Raoul Peck
Le film ne vise pourtant pas à dédouaner les dirigeants politiques haïtiens, précise l’auteur d’Assistance Mortelle. Par exemple, dit-il, « le parlement devait être plus présent dans ce débat ».Il souhaite que son film contribue à relancer la discussion sur la reconstruction d’Haiti, en aidant à stopper peut-être « ce discours envahissant », selon lequel chaque fois qu’on aborde la question critique du travail des organismes internationaux dans le pays, « on vous met tout de suite devant la figure la corruption des dirigeants haïtiens ».
Peck réclame un échange à voix égales sans pré-condition. « Si vous voulez parler de corruption, parlons-en des deux cotés ! ».
Quant aux Haïtiennes et Haïtiens, il les invite à cesser « l’auto-flagellation permanente » et à être les premiers à prendre à bras le corps leurs propres problèmes.
Acteurs haïtiens et étrangers divisés sur les questions de l’aide internationale et la reconstruction d’Haïti
Enquête : Les thèmes relatifs à l’aide internationale à Haïti et la reconstruction du pays suite au séisme du 12 janvier 2010 sont diversement commentés par des personnalités de différents milieux haïtiens et étrangers, alors qu’il est difficile de s’accorder sur un bilan, près de deux ans et demi après la catastrophe.
Ayiti Kale Je (AKJ), est un partenariat journalistique qui enquête depuis lors sur le sujet, il s’est mis à l’écoute de plusieurs grands acteurs sur trois aspects de la reconstruction :
1) l’aide, la dépendance et la souveraineté,
2) la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH)
3) les questions de vision, leadership et coordination.
Suite à ses demarches, AKJ a pu recueillir les propos de quatre anciens membres de la CIRH, trois personnes travaillant ou ayant travaillé au sein du gouvernement et les représentants en Haïti de la Banque Mondiale (BM), de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et du Fonds Monétaire International (FMI).
Aide, dépendance et souveraineté
Bien avant le séisme du 12 janvier 2010, Haïti dépendait majoritairement de l’aide internationale pour financer les projets et programmes du gouvernement ainsi que son budget. L’aide des bailleurs bilatéraux et multilatéraux demeure une ressource beaucoup plus importante que les recettes internes de l’État.
Avec le tremblement de terre, cette situation s’est largement aggravée.
Pour faire face à la situation critique post-séisme, l’aide internationale apportée à Haïti s’est divisée en deux catégories : l’aide d’urgence, concentrée sur les efforts de secours humanitaire, et l’aide à la reconstruction, destinée à financer la reconstruction et le développement à long terme.
Cependant, de même que l’aide octroyée à Haïti avant le tremblement de terre, la majorité de cette assistance a contourné les structures de l’Etat haïtien pour aboutir directement aux mains des contractants privés, des Organisations non gouvernementales (ONG), les agences bilatérales et multilatérales, et d’autres instances non-étatiques.
Seulement 1 % de l’aide d’urgence a été fournie au gouvernement d’Haïti et, en ce qui a trait à l’aide à la reconstruction, les bailleurs bilatéraux ont décaissé 7 % et les bailleurs multilatéraux 23% en faveur du gouvernement en utilisant des systèmes nationaux.
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« La critique doit être totale, avec irrespect s’il le faut, pour enlever toute possibilité de confort trompeur aux lecteurs et lectrices qui vivent leur mal dans la complicité. Cette bataille contient des risques et il importe de les assumer.
C’est une manière comme une autre de dénoncer la fausse innocence dans la perpétuation du brigandage. Il est possible d’exprimer sa solidarité avec tous ceux et celles qui veulent mettre fin au mal séculaire qui étreint les Haïtiens, sans les flatter surtout si on n’est pas chercheur de pouvoir.
L’observation sérieuse de la réalité, l’analyse des comportements des dominants et des dominés, la compréhension de leurs motivations profondes ne peuvent aboutir qu’à une explication simple : un concours de fausses et de vraies complaisances maintient la société dans un équilibre catastrophique.
Le mal n’est pas uniquement au dehors mais aussi au dedans de nous. L’idéologie haïtienne du « simulacre » dénoncée par Fernand Hibbert a atteint un point de pourriture intolérable. La puissance des dominants repose sur la faiblesse des dominés et, cette faiblesse, sous un discours mièvre sert à camoufler la dérive d’une culture de mystification avec ou sans le créole haïtien. »
Publié par Libres Amériques
Par Gotson Pierre et enquête d’Ayiti Kale Je