Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Un demi-million de réfugiés depuis le mois de mai

Qui veut vraiment la paix au Congo ?

En visite à Kinshasa pour le sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le 13 octobre dernier, le président français François Hollande a ostensiblement marqué ses distances avec son homologue congolais Joseph Kabila. Si celui-ci fait preuve d’autoritarisme, les diplomates lui reprochent surtout son incapacité à rétablir la paix dans les Kivus.

KAMPALA, août 2012. La capitale de l’Ouganda est le théâtre d’un de ces bals masqués dont les diplomates semblent avoir le secret. Réunis au sein de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) (1) par M. Yoweri Museveni, les présidents congolais et rwandais, MM. Joseph Kabila et Paul Kagamé, se livrent à un simulacre de négociations sur la crise qui ravage le Nord- Kivu (République démocratique du Congo, RDC) depuis 1996.

La tension au Nord-Kivu est, depuis le printemps 2012, à nouveau montée d’un cran avec la mutinerie de plusieurs centaines de soldats, anciens rebelles récemment intégrés dans l’armée officielle. Formant un nouveau mouvement rebelle majoritairement tutsi, le M23 (ex- Conseil national pour la défense du peuple, CNDP) – soutenu en sous-main par le Rwanda –, ils ont pris le contrôle de la plus grande partie de la région en quelques semaines, provoquant la mort de plusieurs milliers de civils et la résurgence de dizaines de milices oubliées.

Malgré cette situation dangereuse pour la paix régionale, les chefs d’Etat de la CIRGL, sachant les positions irréconciliables, se séparent sur un accord en trompe-l’oeil prévoyant la création d’une « force internationale neutre ». Il s’agit surtout d’apaiser les chancelleries européennes et américaines, inquiètes d’un conflit qui peut à tout moment dégénérer en guerre régionale. Congolais et Rwandais ont en effet une conception radicalement différente de cette force internationale censée rétablir l’ordre dans la région. Alors que les premiers y voient le moyen de renégocier le mandat de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco), la plus importante force de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies (ONU) en exercice, afin de lui donner des prérogatives offensives, les seconds privilégient au contraire une force régionale, non pas neutre, mais incluant des éléments... rwandais. Une cotutelle de Kigali sur le Nord-Kivu inenvisageable pour Kinshasa.

La crise qui ravage le Nord-Kivu n’est qu’une énième réplique des conflits incessants entre les deux voisins depuis le génocide des Tutsis, en 1994, et la contre-offensive du Front patriotique rwandais (FPR) de M. Kagamé, laquelle avait poussé des millions de Hutus rwandais à fuir au Zaïre voisin (future RDC). Ce flux massif, que le Zaïre déliquescent du maréchal Joseph Mobutu n’avait pas cherché à contrôler, incluait de nombreux cadres du « Hutu power » génocidaire. Ils allaient rapidement se constituer en milices armées, dont la plus célèbre demeure les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). A l’époque, la violence et la misère dans les immenses camps de réfugiés où circulent toutes sortes d’armes, ainsi que la volonté de Kigali comme de Kampala de mettre la main sur les immenses richesses congolaises, ont formé un cocktail rendu encore plus explosif par les conflits de pouvoir au Zaïre même. Ainsi, en 1996, l’opposant congolais Laurent-Désiré Kabila (1941-2001) s’appuya sur la volonté proclamée du FPR et des troupes ougandaises de lutter contre les milices hutues pour s’emparer des provinces du Kivu avant de renverser le régime de Mobutu et prendre le pouvoir en 1997. Ce fut sa rupture avec Kigali qui précipita la deuxième guerre du Congo (2).

Aujourd’hui encore, Kigali soutient un mouvement politico-militaire comme le M23 pour accaparer les ressources naturelles congolaises tout en s’assurant une protection militaire vis-à-vis des groupes armés hutus, de plus en plus faibles. De son côté, pour lutter contre le M23 et maintenir un semblant d’autorité sur son territoire, la RDC n’hésite pas à s’appuyer sur de multiples milices, dont, épisodiquement, les FDLR de M. Sylvestre Mudacumura, inculpé de crimes de guerre par la Cour pénale internationale (CPI).

Un bon exemple des louvoiements du président Kabila est fourni le 11 avril dernier, quand le chef de l’Etat congolais annonce, de manière très calculée, son intention d’arrêter M. Bosco Ntaganda, surnommé « Terminator ». Ex-dirigeant du groupe rebelle tutsi CNDP, soutenu par le Rwanda, celui-ci avait été inculpé en 2006 par la CPI de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ce qui n’avait pas empêché M. Kabila de le nommer général de l’armée congolaise le 23 mars 2009, à la faveur d’un accord prévoyant la réintégration des CNDP au sein des forces régulières. M. Ntaganda a joué un rôle crucial dans les élections congolaises contestées de novembre 2011 – le principal opposant, M. Etienne Tshisekedi, refuse de reconnaître la victoire de M. Kabila – en s’assurant que les deux Kivus « choisissent la bonne voie » électorale. Menaces et violences en tout genre conditionnent le vote des populations locales, qui s’avère déterminant dans la victoire finale de M. Kabila. Les nombreuses irrégularités entachant le processus, financé à hauteur de 250 millions d’euros par l’Union européenne, poussent d’ailleurs les bailleurs de fonds à hausser le ton, pendant que des voix dans la société dénoncent les violences et les réseaux de corruption constitués à cette époque

Jamais très loin des terrains de tennis

LORSQUE M. Kabila énumère les « cent raisons » d’arrêter M. Ntaganda, il tente de donner des gages de bonne conduite à la « communauté internationale », sans mettre en application cette mesure. Nul n’ignore pourtant ses lieux de villégiature à Gisenyi (Rwanda) et Goma (RDC), où des responsables de la Monusco le croisent régulièrement sur les terrains de tennis de l’hôtel Ihusi. A la suite de la déclaration présidentielle, il a tout loisir de fuir à Masisi (RDC), où, encerclé, il profitera d’une étonnante « trêve » de cinq jours pour partir à nouveau vers le Rwanda – il y fondera le M23, le 6 mai, avec M. Laurent Nkunda, lui aussi inculpé par la CPI, et M. Sultani Makenga, son ancien aide de camp, devenu la vitrine légale du mouvement.

Bien qu’il démente toute implication dans la crise, le président rwandais s’y engage résolument. Tributaire de l’exploitation illégale des ressources naturelles des deux Kivus et de l’Ituri, qui pèsent pour près d’un quart dans le produit intérieur brut de son pays, et cherchant à se défaire définitivement des FDLR, il soutient en sous-main la création du M23 dès le mois de février, accueillant ses responsables et l’approvi- sionnant tant en hommes qu’en matériel. C’est dans ces circonstances, et alors que les preuves accablantes de ce soutien (4) suscitent une réprobation internationale, menaçant les flux d’aide qui alimentent Kigali, que le Rwanda tente de gagner du temps en acceptant, à Kampala, la création d’une force internationale qu’il sait illusoire. Il cherche également à apaiser le feu des critiques venues des Etats-Unis, dont l’ambas sadeur Stephen Rapp menace les dirigeants rwandais de poursuites devant la CPI. La France en profite pour condamner, dès le 2 août, le M23 et tout soutien étranger à ce mouvement, sans cependant mentionner explicitement le Rwanda, avec lequel les relations restent tendues depuis le génocide de 1994 (5). Paris semble privilégier, dans un certain isolement, une diplomatie particulièrement peu offensive vis-à-vis du « pays des mille collines »

De son côté, l’Afrique du Sud a décidé d’utiliser le sommet de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) de Maputo (Mozambique), dont est membre la RDC, et qui a refusé l’adhésion du Rwanda en 2005, pour condamner, le 19 août, le soutien de ce pays à la rébellion. Une décision tardive, qui s’explique par la tentative de rapprochement de Pretoria avec Kigali, symbolisée par la présence de M. Kagamé au centenaire du Congrès national africain (ANC). Les relations entre les deux Etats s’étaient tendues après l’assassinat à Johannesburg d’un général rwandais en exil, en juillet 2011. Avec la décision de la SADC, l’Afrique du Sud revient à sa position traditionnelle, en appuyant son allié historique congolais. Elle apporte à M. Kabila une bouffée d’oxygène, après plusieurs mois de relatif isolement sur la scène continentale.

La médiatisation comme moyen de pression

EN EFFET, malgré l’intense activité de son ministre des affaires étrangères Raymond Tshibanda, la RDC peine à rallier à sa cause ses alliés traditionnels – du moins au-delà des déclarations d’intention et des condamnations de pure forme. L’Angola, notamment, membre de la CIRGL, semble temporiser face aux demandes pressantes d’assistance formulées par Kinshasa, tandis que le président centrafricain François Bozizé est accaparé par la rébellion tchadienne qui écume son pays. M. Bozizé se trouve également aux prises avec une révolte de la jeunesse ; des craintes de complot l’ont récemment amené à limoger son ministre des finances, qui était aussi son neveu. Dans le même temps, l’affaire Faustin Munene, du nom d’un général de M. Kabila accueilli à Brazzaville en tant que « réfugié politique », empoisonne les relations de la RDC avec sa voisine, la République du Congo.

Affaiblie, la RDC a adopté une stratégie de médiatisation du conflit au Kivu destinée à accentuer la pression humanitaire sur Kigali. De fait, associations et médias internationaux concentrent depuis le mois d’avril leur attention sur les exactions commises par les ennemis déclarés du président congolais, faisant ainsi oublier les déboires électoraux et les nombreuses accusations de corruption qui touchent son entourage. Cette stratégie lui a vraisemblablement permis de conserver la capitale provinciale, Goma, malgré un rapport de forces clairement en faveur du M23. Ce faisant, Kinshasa se donne du temps pour réorganiser ses forces armées et établir des rapprochements avec les milices locales.

En 2009, la proposition du président français Nicolas Sarkozy de partager l’administration des ressources de la région entre la RDC et le Rwanda avait été reçue comme un camouflet et rejetée en bloc par Kinshasa. Il n’en reste pas moins que l’Etat congolais se montre incapable d’exercer sa souveraineté sur de larges pans de son territoire. Objet de tous les trafics, les ressources naturelles des deux Kivus comme de l’Ituri sont systématiquement pillées. De l’or aux diamants en passant par la cassitérite et même l’uranium, l’administration n’enregistre qu’une part infime de l’activité minière. En parallèle, l’intégration d’anciens mouvements rebelles dans l’armée régulière en vertu d’accords de paix, avec de belles promotions à la clé, a ouvert un cycle d’impunité favorisant la multiplication des rébellions. Dans une région économiquement sinistrée, la violence est devenue le meilleur moyen d’exister et de gravir les échelons, voire de se construire un destin national. L’espoir représenté par la justice internationale, qui semble seule à même de rompre ce cycle, n’a pour l’instant pas porté ses fruits, faute de concrétisation quelconque.

Il est vrai que l’Union africaine maintient une ligne agressive à l’encontre de la CPI, y compris depuis l’élection, en juillet dernier, de la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma à la présidence de la commission de l’organisation, en remplacement du Gabonais Jean Ping. Conflictuelles dès l’origine, les relations de l’Union avec la Cour ont connu une importante détérioration avec l’émission du mandat d’arrêt pour génocide contre le président soudanais Omar Al-Bachir : l’Union a enjoint à ses pays membres de ne pas coopérer avec la CPI, comme elle le fera lors de l’inculpation de Mouammar Kadhafi. Un échec révélateur de la nature du multilatéralisme africain, trop souvent réduit à un réseau infrapolitique de solidarités personnelles.

Terrain de jeu des puissances régionales comme elle le fut des puissances coloniales, pays à l’indice de dévelop pement humain (IDH) le plus faible du monde malgré ses innombrables res sources, la RDC se trouve une fois encore au coeur d’une crise violente à l’issue incertaine. Alors que le conflit aurait fait entre trois et dix millions de morts depuis 1997, les événements en cours depuis le mois de mai ont provoqué la fuite de plus de cinq cent mille réfugiés et une « épidémie de viols », selon Médecins du monde. Depuis le mois d’août, les violences ethniques resurgissent tandis que trois sommets de la CIRGL se sont succédé sans aucune avancée, les protagonistes ne semblant avoir, encore et toujours, qu’un seul point d’accord : le désintérêt le plus total pour le destin des populations.


Notes

(1) Structure fondée en 2000 par l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Union africaine, la CIRGL, qui a son siège à Bujumbura (Burundi), est le principal forum diplomatique de la région des Grands Lacs africains. Elle réunit onze Etats : Angola, Burundi, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Kenya, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Soudan, Tanzanie et Zambie.

(2) La première guerre du Congo débute en 1996 et s’achève par la chute du président Mobutu en 1997. Il est remplacé par Laurent-Désiré Kabila, qui change le nom de Zaïre en République démocratique du Congo (RDC). La deuxième guerre du Congo (1998- 2002) implique huit pays : Angola, Namibie, RDC, Tchad et Zimbabwe d’un côté ; Burundi, Ouganda et Rwanda de l’autre.

(3) Lire Tristan Coloma, « Congo, la société en campagne », Le Monde diplomatique, décembre 2011.

(4) Conseil de sécurité des Nations unies, addendum au rapport intérimaire du groupe d’experts sur la RDC, 27 juin 2012, S / 2012 / 348 /Add.1

(5) La France n’a plus d’ambassadeur au Rwanda depuis le refus de Kigali, en février 2012, d’accréditer Mme Hélène Le Gal, devenue entre-temps conseillère Afrique du président François Hollande.


PAR JUAN BRANCO * * Chercheur, ancien assistant spécial du procureur de la Cour pénale internationale.

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