Édition du 19 novembre 2024

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Environnement

Qui fera l’éloge des victimes de Barrick Gold ?

Depuis le décès de Peter Munk, (président fondateur de la compagnie Barrick Gold) le 28 mars dernier, les médias canadiens se sont précipités pour publier des éloges enthousiastes à son sujet, en insistant sur sa philanthropie et ses succès à titre de magnat de l’industrie minière. Ces hommages cachent bien des aspects de ce qui a fait sa réputation.

Sakura Saunders, Anne-Emanuelle Birn, Ben Brisbois, Donald C. Cole, Paul A. Hamel, Lori Hanson, Jamie Kneen, Baijayanta Mukhopadhyay
Briarpatch Magazine, 24 avril 2018
Traduction : Alexandra Cyr

En Ontario, des patients.es profitent du Centre cardiaque Peter Munk à l’Hôpital général de Toronto. Ce centre est à la fine pointe de tous les progrès dans ce secteur médical. M. Munk a donné 100 millions de dollars à ce centre, ce qui a allégé sa facture d’impôt. En même temps, à Porgera en Papouasie Nouvelle Guinée, le seul hôpital qui s’y trouvait, juste à côté de la mine Barrick Gold Porgera Joint Venture, est fermé depuis plus d’un an. La compagnie a enfreint les normes internationales sur l’environnement ; elle a évacué des millions de tonnes de résidus miniers dans la rivière chaque année, contaminant ainsi l’eau sur des centaines de kilomètres et provoquant des brûlures chimiques aux villageaois.es qui entraient en contact avec les résidus.

De l’autre côté de la planète, plus de 50 résidents.es qui vivaient près de la mine Barrick Gold à Pueblo Viejo, en République dominicaine, ont rapporté diverses lésions corporelles après être entrés en contact avec l’eau dans les environs. Ces lésions sont semblables à celles connues à de l’exposition au cyanure de potassium. Un groupe de personnes de ce village ont aussi eut des résultats positifs aux tests qui ont décelé des traces de cyanure dépassant les niveaux sécuritaires après des contacts avec l’eau contaminée. Elles avaient aussi des niveaux inacceptables de métaux lourds dans leur sang.

Ces violations environnementales et des centaines d’autres par la minière Barrick Gold partout à travers le monde ont détruit les moyens d’existence et déplacé des populations entières. Elles ont divisé les communautés et compromis la santé humaine. En plus, la présence de Barrick Gold a mené à d’autres violations des droits humains. Elle a forcé la militarisation de communautés entières en Tanzanie et en Papouasie Nouvelle Guinée, où il est courant que des gens meurent dans des affrontements avec les gardes de sécurité de la mine et, comme les rapports humains sont aussi influencés par le genre, 120 femmes ont déclaré avoir été violées par ces gardes en 2015.

Mais, au Canada, la philanthropie de P. Munk a rehaussée son image de générosité et soustrait à l’attention les allégations d’abus de la part de sa compagnie ailleurs dans le monde. Les autorités canadiennes n’ont pas suffisamment étudié ces violations de Barrick Gold qui ont permis à P. Munk d’exercer sa philanthropie. En fait, les succès de M. Munk ne sont que la conséquence logique des politiques canadiennes : le manque d’examen sérieux des agissements des entreprises minières, les importants soutiens à la prospection, le libre accès aux capitaux spéculatifs et une structure d’imposition qui favorise l’accumulation de la richesse par les spéculateurs du secteur minier, et ce, aux dépens du bien public.

Non seulement, l’État canadien a-t-il aidé les entreprises minières à être profitables, quelques soient les coûts environnementaux et humains, mais il leur a offert le soutien diplomatique partout dans le monde. En 2009, un coup d’État et des élections frauduleuses ont introduit un nouveau gouvernement au Honduras ; il a été accusé de graves violations des droits humains, de trafic de narcotiques et de corruption. Le Canada demeure un allié inébranlable de ce régime parce qu’il protège les intérêts miniers canadiens dans le pays. De plus, le système légal du Canada rend pratiquement impossible l’accès à la justice de notre pays à ceux et celles qui ont eu à souffrir des agissements des compagnies canadiennes.

Presque tous les reportages au sujet de P. Munk ont insisté sur sa loyauté envers le pays qui lui a permis d’amasser sa fortune après que sa famille ait fuit la Hongrie envahie et occupée par les Nazis. En apparence, ce genre de discours est une manière de réarranger le sens avec lequel le Canada vante à tort son hospitalité envers les immigrants.es. Qu’un homme avec une telle influence dans le monde fasse ses plus importants dons au Canada démontre combien les exemptions fiscales sont largement subventionnées par les contribuables, sans aucune garantie de retombées. Il va sans dire que M. Munk a largement profité de ses contacts avec les plus hauts échelons de la politique canadienne, par exemple avec l’ancien Premier ministre Mulroney et l’ancien ministre des Affaires étrangères, John Baird, qui ont intégré le Conseil international des conseillers de Barrick Gold après avoir quitté leur poste au gouvernement. Ils donnaient ainsi à la compagnie un poids politique énorme et ouvraient un accès aux législateurs.trices.

Il faut prêter une attention particulière aux liens de P. Munk avec son alma-mater, l’Université de Toronto, qui a participé à l’affaiblissement des campagnes en faveur d’une plus grande responsabilité sociale du secteur minier. La Munk School of Global Affairs (dans cette université) a bénéficié d’un don de départ de 51 millions de dollars de la part de Peter et Melanie Munk. En 2009, elle a été impliquée avec le gouvernement Harper dans une opération d’obstruction aux recommandations de tables rondes nationales sur la responsabilité sociale des entreprises. Ces recommandations englobaient, entre autres, un appel en faveur de standards en environnement et pour les droits humains pour les compagnies canadiennes opérant ailleurs dans le monde. Elles demandaient aussi la nomination d’une ombudspersonne qui pourrait enquêter sur des accusations d’abus de la part des compagnies.

Au lieu de cela, le gouvernement a créé un poste de conseiller.ère pour la responsabilité sociétale des entreprises, mais sans pouvoir réel. Mme Marketa Evans a été la première personne nommée à ce poste. Elle était l’ancienne directrice du Centre Munk pour les études internationales, le nom précédent de l’École Munk pour les affaires globales. Au même moment, le gouvernement Harper mettait en place une stratégie qui dirigeait les fonds de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) vers des projets communautaires liés aux opérations minières.

L’Agence a alors cessé de verser des fonds à des organisations non gouvernementales qui luttaient en faveur du respect des droits humains dans les communautés affectées par les opérations minières. Kairos, Développement et paix et le Comité central mennonite étaient du nombre. Quand le gouvernement canadien a finalement procédé au démantèlement total de l’ACDI pour que les dons soient en lien avec les objectifs de la politique étrangère, tel le commerce, la tâche a été confiée à Mme Janice Stein la directrice de l’école Munk à l’époque. Elle a aussi siégé sur le panel chargé de la restructuration de l’ACDI.

Que ce soit en Amérique latine, en Asie-Pacifique ou en Afrique, l’héritage de M. Munk dans la destruction de l’environnement a des conséquences sur la santé qui dépassent de loin le soutien qu’il a accordé aux soins et à la recherche dans la médecine cardiovasculaire à l’Université de Toronto. Aujourd’hui, Barrick Gold, la plus grande compagnie minière du Canada et la plus grande compagnie aurifère dans le monde, tient ses assemblées annuelles loin des endroits où le Réseau pour la justice et la solidarité dans le secteur minier va manifester contre la compagnie. Il ne faut pas que nous permettions à l’argent de M. Munk de le soustraire à son héritage criminel. La violence avec laquelle cette compagnie cupide a provoqué des déplacements (de population) partout dans le monde et a mené à de graves dépossessions et des morts. Le secteur financier canadien, les médias, des universitaires et le secteur diplomatique en sont complices.

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