Le rôle de l’industrie minière au sein des économies canadienne et québécoise est constamment présenté comme capital dans la sphère publique. Les retombées alléguées du secteur justifieraient le maintien d’une importante structure gouvernementale d’appui à l’industrie. C’est dans cette logique que le gouvernement concède au secteur minier un soutien financier important, par l’entremise de diverses mesures fiscales et allocations de toutes sortes, et qu’il maintient de longue date un cadre juridique accommodant à son égard.
Dans cette étude, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) analyse globalement les coûts et bénéfices attribuables aux secteurs canadien et québécois des mines métallifères, non seulement du point de vue économique, mais également selon une perspective environnementale et sociale. Cela dans le but de déterminer l’intérêt réel d’une telle libéralité à l’égard des régimes miniers fédéral et provincial, tant pour les contribuables que pour les collectivités concernées par les activités minières. L’Institut remet ainsi en question la pertinence du maintien d’un soutien public financier et juridique aussi substantiel pour cette industrie.
Principales conclusions
Les investissements publics dans le secteur des mines métallifères, soit les dépenses fiscales, les dépenses par programmes et les dépenses directes dans l’industrie, sont en hausse depuis les 15 dernières années. Au Canada, les dépenses fédérales ont augmenté de 11,3 % entre 1995 et 2007 ; au Québec, cette hausse a atteint 48 % au cours de la seule période 2001-2007.
En revanche, les retombées de ce secteur au plan des emplois et de la croissance économique sont en déclin. Au Canada, le nombre d’emplois offerts par l’industrie a chuté de 30 % et son PIB a décru de 7 % entre 1995 et 2007 ; au Québec, ces indicateurs ont respectivement connu une baisse de 8 % et de 23 % au cours de la même période. Au pays, les contributions du secteur à l’ensemble de l’économie en termes d’emplois et de PIB se limitaient en 2007 à 0,14 % et à 0,31 % respectivement ; dans la province, ces proportions étaient de 0,27 % et de 0,24 % la même année.
Au Québec, les contributions brutes du secteur aux finances publiques, en termes de redevances, d’impôts sur le revenu et de taxe sur le capital, ont augmenté de 107 % entre 2001 et 2007. Ces apports ne peuvent cependant pas être considérés comme substantiels pour les contribuables, compte tenu des facteurs suivants : 1) l’allègement fiscal global dont bénéficie le secteur est considérable (environ 50 %) 2) un nombre important de mesures fiscales et d’autres dépenses profitant au secteur ne sont pas divulguées par le gouvernement (et n’ont donc pas été comptabilisées dans la présente analyse) 3) les redevances versées par les entreprises minières sont bien en deçà des taux en vigueur ; et 4) celles-ci se révèlent maigres en regard des revenus de ces sociétés.
Quant aux ratios dépenses-retombées, soit les coûts en fonds publics afférents au secteur en regard des bénéfices qui en résultent, ils ont, pour l’emploi et le PIB, augmenté respectivement de 59 % et de 29 % au Canada, et de 41 % et de 100 % au Québec durant la période de référence. C’est dire que les bénéfices attribuables à l’industrie, sur ces deux volets, coûtent de plus en plus cher au contribuable canadien et québécois.
Pour ce qui est du ratio dépenses-retombées en matière de contributions du secteur aux finances publiques, il a baissé de 29 % au Québec durant cette période. Il demeure toutefois supérieur à 1,5, ce qui implique que le secteur des mines métallifères coûte 50 % plus cher à la collectivité qu’il ne rapporte en impôts et en redevances.
Une prise en compte dans cette étude des coûts sociaux supplémentaires associés au secteur mais non divulgués, dont l’ensemble des coûts environnementaux qu’il engendre, aurait décuplé les frais devant être imputés à l’industrie minière. À titre d’exemple, le passif environnemental des sites miniers abandonnés, soit les coûts estimés de réhabilitation des sites relevant de la responsabilité de l’État et non encore défrayés, sont estimés à une somme variant entre 1 et 4 G$ au palier fédéral, et à 264 M$ à l’échelon provincial. Les impacts des activités minières sur les écosystèmes et sur les services environnementaux qu’ils fournissent engendrent également des coûts considérables pour la société.
Au chapitre des conditions de travail dans l’industrie, bien que les salaires hebdomadaires y soient supérieurs à la moyenne canadienne, ils n’arrivent pas à tenir tête à l’inflation d’une année à l’autre. Nous avons en effet observé une tendance à la baisse des salaires calculés en dollars constants entre 2000 et 2006. Par ailleurs, en matière de santé et de sécurité, l’industrie de l’extraction minière et du gaz était considérée comme le milieu de travail le plus dangereux au Canada entre 1996 et 2005. Au Québec, le secteur de l’extraction des minerais métalliques enregistrait alors un nombre beaucoup plus important de décès et de lésions par accident ou maladie que le secteur pourtant risqué de la construction non résidentielle.
L’industrie accusait aussi une assez piètre performance quant à la représentation des groupes dits « non traditionnels », soit les femmes, les Autochtones et les minorités visibles. Au Canada et au Québec, les femmes occupent moins de 13 % des emplois dans le secteur minier, alors qu’elles représentent 47 % de la main-d’oeuvre au pays et dans la province. De plus, les travailleurs et travailleuses autochtones sont sous-représentés dans les professions hautement qualifiés au Canada, et très peu présents à l’échelle des régions minières du Québec. En outre, la proportion des membres de minorités visibles embauchés par l’industrie au pays et dans la province est respectivement 4 et 7 fois inférieure aux taux de représentation qui prévalent dans l’ensemble de la main-d’oeuvre canadienne et québécoise.
Les cadres juridiques régissant l’industrie minière canadienne et québécoise se fondent tous deux sur le principe d’un libre accès à la ressource minière. Tant le précepte de « free entry », propre au cadre juridique fédéral, que celui de « free mining », pilier de la législation minière au Québec, prennent origine à l’époque de la ruée vers l’or, au milieu du 19e siècle. Ces principes garantissent aux exploitants la triple garantie de pouvoir accéder librement au domaine de l’État à des fins de prospection, d’obtenir un droit de propriété sur les ressources en cause, et d’acquérir le droit exclusif d’explorer et d’exploiter les minéraux découverts, le tout pour un minimum de contraintes.
De telles dispositions juridiques entraînent des répercussions sociales et environnementales importantes pour les citoyens et citoyennes et les milieux naturels concernés. Cette législation, en plus de contrevenir aux droits des propriétaires fonciers et aux principes de participation citoyenne, suscite également des conflits d’usage concernant la création de nouvelles aires protégées, ainsi que des litiges en matière de droits et de revendications territoriales autochtones. En outre, la permissivité de ces cadres juridiques fait en sorte que la grande majorité des projets d’exploitation métallifère ne sont pas assujettis aux procédures publiques d’évaluation environnementale.
La présence imposante des sociétés minières canadiennes à l’échelle mondiale, combinée à l’absence de mécanismes juridiques qui permettraient de sanctionner l’irresponsabilité sociale et environnementale de ces entreprises dans leurs opérations à l’étranger, coïncide avec de nombreux cas de torts environnementaux et d’abus de droits de la personne, bien documentés à travers le monde, auxquels ces entreprises sont réputées être associées.
La nature cyclique de l’industrie, la mécanisation du travail et le déclin des réserves de métaux rendent peu prometteuses les perspectives économiques du secteur dans les années à venir. Cette conjoncture laisse présager une tendance à la baisse des contributions de l’industrie, tant au plan du développement économique que des emplois, situation qui à long terme affectera particulièrement les régions minières dépendantes de ce secteur d’activité.
Notre analyse nous amène à conclure que l’étroitesse des avantages socio-économiques de ce secteur, en regard de l’ampleur des coûts économiques et socio-environnementaux qu’il engendre, impose une réorientation des interventions publiques dans l’industrie.
Au plan des politiques économiques, le gouvernement gagnerait à réévaluer à la baisse les dépenses publiques dans le secteur, en plus de se convertir à un régime de redevances axé sur la valeur de production plutôt que sur le profit annuel des sociétés. Cela pour obtenir des compensations suffisantes et continues en échange de l’épuisement des ressources minières, mais également pour emboîter le pas aux autres grandes économies minières mondiales.
Au plan juridique, il importe d’envisager la mise sur pied d’une commission d’étude, à l’image des travaux de la Commission Coulombe sur le secteur forestier, et ce, tant à l’échelle du Canada que du Québec. Une telle commission permettrait d’engager une réelle réforme des législations minières en place, sur une base participative, en vue, idéalement, d’actualiser les préceptes désuets sous-jacents aux cadres juridiques actuels. Cet espace consultatif pourrait également être l’occasion de mener un débat de société sur la possibilité de nationaliser l’industrie minière, et, à plus long terme, sur l’option de réorienter l’économie vers d’autres secteurs d’activité plus avantageux pour la société aux plans économique et socio-écologique. Un tel débat pourrait également aborder la question des mécanismes de reddition de comptes à mettre sur pied concernant les activités à l’étranger des sociétés minières canadiennes.
L’étude complète peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.iris-recherche.qc.ca/publications/le_soutien_a_lindustrie_miniere_quels.pdf_2