QS est donc le parti des enfants de la loi 101, de ces jeunes qui voient le peuple québécois comme la rencontre entre des gens de toutes origines autour du socle commun de la langue française. Bref, cette génération est allée à l’école de la politique d’interculturalisme mise en place par le gouvernement de René Lévesque. Cette politique était la seule réponse rationnelle au nouveau projet national canadien fondé sur le bilinguisme et le multiculturalisme. Accuser maintenant cette génération du péché de multiculturalisme est non seulement infondé mais profondément ironique, surtout venant de partisans du Parti québécois.
DEUX PROJETS NATIONAUX INCOMPATIBLES
C’est notamment pour contrer la montée du mouvement indépendantiste québécois des années 1960 et 1970 que l’État canadien a développé un ensemble de politiques redéfinissant l’identité canadienne. En renforçant le bilinguisme, le gouvernement fédéral a voulu affirmer que les francophones peuvent être chez eux partout au Canada et non seulement au Québec. Avec le multiculturalisme, il a encouragé l’identification au Canada des personnes de toutes origines dans un pays qui se préparait à accueillir un grand nombre d’immigrantes et d’immigrants. Le vieux fond impérialiste britannique, monarchique et conservateur, devait céder la place à cette nouvelle identité canadienne ouverte sur la diversité.
À cette offensive fédérale sur le terrain de l’identité, le gouvernement Lévesque a répondu avec son propre projet pluraliste : l’interculturalisme québécois. Il se trouve que les tendances démographiques lourdes (baisse de la fécondité, vieillissement de la population) imposaient une rupture avec la vieille stratégie de la survivance et du repli sur la majorité ethnique canadienne-française. Aussi, la sécularisation de la société québécoise et la laïcisation de ses services publics avaient retiré l’identificateur religieux catholique commun aux Canadiens-français. Il était désormais possible d’intégrer des enfants de toutes les origines dans le réseau scolaire public, sans doute la création la plus fondamentalement importante de la révolution tranquille. L’obligation faite aux enfants dont les parents n’étaient pas nés au Québec de fréquenter cette nouvelle école commune posait les fondation d’une redéfinition à long terme de l’identité nationale, désormais résolument québécoise et civique.
Les personnes qui ont développé l’interculturalisme ont identifié correctement que le problème avec le multiculturalisme canadien n’est pas son caractère multiculturel, mais sa finalité canadienne, en compétition avec le projet national québécois. Au bilinguisme souvent fictif ils ont opposé l’unilinguisme français. À la mosaïque multiculturelle ils ont répondu avec la rencontre de toutes les cultures dans la construction de la culture commune et francophone. Au lieu de nier l’existence d’un centre de gravité culturel – l’héritage britannique et la langue anglaise dans le cas canadien – ils ont affirmé que la majorité historique issue de la Nouvelle-France et du Bas-Canada constituait le cœur de l’identité québécoise, mais pas son entièreté.
LE PIÈGE DU CONSERVATISME IDENTITAIRE
Reprocher à Québec solidaire d’avoir une vision pluraliste de la société québécoise serait comme lui reprocher d’être écologiste, féministe ou pour la justice sociale. Mais plus qu’une attaque partisane, il s’agit d’une position de repli, d’un retour à une vision de la nation qui avait été mise de côté il y a 40 ans. L’alternative au nationalisme civique et interculturel de QS - à part l’acceptation du projet canadien qui fonde la politique du PLQ - ne peut être qu’une nouvelle mouture du nationalisme monoculturel et conservateur du temps de Duplessis.
C’est au fond ce qui s’affirmait dans les sorties de Mario Dumont, alors chef de l’ADQ, contre le programme ECR (à qui il reprochait d’enseigner les spiritualités autochtones) de même que dans la prétendue crise des accommodements raisonnables. C’est aussi ce qui sous-tendait la Charte des valeurs québécoises du gouvernement Marois (en affirmant que certains vêtements associés à des religions minoritaires étaient contraires à ces valeurs). C’est clairement ce qui ressort des politiques du gouvernement actuel en matière d’immigration (notamment l’appel à une immigration principalement européenne).
Ce rejet du pluralisme, que ce soit par l’imposition d’un conformisme vestimentaire ou la réduction de l’immigration, constitue un abandon du projet national qui s’était incarné dans la loi 101. C’est céder le terrain de l’intégration des nouveaux arrivants au Canada et encourager la population d’origine canadienne-française à se replier sur ses banlieues et ses villages, sur son passé et son patrimoine catholique. L’attachement au crucifix installé au Salon bleu par Duplessis n’en est que le symbole le plus frappant. Ce nouveau conservatisme identitaire ne peut mener, à long terme, qu’à la mise en minorité du groupe ethnique issu de la Nouvelle-France sur le territoire du Québec et éventuellement à sa folklorisation.
Les membres de Québec solidaire, peu importe quelle décision sera prise lors de son prochain conseil national à propos des signes religieux, doivent s’inscrire en faux contre cette régression conservatrice et affirmer haut et fort leur fierté d’incarner la vision du Québec que nous avons héritée de Lévesque, Godin et Laurin. Le Québec du 21e siècle sera pluriel ou ne sera rien d’autre qu’une Louisiane du Nord, avec son charme vaguement français.
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