Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire et la vigilance démocratique en temps de pandémie

La pandémie aura la vie dure. Le confinement actuel risque de se prolonger (ou de se répéter) accentuant toujours plus une crise économique catastrophique qui s’annonçait déjà depuis plusieurs mois. Le confinement le plus strict, malgré sa nécessité, ne saura à lui seul, avoir raison de cette épidémie. La mise au point de vaccin est incontournable. Maintenant, les gouvernements néolibéraux réduisent la majorité citoyenne au seul rôle de porteuse du virus, porteur à isoler et à contrôler. Leur tendance est d’écarter les institutions démocratiques et a procédé souvent par décret. Nous vivons une situation qui combine une crise sanitaire majeure, une crise économique d’ampleur et une crise écologique mettant en question l’avenir de la planète. La gravité de la situation n’est pas sans nous plonger dans une situation de sidération qui peut facilement nourrir le désespoir et annihiler la capacité d’agir. Pour répondre à ces dangers, il est nécessaire de définir collectivement, dès aujourd’hui, une alternative globale pour sortir d’une telle situation. L’essentiel c’est de comprendre que la majorité populaire doit compter sur ses propres forces. Elle ne doit pas espérer que les élites en place pourraient nous sortir de ce bourbier.

La crise économique s’annonçait déjà

L’économie mondiale est entrée dans une récession profonde d’une durée incertaine. On annonce maintenant qu’elle risque d’être la crise la plus profonde qu’ait connue le capitalisme depuis les années 30. Cette récession provoque un choc sur les revenus des entreprises et de leurs salarié-e-s qui se traduit à son tour par un choc financier sur les banques. Les bourses ont dévissé. Les investisseurs ont perdu jusqu’ici à peu près 30% de leurs avoirs. La pandémie du coronavirus en obligeant les gouvernements à fermer progressivement de plus en plus de lieux de travail a exacerbé la crise. Au Canada, depuis deux semaines, ce sont près d’un million de personnes qui ont demandé de pouvoir bénéficier de l’assurance-chômage. Plus le confinement va durer, plus les faillites vont se multiplier.

Les pandémies, partie prenante de la crise environnementale

Les pandémies se sont multipliées ces dernières années. (SRAS, Ebola, Zika, Copid19… ) Notre vulnérabilité croissante face à ces dernières a une cause plus profonde : la destruction accélérée des habitats des animaux par la déforestation, par nos attaques à la biodiversité et par les élevages intensifs qui parquent de grandes quantités d’animaux facilitant leur infestation par des agents pathogènes et la transmission de ces agents vers les humains. La logique de l’accumulation capitaliste nous prépare d’autres épidémies… Nos modes de production et nos rapports à la nature et aux animaux tout particulièrement doivent être transformés radicalement. Pour en finir avec ces pandémies, il faudra bien s’attaquer aux causes réelles de ces dernières. [1]

La pandémie reproduit et aggrave les inégalités sociales et nationales

Si les causes de la recrudescence des épidémies virales peuvent être identifiées, leurs impacts sur les sociétés humaines sont diversifiés. Les sociétés les plus pauvres, dépourvues de forts systèmes de santé publique vont être frappées le plus durement, car elles sont les plus vulnérables.

« Rendre compte d’une catastrophe sans aborder la question de la vulnérabilité est une ruse idéologique permettant de dédouaner les classes dominantes par évacuation des causes économiques, politiques et sociales expliquant l’ampleur des conséquences. »  [2]

La pandémie n’efface pas les inégalités sociales, elle s’y tresse. Les populations à faible revenu, les personnes âgées, les immigrant-e-s et les communautés autochtones sont les plus vulnérables à l’infection. Rappelons que 80% de la main-d’oeuvre dans les secteurs de la santé et des services sociaux sont des femmes. Les anges gardiens du premier ministre Legault sont pour beaucoup des anges gardiennes. Sans oublier que ce sont elles qui assurent pour la majeure partie les tâches à la maison où les enfants sont maintenant cantonnés.

Les capacités de résistance a la pandémie a été affaiblie par une gestion néolibérale de la santé publique

Les politiques néolibérales en santé ont conduit à la privatisation rampante de tout un pan du secteur de la santé, à la diminution de ses budgets, à la diminution du nombre de salarié-e-s. Ces dernières années, la diminution du nombre de lits au Canada et au Québec est éloquente. La capacité du système de santé de faire face à une pandémie a été affaiblie par les politiques néolibérales.

Au Québec, les dernières négociations dans le secteur de la santé n’ont pas débouché sur une amélioration significative de la rémunération et sur des investissements qui auraient permis de diminuer la charge écrasante du personnel soignant. La gestion à flux tendus et de réduction de stock a conduit à des pénuries pour l’ensemble du matériel médical. La prévoyance, c’est le moins qu’on puisse dire, n’a pas été à la hauteur des défis qui sont maintenant posés par les circonstances.

À la fin de 2014 « Québec a demandé aux directions régionales de santé publique de se départir de près d’un employé sur trois pour le 1er avril prochain. C’est tout le volet prévention qui est en péril. Les économies recherchées sont sans précédent en santé publique, à la hauteur de 30 % des budgets…  [3]

Et ce n’est que le dévouement des travailleuses et travailleurs du secteur qui ont permis d’assurer la qualité des soins.

Le choix des dirigeants économiques et politiques devant la pandémie du Coronavirus

Le choix fondamental de la classe dominante devant l’épidémie du coronavirus a été de maintenir le fonctionnement de l’économie le plus longtemps possible et de repousser autant que faire se peut les mesures draconiennes. Que ce soit en Italie, en France ou en Espagne, les travailleurs et les travailleuses des entreprises et des différents chantiers ont été invité-e-s à continuer à se rendre au travail. Ce n’est que tardivement que les dirigeant-e-s politiques, sous la pression des responsables de la santé publique, ont finalement demandé d’arrêter le fonctionnement des entreprises dans les secteurs non essentiels. [4]. Des semaines importantes ont été gaspillées par ces hésitations.

Les gouvernements Trudeau et Legault s’inscrivent dans cette même orientation

Les gouvernements n’ont pas suivi les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui demandait un dépistage systématique de l’ensemble des populations et des investissements massifs pour la production d’instruments de protection (masques) et de soins (machines à ventiler) pour répondre à ces nécessités. Aujourd’hui encore, les infirmières du Québec se plaignent d’un manque criant d’instruments de protection pour les personnes soignantes.

Les gouvernements Trudeau et Legault ont centré le plan d’action sur le confinement et des mesures de distanciation sociale qui peuvent, certes, ralentir le rythme de la progression de l’épidémie, lisser la courbe des gens infectés pour ne pas surcharger le système hospitalier, mais qui ne peut en lui-même éradiquer le virus. Avec la fin du confinement, avant la production d’un vaccin, une deuxième vague d’infections risque de se produire, comme cela fut le cas lors de la grippe espagnole. Il faudra pour sortir de l’impasse actuelle, revenir aux propositions de l’OMS et faire un dépistage massif. [5]

Aujourd’hui, les gouvernements Trudeau et Legault cherchent à rejeter la responsabilité de la situation sur les individus qui refuseraient de suivre les consignes. Au niveau économique, ils sont prêts à parer au plus pressé pour empêcher l’effondrement total du pouvoir d’achat et des capacités d’investissement des entreprises, mais ils demeurent complètement muets, sur les véritables fondements de cette crise économique qui, bien que déclenchée par la pandémie, s’annonçait depuis des mois déjà.

L’autre axe de la stratégie des classes dirigeantes est le protectionnisme national et la fermeture des frontières. La protection derrière les frontières est illusoire et dangereuse. Au lieu, de poser des gestes de solidarité avec les pays les plus touchés par la pandémie afin de bloquer ce fléau, les dirigeants ont fait preuve d’un chauvinisme national exacerbé.

Pourtant un plan mondial sera nécessaire : « L’ensemble de l’humanité doit riposter. Une action et une solidarité mondiales sont cruciales . Les réponses individuelles des pays ne vont pas être suffisantes », a affirmé le secrétaire général de l’ONU en présentant son plan. À défaut de solidarité ce sont des millions de morts sur lesquels va déboucher cette pandémie. [6]. La pandémie restera un danger majeur si des secteurs entiers de la planète continuent d’être infectés.

La frontière canadienne reste ouverte pour le commerce et pour conserver la fluidité des chaînes d’approvisionnement pour les différentes entreprises. Mais, elle se ferme pour les réfugié-e-s. La décision de Trudeau de retourner aux États-Unis les personnes réfugiées en situation irrégulière comme ceux et celles qui empruntaient le chemin Roxham est honteuse surtout quand on connaît les conditions faites par l’administration Trump aux réfugié-e-s. Le gouvernement Legault a été à l’initiative de cette politique chauvine et il a multiplié les pressions sur le gouvernement Trudeau pour qu’il bloque l’entrée des réfugié-e-s alors qu’une mise en quarantaine aurait suffi pour faire face à la situation. Toute la droite québécoise a applaudi à l’initiative du gouvernement Trudeau et aux appels du premier ministre Legault.

Le gouvernement Legault écarte la démocratie représentative

Contrairement au gouvernement Trudeau, avec la complicité des partis d’opposition, le premier ministre Legault a décidé la suspension de l’Assemblée nationale jusqu’au 21 avril. Pourquoi la démocratie représentative est-elle mise de côté alors de la société québécoise face à une crise majeure ? Pourquoi les partis d’opposition, se sont-ils si rapidement rangés derrière ce choix gouvernemental ? La seule réponse possible, c’est qu’ils se sont rapidement ralliés à une logique d’union nationale.

Le premier ministre Legault n’hésite pas à gouverner par décret et coups de force

Quand on analyse la volonté du gouvernement d’opérer par des coups de force, il y a de quoi s’inquiéter. Il a commencé par suspendre certaines dispositions des conventions collectives. Il a donné par un arrêt ministériel (un décret) aux gestionnaires du secteur de la santé les pleins pouvoirs pour imposer de nouvelles conditions de travail en matière d’horaire de travail, de déplacement de personnel, de recours au service des entreprises privées, de retour accéléré au travail de personnes en congé de maladie, etc.. Il a ainsi fait fi des cadres de la discussion et du compromis négocié avec les représentant-e-s des salarié-e-s syndiqué-e-s. [7]

Maintenant, il profite de la pandémie pour forcer un règlement au rabais des conditions de rémunération et de travail des travailleuses et travailleurs de la santé qui ne pourront avoir droit à une véritable négociation. Les syndicats ne pourront mobiliser leurs membres et ne pourront réellement les consulter démocratiquement sur un éventuel accord. Comme l’explique le collectif Lutte Commune : … une négociation accélérée va à l’encontre des principes démocratiques du syndicalisme. [8]

Le rôle d’un parti politique de gauche : favoriser le maintien et le développement de la vigilance démocratique

La direction de Québec solidaire a offert sa solidarité au gouvernement Legault dans cette période de pandémie. Il ne s’est pas opposé à la fermeture du parlement jusqu’à la fin avril. Il ne trouve rien à redire de la gestion de crise de ce gouvernement. Sa porte-parole, Manon Massé dans une lettre aux membres [9], assure le gouvernement de sa collaboration, et affirme : « Aujourd’hui, on est tous et toutes dans la même équipe. On a tous un rôle à jouer pour combattre le même terrible adversaire. » Pourtant, le devoir et le droit d’une opposition politique de gauche, c’est d’analyser les fondements de la situation de crises multiples qui frappent la société québécoise, d’évaluer le plan des autorités en place et de présenter une stratégie alternative pour faire face à la catastrophe qui tient véritablement compte des intérêts de la majorité populaire. La démocratie c’est le pouvoir de faire un choix entre différentes orientations et non de se soumettre au nom de la solidarité nationale aux diktats d’un parti de gouvernement.

Non content, d’abdiquer son rôle d’opposition, la direction de Québec solidaire a suspendu la réunion de ses instances. Il a abandonné sa campagne ultimatum 20 / 20 sans préciser comment il allait continuer la lutte aux changements climatiques qui demeure un enjeu essentiel dans la conjoncture. Toutes ces décisions constituent une démission face aux droits et devoirs d’un parti de gauche dans un contexte d’une crise dévastatrice. Nombre de membres ne peuvent partager cet effacement de leur parti dans une telle situation.

Les militant-e-s de Québec solidaire peuvent aider à construire une vigilance de tous les instants dans cette période de crise face aux propositions gouvernementales. Leur parti doit avancer des propositions face à cette pandémie et à la crise économique qui s’exacerbe. Ces propositions visent à partager une analyse commune sur le fondement de la situation et à proposer un plan d’urgence qui, au-delà du confinement, trace des perspectives pour favoriser la capacité d’agir et de sortir de cette impasse non pour revenir à la situation d’hier, mais pour préparer les ruptures nécessaires à assurer un avenir.

Pour affronter l’épidémie et ses conséquences, la démocratie représentative et participative sont des moyens décisifs. L’Assemblée nationale doit être réouverte, selon des modalités permettant la protection des député-e-s. On ne peut permettre de laisser ce gouvernement procéder par décrets y compris sur les conditions de travail des employé-e-s du secteur public. Pour favoriser la démocratie participative, il faut favoriser l’auto-organisation de la population, dépasser leur isolement en multipliant les occasions de rencontres virtuelles et en organisant l’entraide.

Le plan d’une opposition de gauche doit prévoir des réinvestissements massifs dans le secteur de la santé, la réquisition des capacités productives au Québec pour fournir tous les matériels de protection adaptés et les instruments de soins nécessaires, de fournir les revenus permettant une vie digne pour les personnes qui ont perdu leur emploi. Il doit prévoir l’élargissement des capacités d’accès à des médias sociaux permettant les échanges de groupe. Il doit être particulièrement attentif à fournir les moyens de développer une vigilance particulière par rapport aux plus démuni-e-s de la société. Enfin, un tel plan doit veiller à ce que la sortie de crise économique ne soit pas le retour à une vie économique « normale » marquée par la privatisation, la spéculation, le développement d’inégalités criantes et à la destruction de la planète. Ce sont certains axes d’un plan qui doit être concrétisé par un débat démocratique au sein de Québec solidaire.

Remettre Québec solidaire sur la voie de son affirmation militante comme force d’opposition capable de défendre une stratégie précise dans de contexte de crises multiples est possible et nécessaire.

Il faut pouvoir s’organiser à distance en ces temps de confinement. Il faut réactiver toutes les instances (coordination d’association, réseaux militant-e-s, commissions thématiques, instances nationales) sur une base régulière grâce aux moyens fournis par les médias sociaux. Pour lutter contre l’atomisation sociale, l’anxiété et la sidération que la politique gouvernementale nourrit en réduisant les citoyens et les citoyennes au rôle de simples porteurs potentiels de virus, invités à la délation de leurs voisin-e-s, il faut commencer par mobiliser nos militantes et nos militants et créer les forums virtuels qui leur permettront de prendre des décisions démocratiques sur le rôle que peut et doit jouer Québec solidaire dans le contexte actuel.


[1Voir, Sonia Shah, Contre les pandémies, l’écologie, Le Monde diplomatique, mars 2020

[3Amélie Daoust-Boisvert, La santé publique menacée

[4Voir, Christian Laval et Pierre Dardot, L’épreuve politique de la pandémie, Presse-toi à gauche, 24 mars 2020

[5(Voir les vidéos d’Aurélien Barrau sur notre site à ce sujet).

[6La Presse, COVID-19 : « L’humanité entière » menacée, l’ONU lance un plan, 25 mars 2020

[9Manon Massé, Lettre aux membres de Québec solidaire, 17 mars 2020 - Pour lire la lettre cliquez sur l’icône -

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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