L’assemblée constituante est au cœur du débat sur la stratégie d’accession à l’indépendance du Québec à Québec solidaire. Il s’agit de remettre la définition du projet social pour le Québec entre les mains du peuple québécois, dans toute sa diversité, par l’expression de sa souveraineté populaire.
Or, depuis la naissance du parti, plusieurs adversaires politiques souverainistes utilisent les ambiguïtés de l’article du programme qui traite de la question, pour dénoncer l’intégrité de l’engagement de QS envers l’indépendance du Québec, voire de dénigrer l’idée même de constituante. Elle serait, pour ces détracteurs, une manœuvre dilatoire pour lancer le projet d’indépendance du Québec sur une voie de garage.
Québec solidaire a intérêt à clarifier ce passage dans le programme, dans le but d’écarter toute interprétation erronée de sa perspective stratégique. Il en va de sa posture dans l’actuelle conjoncture politique du mouvement souverainiste. Plus, il s’agit du même coup d’annoncer les enjeux des travaux d’une assemblée constituante, soit ceux qui concernent le pouvoir et la démocratie que nous voulons !
Un projet de constitution pour le Québec ne peut être qu’indépendantiste
Les propositions qui modifient le programme en vue de mandater l’assemblée constituante pour définir un projet de constitution pour un Québec indépendant ont été un formidable déclencheur pédagogique d’un débat nécessaire sur le programme du parti. Toutefois, inspirée par la conjoncture catalane ou écossaise, cette option propose une formulation prescriptive qui n’est pas nécessaire, en regard du contexte circonscrit par le débat.
Toute démarche constitutionnelle pour le Québec ne peut être que souverainiste. Autrement dit, la mise en place d’une assemblée constituante, à la suite de l’élection à Québec d’un gouvernement de gauche indépendantiste, s’appuie d’abord sur un constat, celui d’une rupture populaire avec l’État canadien. Nul besoin de clarifier la destination de la démarche. Le mandat sera défini par la mobilisation populaire en vue de fonder un nouveau pays.
Il ne peut y avoir de retour en arrière !
Par ailleurs, tous les arguments qui invitent au statu quo ou qui prévoient plus d’un scénario de constitution envisagent la possibilité d’un retour vers la constitution canadienne ! Or, il ne pourra y avoir de retour en arrière sans remise en cause de la légitimité du processus démocratique engagée par l’élection, dont le théâtre de ce conflit se situera en dehors de la constituante. En fait, dans un contexte d’une rupture avec l’État canadien, on ne peut imaginer qu’une assemblée constituante s’attarde au développement d’un scénario de statu quo !
L’erreur la plus importante de cette approche n’est pas tant l’incongruité des scénarios, mais bien la réduction du rôle de la constituante : envisager qu’elle se limite à des scénarios de statut politique pour le Québec, c’est se méprendre sur le véritable rôle social de la constituante.
Contrer l’hégémonisme
Plusieurs craignent de reproduire les mêmes erreurs du Parti québécois, alors que l’hégémonie qu’il exerçait sur la question a écarté la place que doit occuper le mouvement social, seule force capable de conduire à terme le processus d’accession à l’indépendance. La constituante est justement l’idée de remettre à une instance de souveraineté populaire, la définition du projet de démocratie pour le Québec. Elle retire, d’entrée de jeu, l’ascendant des partis politiques sur la question nationale, ce qui ne veut pas dire que les partis seront exclus totalement d’une telle assemblée.
Dresser l’épouvantail d’une conception anti-démocratique à la proposition de constituante avec mandat est de rendre un bien mauvais service à la sérénité du débat actuel sur la question. Constater que l’assemblée constituante ne peut conclure à plusieurs statuts politiques pour le Québec ne relève pas d’une vision verticale « top-down » imposée au peuple québécois ! Le contexte d’une élection d’un gouvernement de la gauche indépendantiste concerne plutôt la marche d’un peuple souverain qui écrit son histoire.
Pour une autonomie complète de l’assemblée constituante
Bien sûr, l’autonomie et la souveraineté de la constituante demeure cruciale et doit être la plus complète possible. Toutefois, elle ne s’exercera pas sur le statut du Québec, mais plutôt sur le principal : le contenu de l’État à mettre en place, sa structure de pouvoir, sa représentativité, sa légitimité. Le débat ne sera pas « doit-on rester ou non dans le Canada », mais plutôt jusqu’où avançons-nous dans la mise en place d’un régime démocratique, quel type de proportionnelle, de représentativité, au service de qui, sur le type d’assemblée législative, de démocratie politique et égalitaire, sur nombre de principes qui toucheront des enjeux de droits économiques, sociaux, environnementaux, tout autant que de genre. Dans ce cadre, il est certain que l’assemblée constituante doit avoir toute licence pour proposer une constitution qui fonde une nouvelle démocratie québécoise.
En fait, comme l’exercice de la souveraineté populaire ne peut déboucher que sur une constitution pour le Québec, la dispute au sein de la constituante portera essentiellement sur les enjeux sociaux. On peut, d’ores et déjà, prévoir une lutte politique très importante entre différentes fractions souverainistes, voire incluant différents secteurs fédéralistes qui se rallieront pour peser en vue de protéger leurs intérêts. En fait, cet exercice de souveraineté populaire sera au cœur de la définition d’une société égalitaire, résultante des rapports de force du moment !
En clarifiant ainsi la démarche de la constituante de manière non équivoque, les modifications au programme de Québec solidaire lui permettront d’être mieux positionné pour recentrer l’éventuel débat public dans le mouvement souverainiste sur la dimension sociale du contenu de l’indépendance. Elles mettront en relief le projet politique du parti, qui est d’engager le mouvement social dans le développement d’une société solidaire pour le Québec, en rupture avec la constitution canadienne, cadre politique de la société inégalitaire dans laquelle nous vivons.
Pour convaincre les indécis, la constituante doit être pluraliste
L’inquiétude majeure dans l’actuel débat sur la question nationale est celle de la conquête d’une majorité de voix qui pourront s’exprimer dans la troisième étape de la mécanique proposée d’accession à la souveraineté, celle du référendum. Comment assurer le ralliement d’une majorité en conclusion du processus ?
Le débat en cours ne porte pas sur la composition de l’assemblée constituante. Toutefois, pour discuter de la préoccupation, ça exige d’abord d’assurer la représentation de la composition du peuple québécois, dans toute sa diversité citoyenne, sans exclusive. Il en va du ralliement à un projet démocratique de transformation sociale.
Certains resteront fidèles à l’État fédéral et prendront la fuite. D’autres, qui se seront opposés à l’élection d’un gouvernement solidaire, ne voudront pas rester sur le côté de la route et chercheront à peser de tout leur poids pour protéger et faire valoir leurs intérêts.
Il est essentiel de considérer que la constituante soit basée sur le pluralisme. Des mécanismes de désignation qui assurent ce principe doivent évidemment être mis en place. Sous réserve des appuis obtenus par la coalition portée au pouvoir, il importe de faire une place aux oppositions au gouvernement, y compris aux fédéralistes, qui ne sont pas plus monolithiques que les souverainistes !
Ce n’est pas demain la veille
Le débat sur la question nationale à Québec solidaire demeure assez théorique dans la conjoncture actuelle. Ce n’est pas demain la veille qu’on verra se concrétiser une équipe politique solidaire, même composite, portée au pouvoir ! Assurément que l’élection d’un tel gouvernement à Québec exprimera de manière non équivoque que la population ne veut plus de la prison des peuples qu’est le Canada.
Toutefois, ce débat a des conséquences très concrètes, pour les prochaines élections. Pour Québec solidaire, il s’agit de définir une position dans le cadre du débat historique d’accession à l’indépendance, qui déchire toujours le mouvement souverainiste. La clarification du caractère irréversible du processus que QS souhaite mettre en branle est celui d’une marche vers l’accession d’un Québec indépendant et solidaire. Une telle clarification permettra au parti d’être de plain-pied avec celles et ceux qui souhaitent mettre en route un processus d’accession à l’indépendance dès le premier mandat d’un gouvernement souverainiste.
Chasser le gouvernement Couillard, une convergence avec la société civile
Entretemps, aura lieu une élection générale au Québec qui ne sera pas caractérisée vraisemblablement par le débat sur l’indépendance du Québec. Même si l’élection provinciale ne pourra se comparer à celle qui a permis de chasser Harper au fédéral, elle portera aussi sur le bilan des libéraux, sur ses politiques antisociales et, surtout, sur la corruption. Le soutien que le parti pourra offrir aux mouvements sociaux qui voudront chasser le gouvernement Philippe Couillard demeurera au cœur de la stratégie de la prochaine élection.
Toutefois, le parti doit pouvoir marcher et mâcher en même temps. La clarification concernant l’accession à l’indépendance présente un intérêt certain pour permettre à Québec solidaire d’être en meilleure position pour promouvoir l’indépendance et la souveraineté, tout autant qu’une démarche de démocratie populaire, et ce dès l’élection d’un gouvernement souverainiste de gauche. Il s’agit d’une étape dans la marche irréversible du peuple québécois vers son indépendance, en lui permettant de définir la société qu’il veut.