Dans les pays andins, des paysans et des indigènes se battent contre des projets miniers géants au sommet de leurs montagnes. En Australie, une alliance inhabituelle se noue entre agriculteurs et écologistes contre l’exploitation du « gaz de couche », qui nécessite de recourir à la fracturation hydraulique. Au Brésil et au Canada, riverains et autorités accusent l’incurie des entreprises minières après la rupture de barrages miniers retenant des eaux usées toxiques. En Algérie, la population du sud saharien se révolte contre l’arrivée du gaz de schiste. En France aussi, des collectifs citoyens dénoncent des projets de nouvelles mines, alors que les anciens sites abandonnés continuent à ce jour à polluer leur environnement. Tous ces combats ont un point commun : l’eau.
Il n’y a pas que dans le domaine du droit du travail que certains voudraient nous maintenir, ou nous faire retourner, au XIXe siècle : c’est aussi le cas dans le domaine des « industries extractives ». La planète a connu une véritable explosion de nouvelles mines et de nouveaux forages pétroliers et gaziers depuis les années 2000, sous l’effet de la croissance de la Chine et des pays émergents, mais aussi de la demande d’économies prétendument « immatérielles » (basées sur les technologies de la communication et de l’information), mais surtout de plus en plus consuméristes et inégalitaires. Il suffit de penser aux minerais et à l’énergie nécessaire pour produire et utiliser smartphones et réseaux sociaux. Et en France même, de nombreux industriels et responsables politiques militent aujourd’hui, au nom de la croissance, pour l’ouverture de nouvelles mines ou pour le développement du gaz de schiste.
Pourtant, derrière les beaux discours « responsables » des entreprises, la réalité des mines et du pétrole continue souvent à présenter le même visage qu’à une époque que l’on voudrait croire révolue : une réalité d’insécurité et de pollution affectant aussi bien les travailleurs que les riverains, une réalité de violence et de conflits sociaux, de connivence politique et de millions de dollars ou d’euros engrangés dans les sièges sociaux des multinationales à Paris, Londres, New York ou Toronto.
Menaces sur un bien vital
Le rapport Eau et industries extractives : la responsabilité des multinationales (https://multinationales.org/IMG/pdf/rap_obs.pdf), publié par l’Observatoire des multinationales avec le soutien de France Libertés, se penche sur l’un des impacts des industries extractives : leur impact sur l’eau. Pas toujours bien connues, les conséquences directes et indirectes des mines et des forages sur les ressources en eau n’en revêtent pas moins une importance fondamentale, car l’eau est essentielle à la vie et à la santé des populations tout comme à l’intégrité des écosystèmes, et parce que les répercussions des développements extractifs peuvent se faire sentir jusque très loin en aval. C’est pourquoi, du Sahara algérien aux montagnes andines, la question de l’eau se retrouve souvent au centre de la contestation des projets de mines ou de forages d’hydrocarbures.
Ce rapport est issu d’un travail d’enquête de plusieurs mois, basé notamment sur des reportages de terrain concernant des projets extractifs, portés notamment par des multinationales françaises, et les conflits qu’ils suscitent, de l’Australie à la Colombie, en passant par la Tunisie, le Mexique, les États-Unis, le Canada, ou même la France. Il met en lumière les multiples manières dont le secteur extractif (mines, pétrole et gaz) affecte les ressources en eau, ainsi que l’inadéquation des réglementations en vigueur, le manque de connaissances scientifiques et la faiblesse des réponses apportées par les entreprises concernées.
Des pollutions qui s’aggravent
Les impacts sur l’eau des industries extractives ne tendent pas à s’atténuer grâce à une « modernisation » des techniques, bien au contraire. Les développements récents dans le secteur extractif, comme les hydrocarbures non conventionnels (gaz de schiste, sables bitumineux…), présentent des risques significativement accrus pour les ressources en eau. De même pour les nouveaux projets miniers dans des zones de plus en plus reculées, comme le sommet des montagnes andines, ou impliquant de broyer et traiter toujours plus de roche pour exploiter des filons de plus en plus modestes. Le risque existe que la crise que traverse actuellement tout le secteur extractif ne serve de prétexte pour rogner encore davantage les régulations sociales et environnementales, déjà bien faibles, dans de nombreux pays.
À l’heure où le gouvernement français et les industriels envisagent l’ouverture de nouvelles mines en France métropolitaine et où certains défendent le développement du gaz de schiste en Europe, ce constat devrait constituer un avertissement. D’autant que les leçons du passé ne semblent pas avoir été tirées. Parmi des dizaines d’autres, l’exemple de Salsigne, dans l’Aude, montre que les anciens sites miniers français continuent aujourd’hui encore à contaminer l’eau et l’environnement. Or la réforme en cours du code minier, portée par le ministère de l’Économie et des Finances d’Emmanuel Macron, ignore superbement ces enjeux. Le débat, pourtant, doit impérativement être ouvert.
À lire : Eau et industries extractives : la responsabilité des multinationales
Ce rapport sera présenté le lundi 30 mai dans le cadre d’une table-ronde intitulée "Impacts sociaux et environnementaux du modèle extractiviste" organisée par le CRID, France Libertés et Ingénieurs Sans Frontières.
Intervenants : Sylvie Paquerot, de l’Ecole d’Etudes Politiques de l’Université d’Ottawa (Canada), Olivier Petitjean, de l’Observatoire des multinationales, Alice Richomme, de France Libertés, Thibaud Saint-Aubin et Théo Roche d’Ingénieurs Sans Frontières.