Parallèlement, le parti a choisi d’être plus péquiste que le PQ ne l’a jamais été sur le plan souverainiste. Or, on peut penser qu’il a presque fait le plein des voix souverainistes à gauche et au centre-gauche ; siphonner totalement l’aile gauche restante du PQ ne lui donnera pas beaucoup de gains. La question nationale n’est point la priorité de son électorat naturel et potentiel, et elle n’intéresse pas beaucoup voire pas du tout la jeunesse, de plus en plus polyculturelle. Cette radicalisation nationaliste présente donc le danger qu’une grande partie de son électorat potentiel et historique, identitairement non national(iste), préfère plutôt voter pour un centre libéral identitairement compatible, qui va gauchiser son programme et son discours en 2022 (jurisprudence Trudeau Jr).
Il est donc tout à fait raisonnable de se demander si les solidaires foncent droit dans le mur [2] ? Est-ce que ses stratégies électorales vont être enfin débattues par ses membres en s’appuyant sur les (contre-)exemples de Syriza, Podemos, France insoumise, Labour, Die Linke, Bloco de Esquerda, CUP, UKIP ou Enhedslisten [3] ? Ou est-ce qu’elles resteront entre les mains des seul·e·s « éminences grises », au risque du sectarisme [4] ? Et que dire de sa force militante historique qui souffre de plus en plus d’être mise à l’écart ? On lui doit pourtant en grande partie le succès des dernières élections.
Renationalisation du souverainisme
Le souverainisme en tant que tel est bien plus large que le nationalisme : souverainisme des corps, des identités, des sexualités, des territoires, des premiers peuples, des économies, des cultures, des agricultures etc. Les partis de gauche critique l’ont en général bien compris. Le glissement vers le nationalisme, même inclusif, risque de corseter les possibilités émancipatrices du souverainisme, dans la mesure où le nationalisme inclusif ne reste qu’un concept. Soit rien de plus qu’un ethnoblanchiment [racial washing] du nationalisme classique ? Car en effet, les bases, les limites et les anachronismes de toutes les formes de nationalismes restent similaires [5].
Le nationalisme inclusif solidaire demeure pour le moment un bon vieux projet d’homogénéité linguistique et d’intégralité territoriale, un concept du siècle dernier (une conception intégriste de la nation ?). Il ne suffit pas de dire « toutes les personnes qui vivent au Québec sont québécoises », il faut répondre à celles qui ne le (re)sentent pas, ne le sont pas, et se considèrent « autrement », « étrangères », « à la fois »…
Pour faire du nationalisme inclusif québécois un projet, et pas seulement un slogan, il convient d’intégrer qu’on ne peut pas renforcer une frontière identitaire sans renforcer l’exclusion des personnes qui ne se retrouvent pas du même côté que cette dernière, qui ne la comprennent pas [pareil] ou ne la reconnaissent pas [pareil]. Il faut alors se doter d’un corpus idéologique et d’un projet social qui dépasse l’État-Nation eurocentriste, les traumatismes historiques canadiens-français et la fragilité identitaire québécoise [6] ; et règle entièrement et une bonne fois pour toute la question autochtone [7]. Bref, comment transcender l’oxymore intrinsèque au nationalisme [même « inclusif »] ?
D’abord, en sortant du vide sidéral en matière de réflexion sur les identités au XXIème siècle, au point que la dimension ethnolinguistique du nationalisme classique domine le parti solidaire.
Après, en pensant autrement la survivance culturelle du Québec [8]. À entendre et lire certains solidaires, on a l’impression que leur grand-père est mort lors de la bataille des Plaines d’Abraham et que leur père se faisait fouetter à la shop par son contremaitre Anglo, tandis que son cousin tente désespérément d’écouter Les Simpsons doublé en français québécois.
Ensuite, en donnant du corps à l’interculturalisme solidaire qui n’est pour le moment qu’une coquille vide (sans compter les différentes versions que compte déjà l’interculturalisme dans le champ conceptuel québécois). L’absence de réaction au projet de loi de Catherine Fournier en dit long. Ses idéologues solidaires qui en font une marque de distinction épistémique n’ont-ils rien à proposer ?
Puis en joignant les luttes autochtones et les luttes environnementales [9].
Enfin, en revenant au plus vite sur les élucubrations quant à la transition vers l’indépendance [7].
Sinon, comment est-ce que les personnes autochtones, binationales, multi-identitaires, multilingues, plurielles, peuvent se reconnaitre dans un mouvement qui en théorie les inclus, mais qui concrètement ne leur propose pas grand-chose, à part remplacer un modèle ethnocentriste par un autre ?
Il n’y a pas d’avenir pour la gauche québécoise – encore moins pour la gauche souverainiste – sans ces gens-là ! La justice sociale et l’urgence climatique ne peuvent être otages du nationalisme : ça fait 40 ans que ça dure, c’est assez !
Décolonisation des praxis
L’inclusion comme projet politique, ce n’est pas seulement un programme et des propositions concrètes. C’est aussi donner l’exemple en interne, en proactivité. Mon dernier texte sur QS, pamphlétaire, a choqué [10]. Si les personnes concernées ne veulent pas l’analyser pour les questions qu’il pose, c’est leur droit. Malheureusement, les pratiques politiques de centralisation/verticalisation du pouvoir guettent aussi les partis radicaux, même si ces derniers souhaitent s’en protéger du mieux possible. Par exemple, dans QS, la création du Comité ad hoc antiracisme n’a jamais accouché d’un vrai comité statutaire représentant les membres racialisé·e·s (à l’image du Comité diversité sexuelle, corporelle et de genre pour les membres concerné·e·s). Le parti aurait dû proposer aux instances appropriées la création d’un tel comité. Il a fallu attendre celle du Collectif antiraciste décolonial pour que les solidaires racialisé·e·s soient enfin représenté·e·s adéquatement. Mais sont-elles/ils entendu·e·s ? Et lorsqu’elles/ils le sont, à quel prix ?
Au prix d’un rapport de force permanent entre la direction du parti et ses comités, collectifs, réseaux ou autres associations locales. Comme on a pu le voir avec la mise sur pied du plan de transition énergétique. Comme on a pu le voir lors de la création de la Commission nationale autochtone. Comme on a pu le voir avec les luttes montréalaises contre la loi sur la laïcité de l’État. Comme on a pu le voir lors de l’investiture dans Jean-Talon. Comme on a pu le voir avec des épisodes réguliers de tone policing par les dirigeant·e·s solidaires. Comme on a pu le voir avec des député·e·s qui se fichent du programme ou des positionnements majoritaires de leurs associations locales, et disent ce que bon leur semble même si cela va à l’encontre de ces dernier·e·s.
Une fois au pouvoir, les réflexes des vieux partis reviennent au galop, même parmi les mieux intentionné·e·s.
Les gauches critiques dans tous les pays souffrent – notamment quand elles engrangent des gains électoraux – de recul de leur démocratie interne participative et inclusive. « Pourquoi la gauche radicale […] qui est censée être meilleure que tout le monde, reproduit ces rapports de pouvoir, ces privilèges ? » se demande la députée insoumise Danièle Obono, ajoutant que « les militants noirs et arabes, au sein des organisations de gauche, finissent tous par se barrer » [11]. Évidemment, puisque les personnes privilégiées, nous ne leurs donnons pas leur place ! Et quand nous le faisons, c’est toujours après leurs assauts, leurs colères, leurs suppliques. Et il faudrait alors que leurs comportements et leurs paroles prennent une forme prédéterminée, acceptable, sereine, voire carrément similaire à de la courtisanerie : la praxis des maîtres.
Comment est-ce que ces personnes peuvent se reconnaitre dans un mouvement qui en théorie les inclus, mais en pratique les tolère ?
Homogénéisation de l’establishment
Lors du dernier congrès FTQ, je discutais avec un camarade, militant solidaire de longue date, qui m’expliquait que la direction du parti était devenue trop homogène. Je lui répondais, satirique : « Il existe en effet un monde en dehors de la CSN, du Plateau-Rosemont et de Limoilou ».
Plus sérieusement, il faut souligner l’engagement, souvent bénévole, des personnes dirigeantes, leur bonne foi, leurs bonnes intentions. Il n’y a pas de malice, même si évidemment, on peut aussi convenir à l’inverse – ne soyons pas naïfs/ves – que certaines d’entre-elles sont attirées et grisées par le pouvoir. Et les risques politiques liés à l’homogénéisation d’un corps social donné sont réels, même parmi les radicaux.
Pour s’en prémunir, il faut absolument le reconnaitre et poser des gestes préventifs d’action affirmative, comme cela a été fait pour la place des femmes dans notre société (il reste beaucoup de chemin à faire) et dans le parti. Il faut admettre que nous reproduisons (peut-être inconsciemment mais là n’est pas le problème) – dans les partis politiques, les syndicats, les groupes communautaires etc. – les systèmes de domination que nous prétendons combattre. QS est, comme les autres, traversé d’oppressions systémiques.
Bref, comment est-ce que les personnes dissidentes, minorisées ou non indépendantistes peuvent se reconnaitre dans un mouvement qui en théorie les inclus, mais en réalité les satellise ?
Notes :
[1] https://www.pressegauche.org/Tassement-a-droite-sous-un-masque-de-radicalite-independantiste
[2] https://www.pressegauche.org/QUEBEC-SOLIDAIRE-FONCE-DANS-LE-MUR
[3] https://www.pressegauche.org/Quebec-solidaire-est-il-un-parti-populiste-de-gauche
[4] http://leblogueursolidaire.blogspot.com/2019/04/quest-ce-que-le-sectarisme.html
[6] https://folalliee.wordpress.com/2019/08/19/la-fragilite-quebecoise-traumatisme-ou-nevrose/
[8] https://www.pressegauche.org/Penser-autrement-la-survivance-culturelle-du-Quebec
[10] Je comprends que ce brûlot ait été mal reçu par celles et ceux à qui la critique s’adressait. J’y expliquais ce que beaucoup n’osent pas dire publiquement. Et je précisais en introduction : « Je vous l’accorde, il s’agit sûrement en partie de perceptions, mais tout de même, ça en dit long sur le manque de sérénité et le niveau de défiance dans un parti qui ferait de la politique autrement ! ». J’ai reçu par ailleurs des soutiens et des témoignages de membres et ex-membres de QS.
Suite à certains échanges, j’ai demandé à PTAG de supprimer le deuxième paragraphe qui contenait une fausse information. Je m’excuse auprès des personnes concernées. Cela dit, je maintiens que les pratiques de nomination discrétionnaire sur des comités ad hoc, alors même qu’il existe des comités statutaires composés de membres élu·e·s par les membres délégué·e·s – qui sont par exemple habilité·e·s à traiter des questions de démocratie interne (cumul des mandats, investiture aux élections etc.) – bref, ces pratiques sont problématiques en termes éthique et de conflit d’intérêt (surtout quand on nomme un député directement concerné par ces questions). Ces pratiques ne devraient plus avoir lieu et devraient être bannies de tout parti politique. On ne devrait pas les cautionner en y participant. Ou alors, il faudrait auparavant, au moins se doter de règles précises, votées par les membres délégué·e·s, quant à ces nominations ; des règles qui assurent une représentativité de la diversité – idéologique et sociodémographique – des membres, et évitent ainsi l’enfermement et la collusion idéologiques et communautaires.
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