Il faut cependant souligner un élément central de ce plan biscornu : il se situe dans une continuité d’une certaine politique américaine envers la Palestine, au moins depuis Ronald Reagan. Celui de Trump n’en constitue que l’aboutissement risible certes, mais logique. L’odieux l’y dispute au ridicule.
Au-delà de sa niaiserie, il éclaire à l’extrême l’attitude constante de la classe politique américaine dans son ensemble à l’égard de l’épineux dossier des relations israélo-palestiniennes : le refus obstiné de reconnaître sans ambiguïté le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, lequel se trouve toujours soumis à des négociations hasardeuses avec l’ennemi israélien ; pas question non plus pour les Américains de faire les pressions nécessaires sur le gouvernement israélien pour l’amener à entamer avec son vis-à-vis palestinien des négociations honnêtes, qui obligeraient Tel-Aviv à procéder aux concessions territoriales et politiques nécessaires à la conclusion d’une paix équitable entre les deux parties. Le suggérer relèverait de l’hérésie !
Depuis longtemps, la classe politique américaine tente de noyer la question centrale aux yeux des peuples du Moyen-Orient du droit à l’autodétermination des Palestiniens et Palestiniennes dans d’autres problèmes supposément plus globaux et plus urgents ; en ce moment, ce sont les ambitions « hégémoniques » de l’Iran qui servent de discours de diversion. Par les temps qui courent, les États-Unis ont réussi à forger une alliance avec l’Arabie saoudite (une « démocratie » exemplaire, soit dit en passant) pour faire passer au second plan la brûlante question palestinienne. Le « plan Trump » est de cette eau puisqu’il propose d’investir cinquante milliards de dollars non seulement en Israël et en Palestine, mais aussi en Égypte, au Liban et en Syrie.
Tout au plus, Trump et Nétanyahou sont prêts à reconnaître quelques faubourgs de Jérusalem-Est comme « capitale » du futur État palestinien et un petit territoire en Cisjordanie qui serait à l’abri de la colonisation israélienne... pour quatre ans. Quel progrès ! Le tout serait coiffé d’un État-croupion aux pouvoirs encore mal définis, mais à coup sûr très limités.
Les politiciens et politiciennes américains ne demanderaient sans doute pas mieux que d’approuver ce genre de plan, mais ce qui les gêne dans ce cas précis, c’est que les apparences mêmes de la démocratie y sont bafouées sans vergogne. Même chose pour les autres capitales occidentales, dont la réaction feutrée est révélatrice de leur ambivalence par rapport à ce plan. Bien entendu, l’Arabie saoudite et l’Égypte soutiennent qu’il s’agit d’un point de départ valable pour des négociations entre l’État hébreu et la Palestine.
En résumé, ce n’est pas l’aspect ridicule du plan Trump qui met mal à l’aise la majorité de la classe politique américaine, mais sa non-viabilité. Ce plan n’a aucune chance de succès et ne le mérite pas de toute manière.
L’autre victime du plan concocté par Trump est le peuple américain lui-même ; en effet, il est notoire que cette stratégie « trumpienne » vise moins à établir la paix entre Israël et la Palestine qu’à entretenir la cote présidentielle et républicaine auprès de l’électorat en général, mais surtout de sa faction républicaine la plus conservatrice et à faire bonne figure lors de l’imminent procès en destitution qui menace le président.
Pour conclure, posons l’interrogation suivante : comment faire aboutir n’importe quel plan de paix entre deux nations ennemies quand la principale puissance qui devrait en principe assurer l’équilibre régional est à la fois juge et partie, et qu’un des peuples concernés n’est à peu près jamais consulté pour les éléments essentiels du projet de paix ? Cela équivaut à tenter de résoudre la quadrature du cercle...
Jean-François Delisle
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