Tiré de Orient XXI.
Unanimité contre le racisme
Le 9 octobre 2018, 125 députés au Parlement tunisien ont voté, presque à l’unanimité (malgré 86 absents), pour le projet de loi visant à éliminer toutes les formes de discrimination raciale dans le pays. C’est un évènement sans précédent : jusque là, la notion de racisme n’existait pas devant la justice. Cette loi atteste donc de formes de racisme dans la société tunisienne, mais elle inscrit également la volonté, dans la sphère politique, de lutter contre celui-ci, car tous les partis (et les députés de la coalition gouvernementale) sont tombés d’accord sur le sujet.
La loi dispose de sanctions variant d’un mois à un an de prison et jusqu’à 1000 dinars (301 euros) d’amende pour propos racistes. Pour les menaces, l’incitation ou l’apologie du racisme, la peine peut s’alourdir jusqu’à 5 000 dinars (1507 euros) (voire 15 000 dinars — 4521 euros — pour les personnes morales) et trois ans de détention.
Le rôle de la société civile
Cette loi constitue une version simplifiée du projet proposé par un collectif de plusieurs ONG au cours de l’année 2016. La société civile tunisienne, organisée autour d’associations et d’organisations très actives, lutte depuis des années contre la xénophobie et les discriminations. Ces organisations avaient ainsi élaboré un texte de loi destiné à prévenir et sanctionner les actes racistes, notamment des discriminations contre les personnes de peau noire. Deux ans après, c’est un projet remanié (quatre chapitres de onze articles au lieu des trente-six proposés) qui est finalement adopté.
Les dégâts du racisme anti-noirs
Environ 15 % de la population tunisienne est noire (selon Maha Abdelahmid, co-fondatrice de la première association de défense des droits des noirs, l’ADAM). Nombre de jeunes originaires d’Afrique noire étudient également en Tunisie. Citoyens tunisiens, étudiants étrangers, migrants en quête de travail ou en transit via la Tunisie, ils subissent les uns comme les autres un racisme parfois institutionnel et souvent caché, en dépit de leurs mobilisations. La Tunisie, par sa position géographique, se trouve en effet sur la voie des migrations économiques souvent forcées, et la crise en Libye (depuis 2011) a renforcé les importants flux migratoires.
Certains Tunisiens considèrent que les Noirs, citoyens tunisiens ou non, ont un statut inférieur à celui des autres citoyens. À Djerba, les actes de naissance des personnes noires portent toujours la mention « affranchi » (donc issu d’ascendants anciens esclaves) suivie du nom de l’ancien maître. On déplore aussi plusieurs actes de violence raciste ces dernières années. Par exemple, fin août 2018, des Ivoiriens ont été lynchés, insultés et agressés à Tunis.
Une première victoire
Avec cette loi, la Tunisie renvoie une image de précurseur dans le monde arabe et musulman, dont les sociétés connaissent diverses formes de racisme. Si ce vote est historique pour la reconnaissance des droits humains dans le pays, il rappelle que ses voisins d’Afrique septentrionale sont loin d’évoluer dans ce sens. Il s’agit donc incontestablement, pour la Tunisie comme pour la région, d’une victoire de la société civile.
Cependant, des problèmes subsistent. Par exemple, obtenir réparation en justice suppose de déposer plainte, et ce n’est guère facile pour beaucoup de victimes, lorsqu’elles n’ont pas de papiers.
La lutte contre d’autres formes de discriminations mériterait d’autres mobilisations. Ainsi, la proposition du président tunisien d’instaurer l’égalité d’héritage entre hommes et femmes a finalement été abandonnée par son parti...
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